Points de vue de François Xavier Lucas, Professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne et Marc Senechal, mandataire judiciaire, Président du Conseil National des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires (CNAJMJ) sur la nouvelle réforme du droit des procédures collectives.
Il est question d'une énième réforme du droit des procédures collectives, en préparation à la Chancellerie. Disposez-vous d'informations à ce sujet et notamment sur les éventuelles consultations auxquelles elle donnerait lieu ? Ne conviendrait-il pas d'y associer plus étroitement universitaires, avocats et mandataires judiciaires ?
François Xavier Lucas, Professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne : S’agissant de la réforme elle-même, on sait qu’elle va avoir lieu en 2014 et qu’elle va prendre la forme d’une part d’une loi d’habilitation autorisant le gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance en vue de modifier le livre VI du code de commerce et d’autre part d’un projet de loi qui traitera précisément du statut des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires ainsi que des tribunaux de commerce. Quant à la méthode employée et au souci de recevoir tous les éclairages possibles avant de légiférer, on peut faire bien des reproches aux différentes réformes qui se succèdent à un rythme toujours plus soutenu en matière de procédures collectives mais pas celui de l’absence de concertation. Que ce soit au moment de l’élaboration de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises ou aujourd’hui, alors que cette nouvelle réforme se prépare, la Chancellerie a toujours pris soin d’associer très en amont des praticiens et des universitaires à sa réflexion, de participer à tous les colloques et conférences où il y a matière à venir piocher des idées pour nourrir son entreprise réformatrice et, d’une manière générale de procéder à une large consultation de tous les acteurs du traitement des difficultés des entreprises.
Marc Senechal, mandataire judiciaire, Président du Conseil National des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires (CNAJMJ) :
Je confirme totalement le propos et, pour parler d’une profession que je connais pour la représenter depuis maintenant deux années, je peux vous faire part du dialogue presque quotidien qui s’est installé entre les concepteurs de la réforme à la Chancellerie et le Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires que je préside. Même si l’impulsion est toujours politique en ce qu’elle procède d’une certaine conception du traitement économique et social de la crise, les dispositifs conçus pour parvenir aux résultats espérés sont toujours soumis au débat contradictoire et à des échanges approfondis au sujet de nos pratiques et du moyen de les améliorer. Il existe une authentique volonté de comprendre les enjeux et les contraintes pratiques avant de légiférer.
Quelle pourrait être la philosophie de cette nouvelle réforme ?
FXL : Parler de philosophie à propos de cette réforme est sans doute faire un bien grand honneur à un législateur qui a précisément renoncé à une telle ambition, en prenant la décision de soustraire la réforme au débat parlementaire pour confier au gouvernement le soin de légiférer par voie d’ordonnance. On peut le regretter. Le droit des entreprises en difficulté impose en effet d’arbitrer entre des intérêts que la situation de pénurie où l’on se trouve rend particulièrement contradictoires et antagonistes. La nécessité de trancher ces conflits en fait une matière très politique, contrairement à ce que sa dimension technique et complexe pourrait laisser croire. C’est une décision politique que de choisir si l’on rééquilibre les rapports de force en faveur des créanciers ou du débiteur, si parmi les créanciers on se soucie plus