Dans le contexte de la crise sanitaire liée à la Covid-19, le gouvernement français a récemment prorogé une seconde fois le dispositif de contrôle renforcé des investissements étrangers. Ainsi, le décret du 22 décembre 2021 (publié au JO le 24 décembre 2021) maintient à 10%, jusqu’au 31 décembre 2022, le critère de détention des droits de vote d'une entreprise « stratégique » de droit français par un investisseur étranger non communautaire.
Le contrôle des investissements étrangers repose sur une procédure d’autorisation préalable du Ministère de l’Economie et des Finances prévue à l’article R. 151-2 du Code monétaire et financier. L’autorisation doit notamment être sollicitée par un investisseur étranger non communautaire lorsque l’investissement lui permet d’acquérir et de franchir un certain seuil de détention des droits de vote d’une entreprise française (seuil initialement fixé à 25% avant le 6 août 2020).
La réglementation a connu de nombreuses modifications depuis son texte initial, la loi du 28 décembre 1966, tant au sujet du champ d’application du contrôle que de l’éventail de sanctions en cas de manquement. Le décret « Montebourg » du 16 mai 2014 lié à l’acquisition d’Alstom Power par l’américain General Electric avait notamment étendu le contrôle aux secteurs de la sécurité privée, des moyens de lutte contre le terrorisme, de la sécurité des technologies et de la défense. Par la suite, le décret du 31 décembre 2019 a clarifié la définition d’investisseurs et des activités contrôlées (ajout notamment des secteurs de la presse écrite et les services de presse en ligne d'information politique et générale, du stockage d'énergie et des technologies quantiques) et a accéléré les délais de traitement de la demande d’autorisation. L’arsenal de sanctions à l’encontre des investisseurs ne respectant pas la procédure de contrôle s’est étoffé avec le temps (de la simple injonction au retrait de l’opération, en passant par de possibles amendes). Plus récemment et afin de protéger davantage les entreprises françaises dans les premiers mois de la crise sanitaire liée à la Covid-19, Bercy a abaissé, à compter du 6 août 2020 et initialement pour une durée prenant fin le 31 décembre 2020, le seuil de 25% de détention des droits de vote à 10% pour les investisseurs non-communautaires, par un décret du 22 juillet 2020. Cette mesure a ensuite été prorogée une première fois jusqu’au 31 janvier 2021 par un décret du 28 décembre 2020. Dans la mesure où les effets de la crise sanitaire perdurent, le gouvernement a, à nouveau, prolongé, par le décret n° 2021-1758 du 22 décembre 2021, à compter du 1er janvier 2022 et jusqu’à fin de cette année, l’application du seuil réduit de détention.
Le seuil de 10% permet de soumettre au contrôle la situation d’une entreprise dans laquelle aucun actionnaire ne dispose réellement du contrôle et qui est donc davantage exposée à des prises de participations minoritaires opportunistes. Il faut toutefois souligner que l’abaissement de seuil ne vise que les sociétés cotées (pour les autres, il demeure fixé à 25%). Ce décret a été complété par un arrêté du 27 avril 2020 qui a étendu le contrôle au secteur des biotechnologies.
Ainsi, en 2020, 20% des investissements étrangers en France ont fait l'objet d'une procédure d'autorisation préalable. La Direction Générale du Trésor a réalisé 275 contrôles, dont 31,5% pour des entreprises du secteur de la défense et de la sécurité. Si dans la majorité des cas, le Ministère de l'Économie et des Finances ne bloque pas les projets, il peut conditionner son autorisation au respect d’engagements par l’investisseur (par exemple, maintenir la production en France). Néanmoins, Bercy s’est récemment opposé à plusieurs rachats stratégiques (Photonis en décembre 2020 et Carrefour en janvier 2021). Ce contrôle renforcé traduit bien la volonté accrue de la France de préserver des actifs stratégiques en étendant le champ du contrôle des investissements étrangers. Aux vues de cette nouvelle prolongation, il est également légitime de s’interroger sur la potentielle pérennisation, à terme, du seuil de 10%.
Ce durcissement du mécanisme de filtrage n'est d’ailleurs pas propre à la France. Il s’inscrit dans une tendance largement observée chez nos voisins européens. Ils ont suivi les incitations de la Commission européenne, qui, dès le 25 mars 2020, a publié des orientations leur préconisant de contrôler davantage les investissements étrangers.
Dans ce contexte de contrôle accru des investissements étrangers, il est fortement recommandé que les parties à une opération de cession impliquant une société française et un investisseur étranger se posent – et anticipent dès le stade des négociations contractuelles, la question de la soumission de l’opération à la procédure de l’autorisation préalable.
Henry Saint-Père, Avocat Associé, et Clément Mogavero, Avocat Counsel, Cabinet Ratheaux