L'arbitrage en temps de pandémie

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Daniel Mainguy, Professeur de droit à l’université de Montpellier, Président de la Commission d’arbitrage du Centre de Médiation et d’Arbitrage de Paris (CMAP) et Denis Mouralis, Professeur de droit à Aix Marseille Université, Conseiller du Centre de médiation et d’arbitrage de Paris (CMAP), reviennent pour le Monde du Droit sur les procédures d'arbitrage durant la période actuelle marquée par la pandémie de Covid-19.

Les mesures de confinement1 et l’état d’urgence sanitaire2 destinés à faire face à la pandémie de covid-19 qui frappe le monde et la France, ainsi que la maladie elle-même, induisent, dans la pratique du droit, des effets nombreux et divers. La résolution des différends économiques n’y échappe pas, qu’il s’agisse des procédures judiciaires3, de la médiation4 ou de l’arbitrage. Concernant cette dernière méthode de résolution des différends, qui est, faut-il le rappeler, de nature juridictionnelle, la situation sanitaire et les textes adoptés depuis deux mois posent plusieurs questions aux litigants, à leurs conseils aux arbitres et aux centres d’arbitrage. On pense immédiatement aux cas où les parties ont déjà opté pour l’arbitrage : qu’advient-il de la procédure arbitrale ? Cependant, même lorsque les parties n’ont pas encore fait le choix de l’arbitrage, le contexte actuel devrait les y encourager. Enfin, les mesures prises par les différents États pourraient inciter les opérateurs économiques à rechercher des coupables, en invoquant les traités de protection des investissements.

Lorsque les parties ont déjà œuvré pour l'arbitrage

Lorsque survient un différend relevant d’une convention d’arbitrage déjà conclue par les parties, il convient de mettre cette dernière en œuvre, ce qui appelle un certain nombre d’observations. La configuration est différente si la procédure arbitrale est déjà en cours.

Mise en œuvre de l'arbitrage

La mise-en-œuvre de l’arbitrage dans la période actuelle de pandémie pose trois questions : comment communiquer la demande d’arbitrage et sa réponse ? les délais à respecter sont-ils modifiés ? la résolution des difficultés de constitution du tribunal arbitral est-elle toujours possible ?

Forme des communications

La partie souhaitant mettre un arbitrage en œuvre doit communiquer sa demande. Le destinataire en est soit le défendeur lui-même, soit, s’il s’agit d’un arbitrage institutionnel, le secrétariat du centre d’arbitrage, qui transmet la demande au défendeur5. Le défendeur doit ensuite répondre, soit au demandeur directement, soit au secrétariat du centre6. Ces échanges se font selon les modalités prévues, en arbitrage ad hoc, par la convention d’arbitrage et, en arbitrage institutionnel, par le règlement d’arbitrage. Ces textes prévoient souvent le recours à des lettres recommandées avec avis de réception (LRAR), qui restent possible mais qui sont malcommodes, puisqu’elles supposent de se rendre dans un bureau de poste. Une première alternative est l’envoi d’une LRAR en ligne, sur le site de la Poste. Cette solution n’est pas idéale. D’une part, le volume du document à expédier est limité à 8 pages et 7 mo, ce qui peut être insuffisant pour une demande d’arbitrage. D’autre part, l’impression et le traitement du courrier par les agents de la poste est contraire à la confidentialité, principe cardinal du droit de l’arbitrage7, et au secret professionnel, au cœur de la déontologie des avocats8 qui, la plupart du temps, se chargent de ces formalités. Par ailleurs, pour que le courrier soit traité rapidement, il convient qu’une permanence soit assurée dans les locaux du destinataire, à une période où le télétravail est largement utilisé.