des banques ou des salariés, des investisseurs ou des fournisseurs, si l’on préserve l’actionnaire ou si au contraire on lui impose des sacrifices, etc. Réformer le droit des entreprises en difficulté nécessite de procéder à tous ces arbitrages, ce qui ne peut se faire que sur la foi de choix qui, pour être dictés par le souci de l’efficience économique, n’en sont pas moins éminemment politiques. On ne peut donc que regretter que, comme lors de la dernière réforme d’ampleur, opérée par l’ordonnance du 18 décembre 2008, ce soit hors du Parlement que s’opèrent ces choix importants. Aujourd’hui, le droit français est à la croisée des chemins. La majorité socialiste qui se trouvait aux affaires dans les années 80 a fait le choix, avec la loi du 25 janvier 1985, d’une loi résolument favorable aux débiteurs, tous les moyens devant être mis en œuvre en vue de redresser les entreprises en difficulté et de préserver l’emploi, même s’il fallait pour cela mortifier les créanciers et, bien souvent, les condamner à ne pas être payés. En 1994 puis en 2005, notre droit a été réformé pour restaurer les droits des créanciers et en particulier l’efficacité de leurs sûretés. Ces réformes ont marqué, en matière de traitement des difficultés des entreprises, la fin d’un volontarisme qui confinait à l’angélisme et la prise de conscience du danger de faillites en chaîne provoqué par le non-paiement de créanciers qui, n’étant pas payés, peuvent à leur tour être défaillants. On a surtout mesuré l’influence que pouvait avoir sur la politique d’octroi du crédit une législation ne permettant pas de garantir un remboursement aux bailleurs de fonds. Sans aller jusqu’à parler de choix philosophique, le législateur de 2014 va devoir poser un choix politique, tout particulièrement pour dire s’il manifeste sa sollicitude à l’égard des débiteurs en difficulté ou s’il confirme l’abandon de l’idéologie du sauvetage à tout prix et l’adoption d’une ligne plus favorable aux créanciers, dans l’espoir (à vrai dire pas toujours récompensé…) que cette mansuétude se traduira par un plus large octroi de crédit aux entreprises. Cette seconde branche de l’alternative paraît la plus probable.
En ce qu’est en cause le rapport de force entre les créanciers et le débiteur, il n’y a pas de révolution à attendre et tout porte à croire que l’effort va se concentrer sur l’amélioration des procédures collectives existantes plutôt que sur la remise en cause des grands équilibres. Cette amélioration des dispositifs de traitement des difficultés pourrait passer par l’accélération de leur déroulement, d’une part en concevant une procédure ultra-simplifiée de liquidation judiciaire qui pourrait ne durer que quatre mois et qui, réservée aux débiteurs sans actifs et sans salariés, ne viserait qu’à s’assurer qu’ils méritent bien ce cadeau qu’est la décharge de leur passif, au nom du « droit au rebond », et d’autre part en encourageant l’anticipation dans le traitement des difficultés par l’élargissement du domaine du prepack, ces plans préparés en amont du déclenchement de la procédure collective et qui peuvent être adoptés très rapidement une fois la procédure ouverte dès lors que l’économie de la restructuration a été définie avant le jugement d’ouverture. L’une des idées évoquées pourrait être d’élargir le domaine de la Sauvegarde financière accélérée (SFA) qui permet la mise en œuvre de ces plans « prepacks » voire d’introduire la pratique du plan de cession prepack pour permettre de concevoir une solution de reprise dans le cadre d’un mandat ad hoc ou d’une conciliation, idée qui, pour être intéressante, n’en pose pas moins un certain nombre de problèmes, en particulier lorsqu’il s’agit de garantir l’équité de la compétition entre les pollicitants et la transparence du processus de sélection du repreneur.
