En jugeant que le comptable public est fondé à se faire attribuer de façon immédiate la valeur de rachat de contrats d’assurance-vie donnés en garantie du remboursement d’un prêt, alors que leurs souscripteurs avaient expressément renoncé à leur faculté de demander le rachat, le juge de l’exécution vient de rendre des décisions inédites qui, à les regarder de plus près, semblent remettre en cause certains principes pourtant bien établis de notre droit, en même temps qu’elles font craindre pour l’avenir du contrat d’assurance-vie utilisé comme garantie.
La loi n°2013-1177 du 6 décembre 2013 réformant l’avis à tiers détenteur a autorisé le comptable public à se faire attribuer la valeur de rachat des contrats d’assurance-vie souscrits par les contribuables débiteurs d’arriérés fiscaux.
La question s’est récemment posée de savoir si le fait que ces contrats aient pu être donnés en garantie du remboursement d’un prêt, via un nantissement, faisait obstacle à une telle attribution.
Après avoir jugé que l’avis à tiers détenteur était inefficace en pareil cas1, opinion au demeurant partagée par l’administration elle-même2, le juge de l’exécution3 , approuvé par la Cour d’appel de Paris4 , statue désormais en sens inverse au motif que le comptable public, en ce qu’il bénéficie du privilège général de l’article 1920 du Code général des impôts, doit primer tous les autres créanciers.
Une telle solution serait parfaitement justifiée en présence d’un simple nantissement de cause, dans le cadre duquel la créance donnée en garantie ne quitte pas le patrimoine du débiteur poursuivi.
Cependant, les nantissements en cause ici étaient soumis aux dispositions spécifiques de l’article L.132-10 du Code des assurances, dont la doctrine déduit qu’elles confèrent au seul créancier nanti le droit de demander le rachat du contrat5 , cependant que pour la Cour de Cassation, la créance de rachat du contrat ne fait partie du patrimoine du souscripteur qu’à la condition qu’il n’y ait pas renoncé6.
Les juges auraient donc dû se poser la question de savoir si, en donnant son contrat en nantissement, le contribuable poursuivi n’avait pas, par la même occasion, « renoncé » à sa créance de rachat au profit du créancier nanti, ce qui aurait eu pour effet, selon la Cour de Cassation, de faire sortir celle-ci de son patrimoine, rendant ainsi toute attribution impossible.
Cette question a malheureusement été éludée par les juges, la Cour d’appel de Paris allant au contraire jusqu’à affirmer que la faculté de rachat pouvait être exercée en lieu et place du prêteur nanti, ce qui laisse entendre que le comptable public, du fait de son privilège général, pourrait exercer des droits que son propre débiteur n’a pas !
La question se posait ensuite de savoir si, du fait de la renonciation du souscripteur à racheter son contrat jusqu’au complet remboursement de son prêt, la créance de rachat pouvait néanmoins être liquidée de manière immédiate par le comptable public.
En dépit des termes de l’article L.273-0-A du Livre des procédures fiscales confirmant que les créances conditionnelles ou à terme ne peuvent pas être attribuées de manière immédiate, il a été répondu par l’affirmative, ce qui laisse entendre cette fois que le comptable public aurait le pouvoir de modifier l’échéance des créances qu’il cherche à se faire attribuer !
Si l’objectif de la réforme de 2013 qui était de renforcer les moyens de recouvrer l’impôt, semble plus qu’atteint ici, les effets à long terme de ces récentes décisions posent question.
En effet, le fait d’utiliser la valeur de rachat des contrats d’assurance-vie du contribuable pourrait finir par le déresponsabiliser face à l’impôt, ce d’autant qu’aussi longtemps qu’il honorera le remboursement de son prêt, il sera prémuni contre les poursuites de son prêteur, pourtant dépossédé de sa garantie de remboursement.
Enfin, la négation des droits du prêteur sur la valeur de rachat, lorsqu’il est en concurrence avec le comptable public, risque d’impacter à la baisse la richesse créée grâce au crédit, les prêteurs étant dissuadés de prêter aux contribuables n’ayant que leur contrat d’assurance-vie à offrir en garantie.
C’est donc au final le montant même de l’impôt à collecter qui risque de diminuer.
A trop embrasser, on finit par mal étreindre….
Jefferson Larue, Avocat Associé, Arst Avocats
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NOTES
1. Par exemple, TGI de Paris, 19 avril 2017, RG 17/80330
2. BOFPI du 28 août 2017, REC – Mise en œuvre du recouvrement- Avis à tiers détenteur- Effets, §366, p.19/27
3. Par exemple, TGI de Paris, 27 septembre 2017, RG 17/81106
4. Par exemple, CA Paris, Pôle 4 – Chambre 8, 18 avril 2019, RG 18/05798
5. Le nantissement d’assurance vie réformé en catimini, Nicolas Leblond, RCA, mars 2008
6. Cass. Com., 9 juillet 2015, pourvoi n°15-40017