Quels enseignements tirer de la modernisation des règles de facturation électronique ?

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Gwenaëlle Bernier, Associée, Ernst & Young Société d'AvocatsGwenaëlle Bernier, Associée, Ernst & Young Société d'Avocats, nous propose un éclairage sur la modernisation des règles de facturation électronique.

La libéralisation du recours à la facturation électronique qu’a permis la transposition de la Directive 2010/45 à compter du 1er janvier 2013 (1) n’est pas sans contrepartie pour les entreprises françaises qui pourront craindre, dans un premier temps, de trouver que le jeu n’en vaut pas la chandelle. Mais rattrapées par la pratique de leurs fournisseurs ou vendeurs européens pour lesquels l’électronique devient la norme, peuvent-elles encore y échapper ?

La troisième loi de finances rectificative pour 2012 transpose en droit français la Directive 2010/45, laquelle modifie un certain nombre de règles fondamentales en matière de facturation au regard du régime de TVA de l’Union européenne.

Ces modifications sont de divers ordres, de l’exigibilité de la TVA au régime du mandat de facturation, de la territorialité de la loi de facturation applicable, aux mentions obligatoires sur factures, etc. Mais surtout cette directive pose le principe de l’égalité de traitement de la facture papier et de la facture électronique en supprimant presque totalement toute référence à une norme technique pour admettre qu’une facture électronique puisse être valide au regard des règles de TVA. Nous présenterons ici les conséquences, pour les entreprises, de cette révolution fiscalo-numérique.


Quel était l’objectif poursuivi par la Directive 2010/45 ?

Le préambule de la Directive 2010/45 est sans équivoque : "Etant donné que le recours à la facturation électronique peut aider les entreprises à réduire leurs coûts et à accroître leur compétitivité, (…). [les] factures papier et les factures électroniques devraient être traitées de façon identique et les charges administratives pesant sur les factures papier ne devraient pas augmenter".

La Commission européenne a précédé beaucoup d’Etats membres en publiant dès octobre 2011, soit plus d’un an avant le délai maximum fixé au 1er janvier 2013 pour la transposition de la Directive, des "Notes Explicatives", commentant la nouvelle directive et développant ses objectifs, dans le but de permettre une meilleure harmonisation des pratiques entre les Etats membres et de préparer les entreprises à s’adapter aux nouvelles règles (2).

La portée de ces Notes Explicatives, même si elles reflètent en grande partie l’intention du "législateur" européen et les débats qui ont précédé l’adoption de la Directive, est cependant à nuancer, car les Etats membres conservent une certaine marge de manœuvre pour transposer la Directive et définir de façon pratique les modalités d’application de celle-ci au sein de leur territoire.

Toutefois et puisqu’à l’heure actuelle en France, ni les arrêtés ou décrets (3) modifiant les textes de base, ni la doctrine administrative n’ont été modifiés et que l’administration fiscale est assez peu claire sur la portée réelle qu’elle entend donner aux nouveaux textes, les entreprises doivent agir sur la base des seules informations connues à ce jour : les Notes explicatives de la Commission européenne, le rapport de l’"Expert Group" près la Commission européenne publié en 2008, les travaux du Comité européen de normalisation (CEN) dans le cadre de l’ "e-invoicing Workshop III", notamment.

Dans ce brouillard règlementaire, que voit-on venir ?

Nous avons d’ores et déjà quelques certitudes, qui concernent le format des factures électroniques, les garanties que les entreprises doivent fournir à l’Etat, et la loi de facturation applicable. Mais de larges incertitudes demeurent quant aux modalités de contrôle fiscal des factures électroniques et à leur portée, ainsi qu’au regard des règles d’archivage.


Le nouveau format des factures électroniques : la liberté est totale !

La facture électronique n’est désormais plus définie par référence à une norme technique ou informatique comme elle l’était auparavant (4), mais au travers d’une définition générique : "Les factures électroniques sont émises et reçues sous une forme électronique quelle qu’elle soit". Tous les formats sont donc permis : des formats image (de type .PDF, .TIF, .JPEG etc.), comme des formats structurés (de type EDIFACT, XML, UBL etc.).

