Mathilde Charmet-Ingold, avocate au sein du cabinet BCTG Avocats, décrypte pour le Monde du Droit les mesures gouvernementales sur les délais de prescription.
Les mesures instaurées par le Gouvernement pour faire face au COVID-19 et l’arrêt quasi-total des juridictions compliquent l’introduction de procédures en matière civile ou commerciale. Beaucoup s’inquiètent d’une prescription susceptible d’intervenir et s’interrogent sur les démarches à entreprendre pour initier leurs recours.
Le report des délais échus instauré par l’Ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020
Pour pallier ces difficultés, le Gouvernement a été autorisé par la Loi d’urgence du 23 mars 2020 à prendre diverses mesures, ce qu’il a fait avec l’Ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 en instaurant une prorogation des délais échus pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la cessation de l’état d’urgence, aujourd’hui fixée au 24 mai 2020 (cette date pouvant être reportée).
Ce mécanisme de report des délais est expliqué à l’article 2 :
« Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois. »
et a été précisé par une Circulaire du 26 mars 2020 :
« L’ordonnance ne prévoit ni une suspension générale ni une interruption générale des délais arrivés à terme pendant la période juridiquement protégée définie à l’article 1er, ni une suppression de l’obligation de réaliser tous les actes ou formalités dont le terme échoit dans la période visée. L’effet de l’article 2 de l’ordonnance est d’interdire que l’acte intervenu dans le nouveau délai imparti puisse être regardé comme tardif. »
En résumé :
- une période juridiquement protégée est créée du 12 mars au 24 juin 2020 ;
- pour bénéficier du report des délais, il faudra agir dans les trois mois de la fin de l’état d’urgence ;
- ce report ne s’applique pas aux délais dont la prescription était acquise au 12 mars 2020 ou qui viendrait à être acquise après la fin de la période juridiquement protégée, la Chancellerie n’ayant pas souhaité instaurer de suspension ou d’interruption générale de prescription ;
- ce mécanisme concerne les actes prescrits par la loi ou les règlements, ainsi que les délais légalement impartis pour agir, mais non les délais contractuels ou conventionnels pour lesquels les principes de droit commun demeurent applicables.
La suspension des délais selon l’article 2234 du Code civil
Le principe général de droit commun de l’article 2234 du Code civil selon lequel la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui a été empêché d’agir en présence d’un cas de force majeure demeure applicable pour justifier, si nécessaire, de la suspension d’un délai de prescription non couvert par le mécanisme de report des délais.
La question de l’assimilation du COVID-19 à un cas de force majeure se pose donc aussi en matière procédurale. Outre les critères d’extériorité et d’imprévisibilité, il faudra démontrer l’irrésistibilité, ce qui ne pourra probablement pas résulter de la seule épidémie sur le territoire.
Il pourrait être soutenu que les mesures prises par le Gouvernement pour tenter d’enrayer l’épidémie, comme le confinement entré en vigueur le 17 mars 2020 ou encore la mise à l’arrêt d’un grand nombre de juridictions, ont empêché d’introduire une procédure nécessaire à l’interruption d’un délai de prescription non encore acquis mais susceptible de l’être pendant l’état d’urgence.
Dans ce cas, le cours de la prescription serait simplement suspendu et la procédure devrait être introduite dès la levée du confinement ou de l’état d’urgence mais surtout avant l’expiration du délai de prescription restant à courir. Le délai de trois mois suivant la cessation de l’état d’urgence instauré par l’Ordonnance n°2020-306 serait quant à lui inapplicable.
L’intérêt de la médiation en période d’état d’urgence
La saisine des juridictions étant difficile, les parties qui ne peuvent pas, ou ne souhaitent pas attendre pour résoudre leurs différends auront intérêt à se tourner vers la médiation qui a le mérite de suspendre la prescription dans les conditions de l’article 2238 du Code civil et de faciliter la résolution des différends sans s’exposer aux allongements des délais de traitement des litiges qui résulteront très certainement de cet état d’urgence sanitaire.
Les organismes de médiation se sont d’ailleurs organisés pour poursuivre leur activité et faciliter la tenue de réunion de médiation par visioconférence garantissant ainsi la sécurité sanitaire indispensable en cette période de confinement.
Mathilde Charmet-Ingold, avocate au sein du cabinet BCTG Avocats.