L’arrivée du metaverse - Considérations sur le médium virtuel de demain

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Si le metaverse n'est pas encore arrivé, de plus en plus d'entreprises commencent à utiliser cette notion venant remodeler notre vision de la réalité virtuelle et augmentée. Parmi les entreprises fondatrices du concept, Facebook fait la une des médias en annonçant son propre projet du metaverse. Cédric Dubucq, Tristan Girard-Gaymard et David Ybert de Fontenelle en proposent le décryptage juridique.

Même si le metaverse en est encore à l'état embryonnaire, il convient de se demander ce qu'est le metaverse (I) et d’entamer une prévision des problèmes juridiques qui pourraient accompagner ce nouveau monde virtuel (II).

I. Le metaverse, un monde virtuel analogue au nôtre

Vaguement défini, le terme "metaverse" décrit le concept d’une itération future d’Internet qui franchit sa deux-dimensionnalité pour passer à un espace virtuel partagé en 3D et visuellement perceptible. En d’autres termes, le metaverse fait référence à un monde virtuel dans lequel ses utilisateurs y seront pleinement immergés, permettant d’interagir avec d'autres personnes et d'autres lieux grâce à des « avatars ».

Les entreprises technologiques envisagent différents types de plateformes de metaverse. L'une de ces plateformes serait basée sur la blockchain et permettrait aux utilisateurs d'acheter des terrains et de construire des environnements en utilisant des jetons non fongibles et des crypto-monnaies. Un autre type de plateforme pourrait être un monde virtuel plus général où les gens peuvent travailler, jouer ou socialiser. L'intelligence artificielle (IA) et l'apprentissage automatique (AA) joueront tous les deux un rôle clé dans le développement d'un metaverse, car le but de ce dernier sera de fusionner notre réalité physique et l'univers numérique. En ce sens, le metaverse sera l'aboutissement ultime de la réalité virtuelle et de la réalité augmentée.

Selon les entreprises technologiques, créatrices du futur metaverse, ce monde virtuel entraînera des répercussions sur tous les aspects de notre société, entre autres le travail, le divertissement, la publicité et l'économie. Représentez-vous une réunion entre vos collègues de travail, non pas en présentiel ou par visioconférence, mais à travers une enceinte virtuelle de votre lieu de travail dans laquelle les participants seraient tous représentés par leurs avatars distincts. La correspondance, les échanges verbaux et le partage instantané de documents seront comparables aux moyens analogues de notre monde réel, mais ayant certains avantages supplémentaires : un télétravail plus efficace, dans un cadre beaucoup plus immersif et sans besoin de se déplacer physiquement.

Un autre exemple : imaginez-vous un espace virtuel dans lequel vous pouvez utiliser votre avatar pour entrer dans un centre commercial virtuel, essayer des vêtements proposés par de vraies entreprises de confection, puis acheter les tenues pour personnaliser votre apparence. Matériellement parlant, toutes les expériences semblent transposables au metaverse. Les nouveaux modes d'interaction virtuelle offriront de nombreuses possibilités de marketing, de vente et d'organisation d'événements sans qu'une présence physique soit nécessaire. On assistera à la naissance d’une économie 2.0, entièrement dématérialisée et ayant lieu dans un monde métaphysique.

II. Les enjeux juridiques du metaverse

Même si le metaverse n'a pas encore vu le jour, il est certain que son existence entraînera des répercussions sur la vie quotidienne des personnes physiques et morales, ce pourquoi il est opportun de soulever la question des implications juridiques de ce nouvel outil informatique. A l'heure actuelle la portée du metaverse et son implication dans la vie des particuliers restent à déterminer. Aucune base légale ni aucune jurisprudence n’a été rendue dans cette matière, évinçant toute conclusion hâtive. Pourtant certains professionnels du droit mettent en garde contre les litiges liés à la propriété intellectuelle, à la protection des données, aux licences de contenu et aux risques liés aux crypto-actifs. Ainsi, l’appréhension des enjeux du metaverse par le législateur s’avère essentielle, afin de poser un cadre adéquat et de garantir la sécurité juridique de tous ses composants.

