Droits d’auteur : Internet s’apprête à connaître un bouleversement majeur

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stefan naumannLe Parlement français envisage d’adopter prochainement un projet de loi lié à la nouvelle directive européenne sur le droit d’auteur. Le texte va modifier en profondeur la relation entre les créateurs de contenu (artistes, presse et médias principalement) et les sites où ces contenus sont réutilisés, au premier rang desquels se trouvent les réseaux sociaux et les services de Google.

C’est une petite révolution qui s’annonce sur Internet. Jusqu’ici, la limitation de responsabilité des fournisseurs d’accès à Internet, dont les réseaux sociaux et plateformes de partage, a toujours permis aux internautes de poster du contenu en ligne sans que le respect des ayants-droits soit réellement pris en compte. Les réseaux sociaux profitent de cette limitation de responsabilité pour reprendre gratuitement le titre, l’illustration et l’introduction d’articles de presse non libres de droits pour leurs fils d’actualités. Cette situation pourrait changer avec la nouvelle directive européenne sur le droit d’auteur, qui cherche à rééquilibrer les revenus entre les producteurs et les diffuseurs de contenus en ligne.

Les géants de l’Internet (hors sites de commerce en ligne) dans le viseur de la directive

La directive européenne qui s’apprête à être transposée dans le droit national de chaque Etat membre met en place un système de licences collectives qui devraient permettre aux ayants-droits de se regrouper pour négocier des accords face aux géants de l’Internet. La directive a pour but explicite d’aboutir à une redistribution des revenus générés par l’exploitation en ligne de ces contenus. Le système rappelle celui dont les ayants-droits musicaux bénéficient par exemple à travers la SACEM. Sont uniquement concernées les plates-formes réalisant plus de 10 millions d’euros de chiffre d’affaires, dépassant 5 millions d’utilisateurs mensuels et ayant 3 ans ou plus d’ancienneté.

La directive avait fait l’objet d’un intense lobbying de la part des principaux acteurs visés par cette directive, qui se sont opposés au texte et en étant rejoints par certains défenseurs des libertés sur Internet. Les plates-formes pourront toutefois continuer à bénéficier d’un régime de gratuité si la reprise de contenu sous droit d’auteur se limite à « quelques mots ». Le texte de la directive n’est pas plus précis à ce sujet et ce sera donc aux Etats membres et aux tribunaux de préciser où s’arrêteront ces « quelques mots » et où s’arrêtera la gratuité.

Un texte qui soulève des questions

Pour les plates-formes concernées, la redistribution d’une partie de leurs revenus va naturellement représenter un coût qui pèsera sur leurs marges, au risque de rendre certains services non rentables. Un exemple intéressant a déjà eu lieu en Espagne, où Google avait décidé d’arrêter son service Google News jugé trop peu rentable suite à une décision du juge espagnol sur la rémunération des éditeurs de presse. Le risque serait donc un appauvrissement de l’offre aux internautes.

Les utilisateurs pourraient ainsi être désagréablement surpris par les effets de cette nouvelle réglementation. Il existe en effet un risque de voir se réduire non seulement l’offre de contenus protégés par le droit d’auteur, mais également les utilisations licites d’œuvres soumises au droit d’auteur sur les réseaux sociaux. En effet, un contrôle de tous les contenus par les opérateurs humains serait trop couteux, voire impraticable, de sorte que les opérateurs mettront en place des filtres qui pourraient aussi bloquer des photographies personnelles dans lesquels apparaissent des contenus protégés alors que cette utilisation pourrait bénéficier des exceptions au monopole conféré par le droit d’auteur. De même, le fait de poster une photographie ou un dessin dont les ayants-droits sont complexes à identifier pourrait être bloqué par les réseaux sociaux et plateformes de partage. La réglementation et le filtrage des contenus soulèvent ainsi un plus large débat sur la liberté d’expression.

D’énormes enjeux économiques et sociaux en perspective

On l’aura compris : les impacts de cette directive comportent des enjeux économiques et sociétaux colossaux. Les montants en jeu pourraient être très importants et sont susceptibles de changer la façon dont fonctionne Internet depuis sa création. Dans tous les cas, le marché de l’exploitation des œuvres sur Internet sera impacté en profondeur.

La question se pose désormais de savoir exactement comment chaque Etat membre transposera ce texte et comment les acteurs s’y adapteront dans chaque pays. La France aura un rôle précurseur car elle devrait être l’un des premiers pays à transposer la législation européenne en droit national, et ce de manière assez stricte.

L’enjeu dépasse le simple cadre européen. D’autres régions du monde pourraient s’inspirer de la législation européenne à l’avenir en adoptant des textes de loi semblables. La Californie, foyer des GAFA, s’était d’ores et déjà inspirée de la législation européenne sur la protection des données (RGPD) pour adopter un texte de loi semblable. L’Union européenne fait figure de modèle précurseur en matière réglementaire dans le domaine de l’exploitation sur Internet de contenus protégés par le droit d’auteur, et cette directive pourrait trouver un écho dans le monde entier pour amener les médias sociaux à financer davantage les créateurs et producteurs de contenus de qualité.

Stefan Naumann, Avocat Associé du cabinet Hughes Hubbard & Reed


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