La question qui se pose alors est de savoir si, nonobstant les dispositions exigeant le recours à une LRAR, le demandeur, le défendeur et le centre d’arbitrage peuvent communiquer par courrier électronique. Autrement dit, les litigants, leurs conseils et le centre d’arbitrage peuvent-ils déroger aux dispositions de la convention d’arbitrage et du règlement d’arbitrage, qui ont entre eux valeur contractuelle ? Aucune des dispositions exceptionnelles adoptées par le gouvernement et le parlement depuis le 16 mars ne prévoient la substitution de la communication électronique à la communication postale prévue contractuellement entre les parties. A défaut, on pourrait songer à invoquer, mutatis mutandis, l’article 6, alinéa 1er, de l’ordonnance relative à l’adaptation des procédures devant les juridictions de l’ordre judiciaire9, qui dispose :

Les parties peuvent échanger leurs écritures et leurs pièces par tout moyen dès lors que le juge peut s'assurer du respect du contradictoire.

Cependant, il est douteux que cet article s’applique à l’arbitrage, puisque l’ordonnance concerne les juridictions de l’ordre judiciaire, ce que ne sont pas les tribunaux arbitraux, ni les centres d’arbitrage. On pourrait alors songer à une autre piste, celle de la force majeure10, en soutenant que la situation sanitaire, qui expose les personnes entrant en contact avec d’autres personnes à un risque élevé de contagion, empêche les protagonistes de l’arbitrage de respecter leur obligation de communiquer par LRAR et justifie qu’ils emploient plutôt la communication électronique. Il est vrai que la force majeure suspend l’exécution de l’obligation11, ce qui autorise, a fortiori, à l’exécuter autrement. Toutefois, la force majeure est une notion qui s’apprécie au cas par cas et, même d’un point de vue général, on peut douter qu’il y ait ici un cas de force majeure puisque la Poste continue de fonctionner et que la réglementation permet de se déplacer, à titre professionnel, pour récupérer son courrier.

En matière d’arbitrage international, quelle est la loi applicable pour trancher ces questions ? Elles concernent l’interprétation et l’exécution de la convention d’arbitrage et, en cas d’arbitrage institutionnel, du contrat d’organisation de l’arbitrage. La première est, selon l’approche française, qu’il serait naturel d’utiliser si le siège de l’arbitrage se trouve en France, soumise à une règle matérielle12. Le second l’est sans doute aussi, en raisonnant par analogie avec le contrat d’arbitre13. Le contenu de cette règle matérielle est dégagé par la jurisprudence, au fur et à mesure des questions posées, en recherchant toujours des solutions simples et de bon sens. Selon cette philosophie, des circonstances exceptionnelles devraient justifier d’utiliser une forme de communication différente de celle prévue par les parties.

Si le siège du tribunal arbitral se trouve dans un autre État, on raisonnera plutôt en termes de conflit de lois. Il faudra alors déterminer la loi applicable à la convention d’arbitrage et au contrat d’organisation de l’arbitrage et vérifier si et dans quelle mesure, selon cette loi, les parties à un contrat peuvent modifier les formes prévues pour leur communication.

Face à toutes ces incertitudes, manifestement, l’idéal serait que les parties et les centres d’arbitrage fassent preuve de souplesse et acceptent expressément le recours à la communication électronique. La difficulté cependant est de sécuriser cette communication, afin d’éviter les ruptures de confidentialité et de s’assurer de la bonne délivrance des messages et de leurs pièces jointes. Le recours à une messagerie sécurisée de bout en bout, c’est-à-dire avec un dispositif de cryptage fiable, et l’envoi d’accusés de réception par les destinataires pourront y pourvoir, à condition que chacun joue le jeu. Le demandeur devrait aussi, pour être tout-à-fait prudent, demander au défendeur de reconnaître expressément que la demande d’arbitrage présentée par voie électronique interrompt le délai de prescription, surtout lorsque l’expiration de celui-ci est proche. Cela étant, ce délai est sans doute prorogé.

Délais à respecter

Le défendeur dont l’action encourt une prescription à brève échéance peut se demander si les textes adoptés pour faire face à la pandémie prorogent le délai de prescription. La réponse est oui, puisqu’il résulte de l’article 2 de l’ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais14 que tout acte prescrit par la loi à peine de prescription :

qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l'article 1er sera réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois.