D’ores et déjà il convient de se demander si certains principes du droit pourront s’appliquer de façon analogue au metaverse. Grâce au raisonnement analogique, certains éléments peuvent être retenus :

  1. Les utilisateurs

S’agissant de divers éléments concernant l’utilisateur et l’avatar qu’il contrôle dans le metaverse, il est peu probable que l’on reconnaisse aux avatars la personnalité juridique, étant donné que ce ne sont pas des personnes stricto sensu et ne disposent d’aucune autonomie réelle, si ce n’est que grâce au leur utilisateur. Plutôt faudra-t-il se demander si l’avatar, incarnation virtuelle de chaque utilisateur dans le metaverse, devra être vu comme extension de la personnalité juridique. Pour illustrer ce qui vient d’être dit, supposons qu’un avatar soit usurpé par un utilisateur autre que le « propriétaire » de cet avatar. Un contrat conclu par l’usurpateur à travers l’avatar n’étant pas le sien pourra-t-il être annulé ? Si on admet l’intuitu personae dans un contrat conclu, on pourra invoquer la nullité de ce dernier pour erreur sur les qualités essentielles du cocontractant fondée sur l’article 1134 du Code civil. Encore faut-il admettre que cet intuitu personae puisse s’exercer à travers un avatar.

Dans l’idéal, chacun devrait répondre aux faits commis par son propre avatar, et la responsabilité civile pourra s’y appliquer sans difficultés. Néanmoins, cet univers renforce certains risques, tels que le vol d’identité ou l’utilisation de fausse identité.

  1. Un espace virtuel

S’il est vrai que le metaverse est un espace virtuel, s’apparentant à celui de notre monde réel, la première limite touchera à la collaboration et l'interopérabilité entre les différents créateurs de metaverse. Si le but du metaverse est de permettre aux gens d'interagir dans un monde numérique, chaque metaverse doit être accessible à partir de tous les appareils. Se pose la question de savoir si les normes seront édictées par les différentes entreprises technologiques ou s’il faudra s’attendre à l’intervention du législateur français, voire européen afin qu’il soit instauré les différentes normes pour permettre l’interopérabilité entre les différents créateurs. Les projets amenés par les législateurs, et particulièrement le législateur européen, notamment dans sa mission de régulation du marché global, seront certainement instaurés dans une perspective de protection des consommateurs, en l’espèce, des utilisateurs du metaverse.

Une autre limite pourra-t-être la contrainte technologique imposée par quelques précurseurs et obtenir les droits d'utilisation de la technologie sous-jacente d'une autre entreprise afin de construire son propre metaverse. Cette hypothèse doit être envisagée en tenant compte de la situation actuelle, où la concentration de pouvoirs technologiques pose d’ores et déjà de nombreux problèmes aux autorités de concurrence. Pour comprendre les enjeux du futur, il suffit de penser à Google et à son moteur de recherche ou à AWS et ses algorithmes hyperpuissants qui dominent le marché de l’informatique en nuage : on assistera probablement à une concentration des créateurs de metaverse, réunissant les suspects habituels que sont Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (GAFAM)

Grâce à la technologie des blockchains, l’idée d’un espace virtuel décentralisé est tout à fait envisageable, mais est-ce souhaitable ? Qui surveille cet espace décentralisé ? Faudra-t-il une « police metaverse » ? Il est tentant pour les créateurs des blockchains d’invoquer leur non-implication dans les faits litigieux voire illicites, ce qui conduit à s’interroger enfin sur la responsabilité des prestataires de service du metaverse.

  1. Echanges entre utilisateurs et naissance de relations juridiques

Selon les visionnaires du metaverse, l’espace interactif et immersif de ce monde parallèle se traduira par les échanges entre les utilisateurs, des échanges qu’on trouve aussi dans notre monde : échanges et vente de biens ou même encore prestations de services. Le caractère interactif permettra même de créer de nouveaux biens, d’élargir la propriété des avatars, par exemple à travers la création d’œuvres artistiques ou d’autres travaux intellectuels. Partant, les gens dans le metaverse interagiront, feront des transactions, posséderont des biens, auront des relations contractuelles, construiront des objets et des entreprises, créeront de la propriété intellectuelle et feront face à des problèmes de droits d'auteur. La transparence et traçabilité des opérations doivent être garanties afin de résoudre les litiges relatifs aux propriétaires des œuvres créés dans le metaverse. En outre, face aux infractions et risques liés à toute entreprise, même si elle n’est que virtuelle, des assurances seront probablement développées et une multitude d'autres concepts qui existent dans la vie réelle dont nous avons tous besoin aujourd'hui vont évoluer – ce pourquoi l'intervention de professionnels du droit est indispensable. Peut-être y aura-t-il des praticiens du droit qui dédieront leur travail (quasi-) exclusivement aux problèmes juridiques nés dans le metaverse et, ironie du sort, pratiqueront certainement cette activité par le biais du metaverse.