MS : La réforme en cours devrait faire le choix de renforcer l’efficacité des dispositifs amiables pour toutes les entreprises qui sont encore en situation de négocier avec leurs créanciers et pour lesquelles existent de vraies perspectives de sauvetage mais qu’il favorise le prononcé rapide de la liquidation lorsque celle-ci apparaît la seule issue raisonnable. La marge de manœuvre pour imposer des plans de sauvegarde ou de redressement dont les créanciers ne veulent pas est aujourd’hui très faible compte tenu des montants de passif à retraiter et des taux pratiqués. Il en résulte que le plan permettant d’échelonner sur dix ans l’apurement du passif ne permet pas le plus souvent à redresser l’entreprise. Il faut passer par une solution plus énergique, reposant sur des sacrifices plus lourds que les dix ans du plan imposés aux créanciers, ce qui peut se faire soit en accord avec ces derniers dans le cadre amiable du mandat ad hoc ou de la conciliation, soit en leur imposant une restructuration qui ne peut alors passer que par une issue liquidative, avec ou sans plan de cession. A cet égard, je suis très intéressé par l’idée de prepack cession évoquée par François-Xavier Lucas. Le droit américain, dont notre législateur s’est inspiré lorsqu’il a acclimaté ce mode de conception anticipée des plans de redressement, connaît la variante du prepack cession, que la loi du 22 octobre 2010 n’a pas introduite lorsqu’elle a consacré la sauvegarde financière accélérée. Cet oubli est dommageable car, dans nombre de dossiers, les finances de l’entreprise sont à ce point exsangue qu’elle peut ne pas être en mesure de financer une période d’observation suffisante pour avoir le temps de concevoir un plan. La cession apparaît alors comme la seule issue à condition d’en accélérer le dénouement, ce qui peut passer par une anticipation. Je vois alors tout l’avantage qu’il peut y avoir à négocier dans le cadre d’un mandat ad hoc ou d’une conciliation une solution de reprise, que ce soit en termes de préparation du PSE ou de consultation des IRP, de conception d’une data room ou encore d’anticipation sur les délais de convocation aux audiences. Une telle innovation marquerait tout à la fois une amélioration des dispositifs de prévention et de la liquidation, ce trait d’union entre ces deux procédures enrichissant la caisse à outils du praticien d’un instrument nouveau et utile.
Quelles modifications du droit positif s'imposeraient le plus selon vous dans le contexte actuel afin d'assurer une plus grande efficience du droit des procédures collectives ?
FXL : Au-delà des suggestions déjà évoquées, deux chantiers apparaissent particulièrement importants. Celui du droit du travail, d’abord, puisque chaque réforme est l’occasion de regretter que ne soit pas adopté un vrai droit social des entreprises en difficulté, c’est-à-dire un droit social qui, sans revenir sur le niveau de protection garanti aux salariés, tienne mieux compte de la situation de l’entreprise défaillante pour adapter les obligations qui pèsent sur elle au titre de la rupture des contrats de travail. Le parfait exemple de cette insuffisante prise en compte de l’originalité de l’entreprise défaillante peut être trouvé dans les obligations de reclassement parfaitement platoniques et illusoires que l’on impose de manière purement formelles dans le cadre de liquidations judiciaires où elles ne devraient pas avoir leur place. L’invocation du droit social devient alors le moyen d’imposer un formalisme stérile dans le seul but de provoquer un manquement des professionnels chargés de mener à bien les opérations de licenciement et ainsi d’obtenir une indemnisation par le biais de la responsabilité civile, dans des conditions d’autant plus choquantes qu’aucun préjudice n’a été occasionné par le prétendu manquement invoqué. La réforme qui s’annonce pourrait être l’occasion de remédier à certains des excès de ce droit social déraisonnable. Tous les espoirs sont permis dès lors que le projet de loi d’habilitation à légiférer par voie d’ordonnance, actuellement en cours de discussion au parlement, est porteur d’une réjouissante promesse à cet égard lorsqu’il annonce l’objectif « d’adapter les textes régissant la situation de l'entreprise soumise à une procédure collective, notamment en cas de cessation totale d'activité, en harmonisant les dispositions du livre VI du code de commerce et les dispositions correspondantes du code du travail ». Il ne reste qu’à espérer que le législateur se tienne à cette bonne résolution et que l’on obtienne enfin une réforme courageuse du code du travail qui ne s’est que trop fait attendre.