Autrement dit, si le délai de prescription d’une action soumise à l’arbitrage doit arriver à expiration entre le 12 mars et le 23 juin 2020, le demandeur pourra présenter sa demande après l’expiration du délai mais dans quelle limite ? Sur ce point, la disposition reproduite ci-dessus n’est pas très claire mais il faut sans doute considérer que la demande devra être présentée dans les deux mois suivant la date de levée de l’état d’urgence sanitaire, soit jusqu’au 23 août 2020. En effet, le texte invite à appliquer l’intégralité du délai de prescription à compter de l’expiration du premier mois après la date de la levée de l’état d’urgence, dans la limite de deux mois. Les délais de prescription étant supérieurs à deux mois, c’est cette dernière limite qui produira effet.

Le défendeur, pour sa part, doit s’interroger sur un autre délai, celui que les règlements d’arbitrage et la plupart des clauses compromissoires ad hoc lui impartissent pour répondre à la demande d’arbitrage, généralement deux semaines à trente jours15. Il ne semble pas que ce délai soit prorogé par l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 202016, dont l’article 2 ne vise que les actes prescrits par la loi ou le règlement, ce qui exclut les actes prescrits par des normes contractuelles, et dont l’article 3, concernant les mesures juridictionnelles, ne vise pas les demandes d’arbitrage. D’un autre côté, la seule sanction de ce délai est la possibilité, laissée au demandeur ou au centre d’arbitrage, de considérer que le défendeur ne souhaite pas répondre, et de poursuivre la constitution du tribunal arbitral en palliant sa défaillance. Dans le contexte actuel, avant de passer outre, il paraît naturel de contacter par tout moyen le défendeur, afin de lui laisser, s’il justifie en avoir besoin, un délai supplémentaire. Cela dit, le centre d’arbitrage, avant d’accorder un tel délai, aura besoin de l’accord du demandeur, sous peine de ne pas respecter les obligations résultant de son règlement.

Résolution des difficultés de constitution du tribunal arbitral

La constitution du tribunal arbitral se heurte parfois à des difficultés, tenant, la plupart du temps, au silence du défendeur qui s’abstient de proposer un arbitre ou à la volonté d’une partie de récuser l’une des personnes pressenties pour composer le tribunal. En arbitrage institutionnel, il convient de faire attention aux délais de saisine, qui sont parfois très courts en matière de récusation : généralement trente jours17, voire quatorze jours, après la découverte du fait à l’origine de la suspicion18. Cependant, si le centre d’arbitrage assure la continuité de son activité, ces questions sont facilement résolues.

En revanche, en arbitrage ad hoc, il faut saisir le juge d’appui, c’est-à-dire le président du tribunal judiciaire ou, en matière d’arbitrage interne et si les parties en ont exprimé la volonté, le président du tribunal de commerce19. Il faut alors tenir compte des mesures d’adaptation édictées par l’ordonnance n° 2020-30420. D’abord, il se peut qu’il faille saisir un autre juge d’appui que celui normalement compétent21, si la juridiction à laquelle il appartient ne peut pas fonctionner22. La procédure devant le juge d’appui est une procédure accélérée au fond23. Il doit être saisi par assignation, l’ordonnance ne prévoyant aucun aménagement sur ce point. Cette procédure est orale, ce qui permet aux parties d’échanger leurs écritures par tout moyen et l’ordonnance le confirme24. Le juge d’appui peut décider que l’audience aura lieu en publicité restreinte, en chambre du conseil25, en vidéo-conférence ou par téléphone, à condition de pouvoir s’assurer de l’identité des parties ou de leur avocat26. Quant aux délais, on peut penser que l’article de l’ordonnance n°2020-306 déjà cité et qui reporte les délais à la fin de la période d’état d’urgence s’applique ici, dans la mesure où il s’agit bien d’une action devant un juge public.

