Depuis le 17 mars 2020, date du premier jour de mise en confinement de la population française pour contrer la propagation du Covid-19, on ne compte plus les articles de presse (nationale, régionale ou magazine) qui traitent des conséquences du huis clos sur le couple. A croire que le confinement serait l’épreuve ultime : ça passe ou ça casse. Sur le terrain, les préoccupations sont tout autres comme en témoigne Me Geneviève Claoué-Lafarge, avocat au Barreau des Hauts-de-Seine.
L’heure n’est pas au divorce. « On ne peut pas engager une procédure de divorce en ce moment », déclare Me Geneviève Claoué-Lafarge. « Judiciairement tout est bloqué. La seule possibilité est d’encourager des négociations dans le cadre d’un divorce contractuel, si l’on arrive à apaiser le climat entre les parties ». En effet, le confinement pointe les limites de la « justice numérique », comme l’a souligné Christiane Féral-Schuhl, présidente du CNB (Le Monde du droit, 15 avril 2020). Le système RPVA (réseau privé virtuel des avocats), en lien avec le RPVJ (réseau privé virtuel de la Justice), est à l’arrêt, les greffiers étant pour la plupart confinés. « On ne peut pas déposer une requête en divorce. Même pour les audiences de procédure en cours, les messages ne sont pas lus », confirme Me Claoué-Lafarge.
Si le service public de la Justice en matière civile semble paralysé, l’activité de l’avocate n’est que ralentie.
La crise sanitaire semble avoir provoqué des querelles entre les parents séparés. « Depuis que je suis confinée, avec ma secrétaire en télétravail, j’ai beaucoup d’appels de clients au sujet du droit de visite et d’hébergement : le parent qui veut voir ses enfants se voit opposer le virus. Le parent gardien invoque l’obligation de confinement et l’intérêt des enfants ». Comme l’a rappelé sur son site le ministère de la Justice, « pendant la période de confinement, le droit de visite et d’hébergement des enfants continue de s’appliquer. Les enfants doivent donc en principe se rendre chez l’autre parent selon les modalités prévues par la décision de justice » (Communiqué de presse du ministère de la Justice, 2 avril 2020). Me Claoué-Lafarge souligne qu’effectivement les textes relatifs aux déplacements pendant le confinement ne sont pas clairs sur ce point. Le ministère de la Justice a dû préciser, par la suite, que les droits de visite et d’hébergement entrent dans le cadre des dérogations de déplacement prévues dans l’attestation pour « motif familial impérieux, pour l’assistance des personnes vulnérables ou pour la garde d’enfant ». Si la non-représentation d’enfant peut être punie d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende, l’avocate rappelle que les dispositions de l’article 227-5 du Code pénal sont d’interprétation restrictive. « Il semble difficile de poursuivre le parent à partir du moment où ce dernier n’a pas refusé indûment de présenter ses enfants. L’infraction n’est pas commise du fait de l’existence d’un motif légitime [NDLR : consignes sanitaires] justifié dans l’intérêt de l’enfant » (C. civ., art. 371-1). L’avocat dit régler les litiges amiablement. Les parents adaptent temporairement les modalités prévues judiciairement. Fort heureusement, elle n’a pas eu à connaître de cas d’enfant en danger, contrairement à certains de ses confrères.
Si le temps n’est pas favorable au lancement d’une procédure de divorce, certaines ont déjà été lancées avant le confinement. Et les grands gagnants en cette période semblent être les modes alternatifs de règlement des différends (MARD). « C’est très difficile, toutes les audiences sont renvoyées d’office. On gère par téléphone ou en visioconférence. On essaye de trouver des solutions (procédure participative, droit collaboratif) ou de faire évoluer le divorce vers un accord par la médiation. Ce sont les seuls modes possibles d’échanges entre les parties et les avocats pour faire avancer les dossiers. » Les pourparlers portent notamment sur les conséquences pécuniaires du divorce. Se pose alors la problématique de l’évaluation de la prestation compensatoire (C. civ., art. 270 s.).
Pour le futur débiteur, chef d’entreprise ou exerçant une profession libérale, dont l’activité est fortement perturbée depuis le 17 mars, quelle influence auront les conséquences économiques du Covid-19 ? « On se projette. Il faut envisager l’idée que l’année prochaine les revenus du futur débiteur de la prestation risquent de baisser. Il va y avoir des modifications sur ce qui a été estimé puisque la prestation compensatoire est évaluée à la date du divorce en fonction des revenus et des patrimoines de chacune des parties et non au début de la procédure. Les critères ne vont pas changer mais l’appréciation du juge devrait tenir compte du fait de cet élément extérieur qui va provoquer une chute de revenu importante pour certains », estime l’avocate. « La perte de revenu du débiteur pourra être compensée par un bien s’il en détient un. Certes, la situation sera à l’avantage du débiteur et non du créancier qui a moins de revenus et qui comptait sur une prestation compensatoire. »
La question se pose alors de la révision des prestations compensatoires post-Covid-19. Pour Me Claoué-Lafarge, « il est trop tôt pour envisager des révisions quelles qu’elles soient. Il va falloir observer dans les prochains mois comment va évoluer la reprise de l’activité économique. Mais on peut y penser, prévenir ses clients et préparer ses dossiers, d’autant qu’à partir du 1er septembre 2020 le recours à l’avocat sera obligatoire pour toutes les demandes de révision de prestation compensatoire. Le débiteur qui verra ses revenus baisser considérablement pourra solliciter le juge. Il faudra, au préalable, faire une démarche amiable. Des demandes de rééchelonnement pour les prestations en capital pourront être faites. Pour les prestations en rente, pourront être sollicitées la révision, la suspension ou la suppression en cas de réelle catastrophe (absence de revenu ; C. civ., art. 276-3). De même on pourra convertir la rente en capital (C. civ., art. 276-4). Elle pourra être envisagée par l’abandon en capital d’un bien, d’un droit d’usage ou d’un droit d’usufruit. Pour le moment, je n’ai aucune demande en ce sens. Les débiteurs vivent toujours de leur trésorerie du début de l’année. Le problème n’est pas encore là, il viendra après ». Selon l’avocate, le rush judiciaire en la matière pourrait intervenir au cours du deuxième trimestre 2021.
Le service public de la justice reprendra-t-il dès le 11 mai ? Rien n’est encore précisé par le ministère de la Justice. Il est à craindre que l’institution de la Justice mette beaucoup de temps à se remettre en ordre de marche et que les délais pour obtenir un jugement deviennent insupportables pour beaucoup. Tout porte à croire que l’activité des cabinets va reprendre rapidement dans le cadre des MARD afin de résoudre ce problème ; « j’ai beaucoup de clients qui souhaitent prendre rendez-vous après le confinement. La demande vient d’eux, malgré la consultation téléphonique ». Il semble qu’en matière de relation client, le téléphone et la visioconférence n’ont pas le même impact que le contact physique du rendez-vous cabinet. « C’est indispensable quand on est avocat », conclut Me Claoué-Lafarge.
Marie Beau