Le second chantier que l’on peut espérer voir s’ouvrir, et qui devrait l’être puisque l’on nous annonce une loi à cet effet dans le courant de l’année 2014, est celui de la réforme des tribunaux de commerce et du statut des mandataires de justice. Cette question est essentielle car les procédures collectives les plus élaborées ne seront d’aucun secours si les institutions et les organes chargés de les mener à bien ne sont pas à la hauteur. S’agissant des tribunaux de commerce, d’importants efforts ont été réalisés en termes de formation des juges et de regroupement de ressorts trop étroits à l’occasion de la réforme de la carte judiciaire. Même s’il convient d’être prudent car nul ne sait ce qui sortira du débat parlementaire, il apparaît probable que l’organisation des juridictions consulaires ne va pas être bouleversée, la suggestion de la mixité et celle de l’échevinage ayant été écartées par le Garde des sceaux si l’on en croit ses dernières déclarations. On se dirige apparemment vers une réforme visant à améliorer le fonctionnement des tribunaux de commerce et qui pourrait consister essentiellement à renforcer toujours plus la présence du parquet au sein de la juridiction pour en faire un interlocuteur privilégié des juges, aux côtés du greffe dont le rôle ne pourra que demeurer central, tout en encourageant le recrutement de juges de qualité, prêts à se former pour assumer les fonctions qui leur sont confiées. Reste enfin la question de la réforme du statut des mandataires de justice. Annoncée, elle devrait avoir lieu, même si les propositions les plus radicales de libéralisation et de suppression d’un monopole, qui pour n’être que de fait n’en existe pas moins, paraissent aujourd’hui abandonnées. Là encore, sous toutes réserves… car le vrai débat ne débutera qu’au Parlement.
MS : S’agissant de la réforme des professions d’administrateur et de mandataire judiciaire, je voudrais ajouter que le choix fait de longue date par le droit français d’une profession réglementée pour l’exercice du mandat de justice n’a jamais été démenti compte tenu des avantages attachés à cette réglementation.
Aujourd’hui, le législateur français est à la croisée des chemins puisqu’il peut soit confirmer le choix d’une profession réglementé, renouvelé de longue date à l’occasion de chaque réforme, soit de libéraliser le traitement des difficultés des entreprises en ouvrant à d’autres professionnels la possibilité de se faire désigner comme administrateurs ou mandataires judiciaires. Si c’est ce dernier choix qui est retenu, il y a lieu de bien saisir les conséquences qui en résulteraient en termes de contrôle pouvant s’exercer sur les professionnels, de vérification de leur compétence et de leur déontologie, de contrôle de leurs études et de couverture par une caisse de garantie qui, telle qu’elle existe aujourd’hui pour les professionnels inscrits sur l’une des deux listes nationales, ne peut fonctionner qu’avec des praticiens exerçant à titre exclusif le mandat de justice. Le grand sujet à traiter à l’occasion d’une libéralisation de l’accès au mandat de justice serait enfin et surtout celui de la prévention des conflits d’intérêts, qui est la grande affaire de notre temps et certainement un argument de poids en faveur du maintien d’une profession réglementée soumise à de strictes incompatibilités et à des contrôles étroits.
Il serait aujourd’hui paradoxal de rompre avec le statut du mandat de justice à la française alors que, dans le but précisément de lutter contre les conflits d’intérêts, il s’avère constituer un modèle inspirant différents états membres de l’Union qui ont fait le choix d’imposer la constitution de listes pour le choix des mandataires de justice, y voyant une source de transparence appréciable et la garantie de la compétence de professionnels dont il devient possible d’assurer le contrôle. Il est intéressant à cet égard de signaler la Résolution du Parlement européen du 15 novembre 2011 sur les procédures d’insolvabilité et sa recommandation 1.4. relative à « l'harmonisation des aspects généraux concernant les exigences quant aux compétences et à la mission du syndic ». Selon ce texte, qui paraît directement inspiré du statut français des mandataires de justice et qui a vocation à inspirer le droit de l’Union dans les années à venir, le syndic doit, entre autres conditions, « être homologué par une autorité compétente d'un État membre ou mandaté par une juridiction compétente d'un État membre », ce de façon à vérifier sa compétence, qu’il jouit « d'une bonne réputation », qu’il dispose « du niveau de formation nécessaire pour l'accomplissement de ses fonctions » et surtout qu’il est « indépendant des créanciers ainsi que des autres parties concernées par la procédure d'insolvabilité », les conflit d'intérêts devant être prévenus, au point de devenir un cas de démission. De telles exigences mettent en lumières les avantages du système français qui ne me paraît pas avoir dit son dernier mot.
Propos recueillis par Philippe Dupichot, Professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)
Cet article est extrait du n° 3 de la newsletter Le Monde du Droit Selon Capitant (TELECHARGER LE NUMERO AU FORMAT PDF)