Concrètement, le tribunal judiciaire de Paris, comme la plupart des autres tribunaux judiciaires, ont reporté à une date ultérieure toutes les audiences civiles, y compris devant le juge d’appui. La reprise d’activité qui s’amorce sera lente et progressive. Par conséquent, la saisine du juge d’appui, actuellement, ne permettra pas d’obtenir une décision avant un délai indéterminé, qui se comptera sans doute en semaines, voire en mois. Cependant, les parties souhaitant mettre en œuvre une clause compromissoire ad hoc peuvent décider, d’un commun accord, de confier l’administration de l’arbitrage au CMAP. Il suffit que chacune d’elles le saisissent explicitement par une lettre. Cela permettra au centre d’aider les parties à constituer rapidement un tribunal arbitral.

Or ces question sont essentielles, d’abord parce qu’on constate une augmentation des cas de recours en annulation, une fois la sentence rendue, sur le fondement de l’absence d’indépendance ou d’impartialité d’un arbitre et ensuite parce que, pour pouvoir prospérer, les faits à l’origine de ce recours doivent avoir été invoqués « en temps utile » devant le tribunal arbitral, sur le fondement de l’article 1466 du Code de procédure civile : il est donc essentiel, pour éviter la fin de non recevoir de l’article 1466, d’établir qu’une action en récusation, par exemple, a bien été tentée dans les temps, que ce soit devant le juge d’appui ou devant le centre d’arbitrage.

Arbitrage en cours

Dans les procédures arbitrales en cours, il est facile d’aménager les règles applicables, afin d’autoriser la communication électronique, voire des audiences en vidéo-conférence, à condition, là encore, d’utiliser des services de communication assurant la confidentialité des échanges. Si les parties sont en désaccord sur les aménagements à apporter à la procédure, le tribunal arbitral doit trancher27. Cela dit, tout aménagement contraire à un accord exprès des parties, exprimé dans la convention d’arbitrage ou l’acte de mission, suppose leur consentement.

Sauf à ce que les parties aient accepté que la sentence soit rendue sous forme électronique, conformément à l’article 4-2 de la loi Justice 2128, les arbitres devront la signer en autant d’originaux qu’il y a de parties et d’arbitres, plus un, le cas échéant, pour le centre d’arbitrage. Ils peuvent se réunir, en arguant d’un déplacement à titre professionnel29 et en adoptant les gestes barrières, ou, pour plus de précaution, faire circuler les exemplaires par la Poste. Ces originaux devront être notifiés, conformément à la convention ou au règlement d’arbitrage, par le président du tribunal ou le secrétariat du centre. Généralement, on a recours à une LRAR. Cela suppose de se rendre dans un bureau de poste, ce qui, ces jours-ci, est malcommode mais pas impossible. Ainsi, les procédures arbitrales peuvent suivre leurs cours.

Pour autant, les parties, les conseils et les arbitres peuvent souhaiter suspendre les opérations d’arbitrage pendant le temps du confinement, voire quelque temps après. Le délai d’arbitrage est-il automatiquement prorogé ? On peut considérer que l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306, précité, est ici applicable. En matière d’arbitrage interne, la procédure arbitrale est nécessairement soumise à un délai, même si les parties peuvent en préciser la durée, en vertu de l’article 1463, alinéa 1er, du code de procédure civile. Par conséquent, si ce délai doit arriver à expiration entre le 12 mars 2020 et la fin du mois suivant la levée de l’état d’urgence, cela signifie, pour reprendre les termes de l’article 2, que le règlement – le code de procédure civile – prescrit l’accomplissement d’un acte, la sentence, pendant cette période, à peine de nullité et donc que la sentence peut être rendue jusqu’à deux mois après la fin du premier mois suivant la levée de l’état d’urgence, à moins que le délai d’arbitrage soit inférieur à deux mois, auquel cas il recommencerait à courir à la fin du mois suivant la levée de l’état d’urgence. Cela dit, les délais d’arbitrage inférieurs à deux mois sont très rares. En matière internationale, les délais d’arbitrage étant de source uniquement conventionnelle, l’article 2 de l’ordonnance ne s’applique pas. Même à propos de l’arbitrage interne, on peut hésiter, dans la mesure où cette disposition ne vise pas expressément l’arbitrage.