La facture peut donc être dématérialisée et s’intégrer directement dans la comptabilité du client si les parties se sont mises d’accord sur une norme d’échange d’un message facture (cas des fichiers structurés), ou être adressée simplement en format PDF par email, ce qui ne dispensera pas le client de re-saisir la facture pour l’enregistrer dans sa comptabilité. Dans le premier cas, le client aura répondu à un besoin d’automatisation du traitement des factures fournisseurs, pas dans le second cas. Dans les deux situations, le fait de traiter la facture comme une facture "électronique" - et non papier - aura des conséquences en matière d’archivage.

Mais tout message électronique est-il susceptible de constituer une facture électronique ? Sans doute que oui, si l’on en croit les termes de la Directive et de la loi, dès lors que le message électronique comporte toutes les mentions fiscales obligatoires que doit comporter une facture. Peut-on alors s’opposer au fait de recevoir une facture électronique si notre fournisseur ne nous les envoie plus que par email au lieu d’utiliser la voie postale ? Oui, car l’obligation du client d’accepter de recevoir une facture demeure un pré-requis… mais sans que cette acceptation n’ait à être formalisée. Le fait de recevoir une facture de son fournisseur par email et de la régler sans contester constitue donc a priori une acceptation de recevoir une facture électronique et d’avoir donc à en tirer toutes les conséquences en matière d’archivage et de traçabilité de la piste d’audit (voir ci-dessous).


Les garanties que les entreprises doivent fournir à l’Etat : la liberté sous surveillance…

Si le format de transmission des factures est désormais libre, les entreprises conservent toutefois l’obligation, comme auparavant, de démontrer que la solution choisie permet de garantir (i) l’authenticité de l’origine (que le vendeur est bien celui dont émane le message facture), (ii) l’intégrité du contenu (que la facture n’a pas été modifiée pendant sa transmission), et (iii) la lisibilité de la facture (lisibilité pour un œil humain). Jusqu’au 31 décembre 2012 seuls les formats prévus par les anciens articles 289 bis (EDI) et 289 V (signature électronique avancée) du code général des impôts étaient réputés remplir ces trois conditions.

A compter du 1er janvier 2013, tout les formats électroniques étant admis, l’enjeu devient celui de la charge de la preuve.

C’est en principe à l’entreprise de démontrer que le format qu’elle a utilisé pour émettre ou recevoir sa facture remplit bien ces trois conditions. Pour ce faire, la preuve est libre, mais la loi cite une modalité qui permet de le démontrer : l’entreprise peut notamment présenter à l’administration des "contrôles documentés et permanent" permettant d’établir une piste d’audit entre la facture et la transaction sous-jacente.

En revanche, si l’entreprise a recours aux formats traditionnels (l’ancien EDI de l’article 289 bis et la signature électronique basée sur un certificat qualifié), alors elle sera présumée remplir les trois conditions : ce sera donc à l’administration, en cas de contrôle fiscal, de démontrer que l’une de ces conditions fait défaut, le cas échéant ; l’obligation de présenter des "contrôles documentés et permanents" n’est donc pas requise dans ce cas.

Dès lors que l’administration se dote de nouveaux pouvoirs de contrôle de l’existence de cette documentation, dans le cadre de son droit d’enquête et de communication, elle sera donc à même de le vérifier en dehors d’une vérification de comptabilité. Les entreprises qui acceptent de recevoir des factures électroniques depuis le 1er janvier 2013 – et a fortiori celles qui en envoient - doivent donc sans tarder réfléchir aux modalités de respect des trois conditions d’authenticité, d’intégrité et de lisibilité.


Comment organiser le "contrôle documenté et permanent" permettant de démontrer l’existence d’une piste d’audit entre une facture et la transaction réelle sous-jacente ?

La notion de "contrôles documentés et permanents" devra être définie par voie d’instruction par l’administration fiscale. La Directive prévoit que des "contrôles de gestion" devraient être mis en place, mais ces termes sont inédits en droit fiscal français : on pourrait les comprendre comme une référence aux normes de contrôle interne type COSO ou simplement comme la procédure interne permettant à l’entreprise de démontrer qu’elle a pris toutes les précautions requises pour éviter toute fraude (à la TVA).

