Deux avocats apportent des éclaircissements sur la prescription en matière de vice caché et dispensent leurs conseils à destination des services juridiques pour gérer au mieux l'après-vente.
Dans le cadre des Rencontres Business du Monde du Droit, qui se sont déroulées mercredi 27 mars 2019, Charles-Siegfried Fahrner, Avocat Manager et Membre du Comité de Direction, Vogel & Vogel, et Sylvain Corvol, Avocat Manager Senior du Département Droit de la consommation, Vogel & Vogel, ont fait un point sur la prescription en matière de vice caché et ont présenté leurs règles d’or pour la gestion de l’après-vente au sein d’un service juridique.
Le champ de la responsabilité civile de la vente et de l'après-vente est extrêmement vaste et potentiellement complexe, préviennent les avocats.
Non seulement les produits eux-mêmes se complexifient, mais le contexte sociétal évolue, avec un accès facilité du consommateur à l'information via internet et des réseaux sociaux. Les vendeurs peuvent ainsi se trouver confrontés à une clientèle avertie ou au contraire profane.
Les risques pour l'entreprise relèvent du domaine civil ou pénal, mais touchent aussi potentiellement à son image de marque. Sans compter qu'à défaut de mesures adaptées, le vice caché peut s'aggraver au fil du temps.
Mais le risque est aussi inhérent à l'état du droit positif : un nombre important de fondements juridiques sont invocables en la matière, dont chacun est porteur de son champ d'application et de son régime. Comment s'y retrouver ?
Le point sur la prescription en matière de vice caché
Les textes de base applicables :
- L'article 1641 du code civil, dont il résulte que la garantie des vices cachés ne s'applique qu'au vendeur (aux vendeurs successifs le cas échéant) ;
- L'article 1644 du code civil, qui permet à l'acheteur de se faire restituer le prix de vente, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix.
- L'article 1645 du code civil, qui prévoit le versement de dommages et intérêts à l'acheteur dans le cas où le vendeur connaissait les vices de la chose.
Quid des délais de prescription ?
La réforme de la prescription intervenue en 2008 a notablement raccourci les délais de prescription.
- S'agissant de vente entre non commerçants, l'article 1648 du code civil prévoit un délai de 2 ans à compter de la découverte du vice pour intenter une action.
- En matière commerciale, l'article L. 110-4 du code de commerce fixe un délai de 5 ans après la vente.
- La combinaison des articles 2224 et 2232 du code civil implique un délai de prescription maximal de 20 ans.
Ces différents délais ont potentiellement une incidence directe sur l'issue du litige au fond. En matière de référé, si l'action au fond est déjà prescrite, le juge peut ne pas rendre sa décision ou bien opter pour un autre fondement juridique.
Vers une évolution de la jurisprudence ?
Un certain nombre de questions se trouvent donc posées, à propos desquelles il conviendra de suivre d'éventuelles évolutions jurisprudentielles, parmi lesquelles :
- la question du double délai : 2 ans après la découverte du vice / 5 ans après la vente ;
- l'application des mêmes délais pour l'action contre le vendeur, l'action indirecte, l'action récursoire ;
- l'application de délais différents en matière civile et commerciale ;
- l'absence d'indemnisation du vendeur en cas de résolution de la vente.
S'agissant de ce dernier point, les deux intervenants notent que l'article 1352-3 du code de commerce précise que "la restitution inclut les fruits et la valeur de la jouissance que la chose a procurée".
Mais la principale évolution escomptée provient d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) dont on attend la décision de transmission ou non par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel, vise à soumettre à celui-ci la question de la conformité à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (droit à un recours effectif) des articles L. 110-4 du code de commerce et 1648 du code civil, tels qu'interprétés par la Cour de cassation. Les requérants pointent en effet le cas de figure où le vice est découvert postérieurement au délai de 5 ans.
Que ces prochaines évolutions législatives soient ou non au rendez-vous, Charles-Siegfried Fahrner et Sylvain Corvol dispensent quelques conseils à l'intention des services juridiques.
Les règles d'or de la gestion de l'après-vente
1 - Gérer le litige naissant pour éviter le contentieux
Il s'agit de prévenir et gérer les conflits en remplissant le plus largement possible l'obligation d'information vis-à-vis du client et conserver les preuves de cette information. Le produit est à envisager par rapport à l'usage qui va en être fait par le consommateur. La politique après-vente sera adaptée et l'on prendra garde au fait que la charge de la preuve différera selon le fondement juridique.
2 - Mettre en oeuvre une politique de traitement des dossiers rigoureuse et adaptée
La prudence est de mise face aux expertises amiables, qui par définition ne sont pas encadrées par le code de procédure civile. Elles peuvent être versées au dossier à la double condition d'être débattues contradictoirement et d'être corroborées par d'autres éléments de preuve. Il s'agit de les prendre au sérieux et de les préparer avec soin.
3 - Préparer les expertises judiciaires et y participer utilement, en prenant soin de bien définir leur périmètre.
4 - Développer une approche transactionnelle réfléchie
S'il peut être opportun de transiger si cela clôt le litige, ne pas transiger peut permettre de mettre hors de cause le produit.
En complétant ces conseils avisés et éprouvés par, on l'aura compris, une solide veille juridique...
Pascale Breton