Pour plus de sécurité, il faut donc éviter de se reposer sur l’article 2 de l’ordonnance. Deux autres solutions existent. D’une part, le tribunal arbitral peut suspendre l’instance, jusqu’à la levée des mesures de confinement ou des mesures qui seront adoptées à la fin du confinement30. Lors de la reprise de l’instance, il peut proroger le délai d’arbitrage pour une durée qui ne peut excéder six mois31. D’autre part, le délai d’arbitrage peut être prorogé par les parties, le centre d’arbitrage ou le juge d’appui32, mais pas par les arbitres eux-mêmes, sauf à la suite d’une suspension, comme expliqué ci-avant. De nouveau, on touche du doigt les limites de l’arbitrage ad hoc, l’obtention d’une prorogation du délai par le juge d’appui avant la fin du confinement étant une gageure. En revanche, selon le règlement du CMAP, la commission d’arbitrage, qui continue de fonctionner, peut très rapidement, sur demande du tribunal arbitral, agissant d’office ou à la suggestion d’une partie, proroger le délai d’arbitrage33.

Lorsque les parties n'ont pas encore opté pour l'arbitrage

La pandémie qui frappe le monde ne peut que désorganiser les juridictions étatiques, qui, en France, avaient déjà pris un retard certain dans le traitement des dossiers, du fait de la grève des avocats et de ressources humaines quelque peu insuffisantes. Elles sont actuellement quasiment paralysées et, même après la levée du confinement, puis de l’état d’urgence, les mesures prophylactiques continueront de perturber les procédures. De plus, le retard accumulé depuis plusieurs mois contribuera à l’engorgement des rôles. Obtenir une décision, au fond et même en référé, de la part d’une juridiction étatique supposera des mois, voire des années d’attente.

Or, la situation est économiquement catastrophique, des pans entiers de l’économie sont affectés, dans les secteurs du transport, des loisirs, de la culture, du tourisme, de la distribution non alimentaire, etc. Or, un certain nombre de fournisseurs, d’assureurs, de prêteurs, de bailleurs n’attendront pas, de sorte que, à supposer que des procédures collectives ne soient pas à l’ordre du jour, nombre d’entreprises vont exercer des actions en vue d’obtenir des paiements de sommes d’argent. Il y a fort à penser que les tribunaux, qui doivent remettre en route la machine judiciaire, rattraper les urgences et les retards, vont faire face à un afflux certainement très important de demande, que ce soient les tribunaux judiciaires ou de commerce.

Dans ce contexte, les entreprises devraient songer sérieusement à recourir à l’arbitrage pour résoudre rapidement leurs différends. Elles peuvent le faire au moyen d’un compromis, même si le contrat à propos duquel elles s’opposent ne contient pas de clause compromissoire. Elles ont intérêt à se référer à un centre d’arbitrage, tel que le CMAP, qui pourra les aider à constituer un tribunal arbitral rapidement. Le CMAP a d’ailleurs mis au point, avec les cabinets d’avocats Jeantet et 1804, une offre spécifique pour les différends relatifs aux baux commerciaux34.

C’est une excellente occasion de tester ces mécanismes de résolution alternatifs, choisis, rapides, efficaces, des litiges. La procédure arbitrale est souple et peut être adaptée à la nature du différend et aux besoins des parties. On peut l’alléger pour des différends simples, par exemple en imposant des délais brefs, une limite de volume aux mémoires, en se dispensant d’audience ou, au contraire, en recourant uniquement à des débats oraux. Pour des différends complexes, on peut, inversement, opter pour une procédure très complète : écritures substantielles, nombreuses pièces, mesures d’instruction, y compris audition de témoins, audience longue, durant plusieurs jours au besoin. Dans tous les cas, les parties et leurs conseils ont l’assurance que les arbitres examineront tous les éléments produits avec beaucoup d’attention et s’impliqueront activement dans la procédure et au cours de l’audience, notamment en posant toutes les questions pertinentes.