Qui dit droit de propriété dit droits, obligations et risques qui en découlent. Une des obligations qui découle de la propriété et des mutations de propriété est l’obligation fiscale. Il n’est point question que les gains sur le patrimoine virtuel du metaverse seront soumises sous une forme ou une autre à l’imposition, reste encore à déterminer comment. Le législateur va-t-il créer un nouveau régime d’« impôt sur le revenu virtuel » à raison des revenus du metaverse ou va-t-il plutôt maintenir les règles classiques et faire des revenus du metaverse une nouvelle catégorie de revenu qui entre dans l’assiette du contribuable dès que les richesses créées virtuellement sont liquidées et perçues entre les mains des contribuables ? La seconde hypothèse semble plus réaliste, faisant écho aux choix du législateur en matière d’imposition des crypto-actifs.

  1. Régulation du metaverse - un droit calqué sur les règles existantes sur le droit numéraire

S’il est vrai que le metaverse crée un monde virtuel nouveau, il serait faux de croire qu’aucune loi et qu’aucun règlement ne s’appliqueront aux événements qui y auront lieu. En effet la plus-part des règles légales instaurées pourront s’appliquer a fortiori au metaverse, car ce dernier est produit de notre monde physique et les créateurs ainsi que les utilisateurs restent soumis au contraintes juridiques du monde réel et palpable. Sur les questions de protections de données, le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) demeurera largement applicable aux prestataires et créateurs du metaverse. Il en est de même pour les mesures européennes de protection des consommateurs visant à protéger la santé et la sécurité des consommateurs : la directive n°2019/770 relative aux contrats de fourniture de contenus et de services numériques transposée en droit interne par une ordonnance n°2021-1247 du 29 septembre 2021 relative à la garantie légale de conformité pour les biens et les contenus et services numériques et applicable aux contrats conclus à compter du 1er janvier 2022 pourra sans doute être appliquée aux relations contractuelles nées dans le metaverse. Ceci démontre que tout ne doit pas être construit à partir de zéro.

  1. Liberté et censure sur le metaverse – un espace réellement « libre » ?

Il reste à déterminer dans quelle mesure les avatars seront libres lorsqu'ils navigueront dans le metaverse. Tout dépendra de la liberté accordée par les programmeurs : nous ne nous attendons pas à ce que les avatars soient capables de voler directement ou de nuire « physiquement » à d’autres avatars, mais nous ne devons pas ignorer que le volet pénal du droit sera confronté à une jurisprudence inédite face aux situations susmentionnées : le vol d'identité dans le contexte du metaverse, le vol de données personnelles des utilisateurs, les nouvelles formes escroqueries et la fraude. Il convient ici de rappeler l’adage latin « nullum crimen, nulla poena sine lege », ou autrement dit le principe de la légalité des délits et des peines qui impose nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi, ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement. En effet, les raisonnements par analogie sont de facto interdits en droit pénal et limitera la reconnaissance du vol d’actifs virtuels ou de l’usurpation d’une identité si ces concepts ne sont pas expressément transposés au metaverse par la loi. Partant il appartient encore au législateur de proagir face aux nouvelles infractions, en vue de prendre des mesures répressives contre la criminalité à venir sur le metaverse.

En guise de conclusion il convient de rappeler que les débats sur le metaverse et ses enjeux juridiques restent jusqu’à présent des débats philosophiques. Il faudra s’attendre l’arrivée de ce nouveau média, ce qui n’empêche pas le législateur de prendre d’ores et déjà des mesures pour éclaircir certaines situations ou limiter des comportements indésirables. Mais qu’en est-il des praticiens du droit, tels que les avocats ? Ceux-ci ne doivent surtout pas sous-estimer l’impact de cette invention révolutionnaire et rester ouverts à l’arrivée de ce nouvel espace virtuel afin de saisir cette occasion pour se spécialiser dans cette hypothétique nouvelle branche du droit.

Cédric DUBUCQ, Avocat associé chez BRUZZO DUBUCQ, Tristan GIRARD-GAYMARD, Directeur Scientifique chez BRUZZO DUBUCQ et David YBERT DE FONTENELLE, Avocat, Restructuration des Entreprises & Droit des Affaires 


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