Sur la forme, selon nos informations, l’administration n’exigera pas systématiquement que ces contrôles documentés et permanents soient concrétisés par des procédures écrites au sein des entreprises, mais elle s’attend tout de même à ce que ce soit le cas dans les plus grandes entreprises. Enfin, on voit mal comment ces contrôles pourraient ne pas être également électroniques… s’agissant de factures électroniques : le "workflow" du traitement des factures fournisseurs des systèmes d’informations des entreprises devrait donc également permettre d’établir la piste d’audit requise.

Sur le contenu de ces "contrôles documentés et permanents", il s’agira de pouvoir faire le lien entre, par exemple, un bon de commande, la facture (électronique) et son règlement : cela pourrait donc bouleverser les habitudes de nombreuses entreprises en matière d’archivage car, pour établir ce lien, encore faudra-t-il que les documents annexes à la factures (bon de commande, contrat, bon de livraison, bon de réception, pièce de règlement…) aient également été conservés par l’entreprise pendant au moins 6 ans et que le lien puisse être faite entre ces éléments et la facture elle-même.


La loi de facturation applicable : attention à la pratique de vos fournisseurs étrangers

La troisième loi de finances rectificative pour 2012 – transposant la directive 2010/45 - est également venue introduire en droit français des clarifications essentielles quant au droit applicable en matière de facturation.

En synthèse, et pour ne parler que de la majorité des cas, lorsqu’il s’agira de transactions effectuées entre professionnels pour lesquelles la TVA sera acquittée par le client par le mécanisme de l’auto-liquidation, la loi du vendeur gouvernera le contenu et la forme des factures. Si par exemple un fournisseur finlandais adresse une facture en PDF par email à son client français pour une vente de biens entre la Finlande et la France, cette facture sera valide dès lors qu’elle sera conforme au droit finlandais.

Comme en Finlande, mais aussi en Suède et en Grande-Bretagne notamment, cela fait plusieurs années qu’il est naturel de procéder à l’envoi des factures électroniques sous tous types de format et sans autre condition de forme. Il est donc très probable que les entreprises françaises vont recevoir de plus en plus de factures électroniques de la part de leurs fournisseurs étrangers (qui ne respecteront pas les standards des anciens articles 289 bis et 289 V).

Sauf à s’y opposer explicitement, les entreprises françaises seront donc tenues de les archiver électroniquement et de mettre en place les "contrôles documentés et permanents" requis en France.


Rien de change en matière d’archivage…jusqu’à quand ?

Enfin, en matière d’archivage, les règles anciennes vont a priori perdurer.
Le principe reste que les factures reçues en format papier devront être archivées en format papier ; et que les factures émises et reçues en format électronique devront être archivées en format électronique. Toutefois selon nos informations, la tolérance qui permettait aux entreprises, depuis 2007 et sous certaines conditions techniques, d’archiver électroniquement les factures de ventes émises au format papier, va être reconduite.

Le gouvernement a toutefois indiqué vouloir réexaminer, au cours des prochains mois, la possibilité d’archiver toutes les factures électroniquement, quelque soit leur format d’émission et de réception, mais en l’état actuel des textes, l’archivage papier va donc subsister marginalement.


Gwenaëlle Bernier, Associée, Ernst & Young Société d'Avocats


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NOTES

1. Directive 2010/45/UE du 10 juillet 2010, transposée par l’article 62 de la loi de finances rectificative pour 2012 n°2012-1510 du 29 décembre 2012
2. "Notes Explicatives – Règles de facturation en matière de TVA (directive 2010/45/UE du Conseil)", Commission européenne, octobre 2011 (disponible sur le site de la Commission via www.europa.eu )
3. Plusieurs décrets ou arrêtés sont attendus à la fois sur les modalités pratiques d’application des nouvelles règles du mandat de facturation, les nouvelles mentions sur factures, mais aussi les modalités pratiques d’application des nouvelles règles de facturation électroniques visées à l’art.289-VII 2° et 3° CGI ; à l’heure de la rédaction de cet article aucun de ces textes n’a été publié.
4. Jusqu’au 31 décembre 2012, la facture électronique au sens fiscal du terme est soit une facture émise et transmise selon un protocole EDI convenu entre les parties (ancien article 289 bis du CGI), soit une facture émise et transmise électroniquement au moyen d’une signature électronique avancée (ancien article 289 V du CGI).


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