Les frais d’arbitrage, somme toute assez raisonnables35, sont ainsi largement justifiés par la qualité et la rapidité de cette forme de justice, qui peut induire des économies par ailleurs. Par exemple, la résolution rapide d’un différend évite d’avoir à inscrire des provisions au bilan sur plusieurs exercices. Le secrétariat du CMAP est à la disposition des entreprises et de leurs conseils pour tout renseignement.

Et au-delà ? Trouver des coupables ?

Au-delà, en effet, l’impact humain, social et économique va être considérable, à la fois par l’ampleur du phénomène qu’en raison de l’importance des mesures prises ou non prises par les pouvoirs publics.

Immédiatement, vient à l’esprit l’idée d’une responsabilité, diffuse ou précise, de décideurs publics. Des Nigérians et des Égyptiens, par exemple, ont engagés des actions, pénales, contre « la Chine » comme entité, ou son président comme personne, pour obtenir des dommages et intérêts. Expression de colère plus que d’efficacité juridique sans doute, mais qui traduit une réalité mathématique, celle de la « perte sèche » subie par un certain nombre d’acteurs, économiques notamment, sans possibilité de bénéficier de la manne publique.

Or, la plupart des décisions des décideurs publics, précisément, sont placés sous le contrôle étroit de certains acteurs économiques, les « investisseurs » qui investissent précisément dans des pays autres que le leur. Ils pourraient chercher à discuter le bienfondé de certaines de ces décisions : le confinement ici a-t-il été utile alors qu’il a emporté une perte de l’investissement de tel investisseur, telle autre mesure de restriction était-elle proportionnée, etc. ?

Or, ces investissements sont  chapeautés par des traités bilatéraux d’investissement (TBI). Plus de 2500 TBI sont en vigueur dans le monde, plus quelques traités multilatéraux, comme le Traité sur la Charte de l’Energie (TCE) ou le CETA par exemple. Ces traités renvoient, pour le traitement des litiges qui en découlent, à des tribunaux arbitraux organisés sous l’égide du CIRDI lui-même, placé sous l’autorité du traité de Washington de 1965, qui propose une « offre d’arbitrage » selon le règlement CIRDI, qui s’impose lui-même en raison de l’autorité du Traité CIRDI. Ce mode de traitement des litiges n’est pas le seul, mais son autorité résulte soit de l’existence d’une clause compromissoire dans le contrat conclu entre un investisseur privé et un Etat, mais également, depuis 1990, en raison de l’apparition de la thèse du « consentement dissocié », du seul fait que l’investissement s’effectue sous l’égide d’un TBI qui propose une offre d’arbitrage. Par conséquent, il suffit à l’investisseur d’introduire une demande devant l’institution arbitrale visée par le traité pour manifester son acceptation à l’offre d’arbitrage, à laquelle l’Etat d’accueil ne peut échapper, sachant que si l’investisseur n’est pas en relation avec l’Etat, mais avec un opérateur privé de l’Etat d’accueil, développer un arbitrage commercial « traditionnel ». Le TCE par exemple, précise en son article 26 que l’investisseur peut déclencher un arbitrage CIRDI, de l’Institut d’arbitrage de la Chambre de commerce de Stockholm  ou ad hoc, ce que l’Etat partie a accepté par anticipation.

Or, les TBI prévoit que les investissements sont protégés contre des expropriations ou des mesures équivalentes à des expropriations, via diverses techniques, les standards indirects de protection tels le principe de non discrimination ou de respects des engagements, et les standards directs de protection dont le « standard du traitement juste et équitable » (Fair and Equitable Treatment, FET) et le « standard de pleine et entière protection et sécurité » (Full Protection and Security, FPS).

