Rémi Hanachowicz, avocat associé, Léa Bourrel, avocate, et Anaïs Menard, avocate EFB, du cabinet Lamartine Conseil décryptent pour Le Monde du Droit l'ordonnance du 25 mars 2020 relative à l'aménagement des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire actuelle.
La loi d’urgence sanitaire du 23 mars 2020 habilite le Gouvernement à prendre, par voie d’ordonnances, toutes mesures pour faire face aux conséquences, notamment de nature administrative ou juridictionnelle, de la propagation du Covid-19.
Dès lors, dans l’objectif de préserver les droits de tous et de s’adapter aux contraintes du confinement, une des vingt-cinq ordonnances du 25 mars 2020 est spécialement dédiée à l’aménagement des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période.
Dans ce contexte, nous vous proposons une analyse simple et pratique des dispositions générales emportant prorogation des délais, contenues au sein de cette ordonnance n° 2020-3061 et explicitées par Circulaire2.
Le champ d’application des mesures contenues dans l’Ordonnance dédiée à l’aménagement des délais
Les délais concernés sont ceux qui arrivent à échéance entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré (ci-après « la Période de suspension des délais »)3.
A l’heure de la rédaction de la note, les dates à retenir sont :
- 12 mars 2020 : date de début de la période à prendre en compte pour entrer dans le champ d’application du régime de prorogation des délais ;
- 24 mai 2020 : date actuelle de fin de l’état d’urgence sanitaire ;
- 24 juin 2020 : date de fin de la période à prendre en compte pour le régime de prorogation des délais. (24 mai + 1 mois)
A l’heure actuelle, sont donc visés les délais à échéance entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020.
Attention, certains délais sont exclus de ce périmètre, quand bien même arriveraient-ils à échéance durant cette période :
- les délais applicables en matière pénale et procédure pénale ;
- les délais applicables en matière d'élections (régies par le code électoral) ;
- les délais encadrant les mesures privatives de liberté ;
- les délais concernant les procédures d'inscription à une voie d'accès de la fonction publique ou à une formation dans un établissement d'enseignement ;
- les délais relatifs aux opérations sur les instruments financiers - obligations financières et garanties y afférentes – (tels que mentionnées aux articles L. 211-36 et suivants du Code Monétaire et Financier) ;
- les délais impartis dans les conventions conclues dans le cadre d'un système de paiement et systèmes de règlement et de livraison d'instruments financiers (article L. 330-1 du Code Monétaire et Financier) ;
- les délais et mesures aménagés en application de la loi d'urgence pour faire face à l'épidémie ;
Sont inclues sous réserve les mesures restrictives de liberté et autres mesures limitant un droit ou une liberté constitutionnellement garantie, sous réserve qu’elles n’entrainent pas une prorogation au-delà du 30 juin 2020.
Mécanismes et mise en œuvre de la prorogation
Comme expliqué ci-avant, toutes les échéances comprises entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020 (hors exclusion) ont été aménagées par Ordonnance. Ces échéances peuvent consister dans des délais procéduraux, mais également être liées à des mesures administratives ou judiciaires en cours avant le 12 mars 2020. Il peut encore s’agir d’échéances afférentes à des astreintes ou à l’application de clauses contractuelles ayant pour objet de sanctionner l’inexécution du débiteur.
Enfin, l’ordonnance susvisée encadre les délais afférents aux renouvellements des contrats par tacite reconduction ainsi que ceux afférents à la résiliation des conventions.
Il convient donc d’analyser les mécanismes de prorogation prévus par l’Ordonnance pour chacune de ces quatre catégories d’échéances.
Le report des termes et des échéances
Il convient de distinguer deux hypothèses :
- Malgré les circonstances, l’acte est réalisé dans les délais normaux impartis : cela n’apporte pas de difficulté ;
- L’acte n’a pas pu être réalisé dans les délais normaux impartis : il n’y aura pas de sanction dès lors que l’acte est réalisé dans le cadre de la prorogation desdits délais.
C’est donc cette dernière hypothèse qui doit être étudiée.
Quel est le champ d’application de la mesure de prorogation ? Comment fonctionne le mécanisme de report de termes et d’échéances ? Quand a-t-il vocation à être invoqué ?
Point de vigilance (exclusions) :
L’ordonnance ne prévoit pas de supprimer la réalisation de tout acte ou formalité dont le terme échoit dans la période visée : elle permet de considérer comme n’étant pas tardif l’acte réalisé dans le délai supplémentaire imparti.
De même, sont exclus les actes prévus par des stipulations contractuelles :
- Les délais sont maintenus : la prorogation ne s’applique pas.
- Le paiement des obligations contractuelles doit toujours avoir lieu à la date prévue par le contrat.
- Les dispositions de droit commun restent applicables le cas échéant si leurs conditions sont réunies et sous réserve de l’appréciation du juge, par exemple la suspension de la prescription pour impossibilité d’agir en application de l’article 2234 du code civil, ou encore le jeu de la force majeure en matière contractuelle prévue par l’article 1218 du code civil.
Schéma synthèse
Mesures administratives et judiciaires
Interruption et prorogation des astreintes et de certaines clauses
Prolongation des délais de résiliation/dénonciation des conventions
Prolongation de deux mois après la fin de la Période de suspension des délais (soit à l’heure actuelle au 24 août 2020) des délais pour résilier ou dénoncer un contrat lorsque sa résiliation ou l’opposition à son renouvellement devait avoir lieu dans une période ou un délai qui expire durant la Période de suspension des délais.
Attention : cette disposition est notamment susceptible de perturber vos congés en matière de baux commerciaux.
Exemple : les effets du congé délivré sont reportés aux deux mois suivant la fin de la Période de suspension des délais.
Dispositions particulières aux délais et procédures en matière administrative
Enfin, l’ordonnance consacre également un principe de suspension des délais en matière administrative, et notamment :
- au regard des délais imposés à l’Administration ou par l’Administration ;
- dans le domaine fiscal ;
- dans les procédures d’enquêtes publiques.
Par Rémi Hanachowicz, avocat associé, Léa Bourrel, avocate, et Anaïs Menard, avocate EFB, du cabinet Lamartine Conseil.
1. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=1A3510D960C3362DE865E05B78B57869.tplgfr36s_2?cidTexte=JORFTEXT000041755644&dateTexte=&oldAction=rechJO&categorieLien=id&idJO=JORFCONT000041755510
2. Circulaire de présentation des dispositions du titre I de l’ordonnance n° 2020- 306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période.
3. Le texte voté par le Parlement le 22 mars 2020 sur la situation sanitaire actuelle prévoit que l'état d'urgence entre en vigueur pour une durée de deux mois sur l'ensemble du territoire national à compter de la publication de la loi. La loi ayant été publiée le 24 mars 2020, l’état d’urgence se termine donc, à l’heure actuelle, le 24 mai 2020.