Le standard du traitement juste et équitable (FET) est pratiquement systématiquement présent dans les TBI et le plus souvent invoqué : il interdit à un Etat de pratiquer des mesures injustifiées, déraisonnables, disproportionnées, discriminatoires, etc., et qui causeraient un préjudice à des investisseurs, impliquant alors soit de verser une indemnité soit qu’un arbitrage soit déclenché.

Les TBI prévoient également le plus souvent un certain nombre d’exceptions fondées sur des mesures « d’intérêt général », et notamment autorisant l’Etat à prendre des mesures pour protéger la santé de ses citoyens (mais aussi l’ordre public, l’environnement, etc.), ce qui suppose que ces mesures correspondent au standard du traitement juste et équitable. De même la doctrine des « Police powers » ou du pouvoir de réglementation de l’Etat, est invoquée pour justifier des mesures de protection de la santé (parfois intégrée explicitement dans le TBI), comme dans la célèbre affaire Philip Morris Int. C. Uruguay36 dans une situation dans laquelle l’Uruguay avait engagé une législation anti-tabac. On peut observer toutefois que dans cette affaire, PMI avait été débouté parce que les mesures étaient proportionnées et qu’elles avaient porté un atteinte légère aux droits de PMI, de telle sorte que bien des auteurs considèrent que la théorie des « police powers » justifierait une indemnisation si l’atteinte avait été majeure, voire avait dépossédé l’investisseur. Inversement, l’investisseur supporte une obligation de prudence dans ses investissements, et de mesure dans l’appréciation de ses attentes légitimes.

La question se posera immanquablement demain : telle mesure, prise par tel Etat pour obtenir tel effet, pris en termes de protection de la santé mais peut-être aussi de telle activité, était-elle raisonnable étant entendu que tel investisseur, s’estimant protégé par tel TBI, pourrait considérer que la « dépossession » qu’il subit est la conséquence, au contraire, d’une mesure disproportionnée, discriminatoire, déraisonnable, etc., et on mesure que les mesures étatiques comparées, et leurs succès ou insuccès, pourraient leur donner de sérieux arguments devant un tribunal arbitral.

Traditionnellement, un litige fondé sur un TBI correspond à la demande d’un d’investisseur « victime » d’un acte de l’État dans lequel il est établi, mais on pourrait se demander également s’il ne pourrait s’agir, à l’aune de la situation née de l’épidémie de covid-19, de réclamation d’un investisseur situé dans l’autre État contractant : le cas de la Chine ayant retenu des masques, de l’Inde ayant fait obstacle à l’exportation de médicaments vers des entreprises occidentales ne pourraient-elles être considérées comme le résultat de réglementation de ces États ayant pour effet de créer un préjudice chez un investisseur d’un État partie à un TBI avec l’un de ces États ? En principe c’est impossible, dans la mesure où les TBI ne protègent que l’investissement réalisé par un investisseur de l’un des États dans l’autre État contractant. Il demeure que les investissements prennent des formes variées, dont la prise de contrôle, l’existence de créances contractuelles, ce qui pourrait ouvrir quelques perspectives.

Daniel Mainguy, Professeur de droit à l’université de Montpellier, Président de la Commission d’arbitrage du Centre de Médiation et d’Arbitrage de Paris (CMAP) et Denis Mouralis, Professeur de droit à Aix Marseille Université, Conseiller du Centre de médiation et d’arbitrage de Paris (CMAP).


1. Décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence, abrogeant et remplaçant le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19.

2. Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19.

3. Sur les mesures concernant ces procédures, v. l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété. – V. aussi : C. Bléry, « Épidémie de Covid-19 : mesures de procédure civile », D. 2020, p. 780.

4. V. C. Peulvé, « Coronavirus & force majeure : l’intérêt pour le créancier et le débiteur recourir à la médiation conventionnelle », https://tinyurl.com/yanzkzu6.

5. Règl. CMAP, art. 2 et 3.

6. Règl. CMAP, art. 3.

7. C. pr. civ., art. 1464, al. 4. Certes, cette disposition n’est pas applicable à l’arbitrage international (v. art. 1506) mais, même dans ce domaine, les parties et les conseils s’attendent généralement au respect de la  confidentialité, qui peut aussi être stipulée dans la convention d’arbitrage.

8. Décret n°2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat, art. 4. – Règl. intérieur du Barreau de Paris, art. 2.1.

9. Ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété.

10. C. civ., art. 1218 et 1231-1, anc. art. 1147.

11. C. civ., art. 1218, al. 2. – La jurisprudence avait déjà reconnu ce principe avant la réforme opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 : v. par ex. Cass. civ. 3ème, 22 février 2006, n° 05-12032, Bull. civ. 2005, III, n° 56.

12. Cass. civ. 1re, 20 déc. 1993, Dalico, n° 91-16.828, Bull. civ. 1993, I, n° 372 ; JDI 1994, p. 432, note E. Gaillard, et p. 690, note E. Loquin ; Rev. crit. DIP 1994, p. 663, note P. Mayer ; Rev. arb. 1994, p. 116, note H. Gaudemet-Tallon. – Cass. 1re civ., 5 janv. 1999, Zanzi, n° 96-21.430, Bull. civ. 1999, I, n° 2 ; Rev. arb. 1999, p. 260, note Ph. Fouchard ; Rev. crit. DIP 1999, p. 546, note D. Bureau ; RTD com. 1999, p. 380, obs. E. Loquin ; JDI 1999, p. 784, note S. Poillot-Peruzzetto.

13. Cass. 1re civ., 1er févr. 2017, n° 15-25.687 : D. 2017, p. 2054, n° I-B, obs. L. d’Avout, et p. 2559, n° I-C-2, obs. Th. Clay ; RTD civ. 2017, p. 394, obs. H. Barbier, et p. 421, obs. P.-Y. Gautier ; D. actualité 21 févr. 2017, obs. X. Delpech ; JCP G 2017, doctr. 339, note S. Bollée ; Procédures 2017, comm. 68, obs. L. Weiller ; Rev. arb. 2017, p. 483, note Ch. Jarrosson ; RDC 2017, p. 299, note M. Laazouzi ; Gaz. Pal. 18 juill. 2017, p. 28, obs. D. Bensaude ; Lettre Ch. arb. intern. Paris avr. 2017, n° 13, note Ph. Cavalieros ; JDI 2017, p. 19, note J.-B. Racine.

14. Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période.

15. V. règl. CMAP, art. 3.1.

16. Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période.

17. Règl. CMAP, art. 15.1.

18. Règl. LCIA, art. 10.3.

19. C. pr. civ., art. 1459.

20. Ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété.

21. En matière interne, président du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce désigné par les parties ou dans le ressort duquel se trouve le siège de l’arbitrage (C. pr. civ., art. 1459, al. 3) ; en matière international, président du tribunal judicaire de Paris, sauf clause contraire (C. pr. civ., art. 1505).

22. Ord. n° 2020-304, art. 3.

23. C. pr. civ., art. 481-1 et 1460.

24. Ord. n° 2020-304, art. 6.

25. Ord. n° 2020-304, art. 6.

26. Ord. n° 2020-304, art. 7.

27. C. pr. civ., art. 1464, al. 1er et 1509, al. 2.

28. Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.

29. Décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence, art. 3,I, 1°.

30. C. pr. civ., art. 1472.

31. C. pr. civ., art. 1475.

32. C. pr. civ., art. 1463, al. 2.

33. Règl. CMAP, art. 24.2.

34. https://tinyurl.com/y88usbjo.

35. Voire le barème du CMAP : https://tinyurl.com/ybnp5ycj.

36. T. CIRDI 8 juill. 2016, JDI 2017, chron. p. 215.


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