La Cour d’appel de Paris a prononcé le 21 juin 2022 la nullité de la clause d’exclusion de garantie d’assurance qu’avait opposée AIG Europe aux dirigeants de Lafarge S.A.

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Commentaire de l'arrêt CA Paris, 21 juin 2022, n°20/1083 par Noëlle Lenoir, Associée chez Noëlle Lenoir Avocats.

L’arrêt du 21 juin 2022 de la Cour d’appel de Paris[1] ayant débouté la compagnie d’assurance AIG Europe qui refusait de couvrir les frais de défense des dirigeants de Lafarge S.A. dans le cadre des procédures pénales ouvertes à Paris et à Bruxelles à raison des activités de l’entreprise en Syrie entre 2013 et 2014, est passé largement inaperçu. Pourtant, après l’arrêt de la Cour de cassation du 7 septembre 2021[2] ayant admis la possibilité pour une personne morale d’être poursuivie pour complicité de crime contre l’humanité – et en l’occurrence dans le même temps ses dirigeants – cette décision constitue un signal d’alerte à l’heure où la protection des mandataires sociaux doit être plus que jamais assurée face aux poursuites pénales ou aux actions en responsabilité civile auxquelles ils sont de plus en plus exposés.

Après rappel de la finalité de l’assurance « Responsabilité Civile des Mandataires Sociaux » (RCMS) (1) et de la jurisprudence qui en fixe les contours (2), les enseignements à tirer de l’arrêt du 21 juin 2022 sont d’autant plus précieux à l’aune des sanctions prises contre la Russie après l’invasion de l’Ukraine (3).

  1. Prendre une assurance RCMS devient un impératif pour les entreprises les plus exposées

La RCMS est un contrat d’assurance permettant de couvrir les dirigeants de sociétés personnes physiques – y inclus les administrateurs – contre les conséquences pécuniaires de la mise en jeu de leur responsabilité civile du fait des fautes commises par eux non détachables de leurs fonctions. Ces conséquences pécuniaires peuvent être des dommages et intérêts, les frais de défense, voire les frais d’assistance psychologique des intéressés par un professionnel. Ne sont pas couverts, en revanche, les amendes pénales ainsi que les dommages corporels ou matériels causés aux tiers. L’assurance RCMS peut aussi permettre à la société et aux actionnaires lésés par les agissements illégaux d’un ou plusieurs dirigeants de couvrir ses pertes.

La judiciarisation de la vie des affaires, la montée en puissance des actions en responsabilité civile fondée sur le devoir de vigilance, la multiplication des poursuites pénales à l’encontre non plus seulement de la société elle-même, mais parallèlement de ses personnels d’encadrement, toutes ces évolutions nécessitent une assurance spécifique des intéressés. En effet, l’assurance responsabilité civile classique de l’entreprise elle-même ne protège pas le patrimoine personnel des dirigeants.

  1. L’assurance RCMS doit être bien négociée car elle comporte des exclusions limitant sa portée

La jurisprudence distingue les exclusions de garantie légales des exclusions conventionnelles.

L’exclusion légale de garantie découle de l’article L113-1 du code des assurances suivant lequel :

« Les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police.

«  Toutefois, l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré ».

Cette disposition étant d’ordre public, le risque de pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive n’est donc pas assurable. Encore faut-il que l’assuré ait eu l’intention de faire couvrir par son assureur les conséquences de sa faute. C’est ce qui a été rappelé dans l’arrêt Marionnaud de la Cour de cassation du 14 juin 2012. La Cour souligne que le dirigeant mis en cause avait délibérément fourni sur sa société des informations trompeuses pour mieux en négocier la cession. Ainsi, il « avait eu la volonté et la conscience de mettre à la charge de son propre assureur les conséquences qui résulteraient de ses fautes » [3].  

L’exclusion de garantie contractuelle doit quant à elle, pour être valable, répondre à des critères de forme, de fond et probatoires :

  • sur la forme, l’article L.112-4 du code des assurances impose que la clause d’exclusion soit « en caractères très apparents », ce qui exclut les tous petits caractères, le juge vérifiant parfois si cette clause est en gras, encadrée ou soulignée, par exemple ;
  • sur le fond, la jurisprudence exige que la clause soit « formelle et limitée », c’est-à-dire ne requérant pas une interprétation pour en découvrir le sens. Ces caractéristiques sont appréciées au cas par cas. S’agissant du concubin d’une femme locataire d’un HLM qui avait mis le feu aux vêtements de celle-ci et provoqué par là un incendie, la Cour de cassation, dans un arrêt du 18 octobre 2012[4] a jugé la clause d’exclusion suffisamment claire et précise pour dénier à l’intéressé toute couverture d’assurance. En revanche, dans d’autres cas, en particulier lorsque la clause exclut sans autre précision « les dommages de toute nature causés ou provoqués intentionnellement par l'assuré ou avec sa complicité », la Cour de cassation, comme dans un arrêt du 12 juin 2014[5], confirme son invalidité ;
  • quant à la charge de la preuve, elle repose toujours sur l’assureur[6].
  1. Les enseignements à tirer de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris dans l’affaire AIG/Lafarge

La clause litigieuse dans l’affaire Lafarge avait été introduite par un avenant en 2015 pour exclure de la garantie les agissements en infraction avec des sanctions internationales. Nombre d’Etats dont au premier chef les Etats-Unis, mais aussi l’Union européenne et l’ONU, ont adopté des règlementations pour rendre illégale l’assurance des activités dans les pays sous sanctions. Aussi, les assureurs et réassureurs introduisent-ils dans leurs contrats des « clauses sanctions » pour exclure toute couverture en rapport avec une activité dans un pays faisant l’objet de sanctions internationales ou lorsque la garantie d’assurance, assimilable à un financement prohibé, les exposerait à ces sanctions. C’est une telle clause qu’avait ajoutée en 2015 AIG Europe qui invoquait un décret présidentiel américain de 2011 pour justifier son obligation de prévoir une telle clause.

La Cour a globalement confirmé le jugement du Tribunal de commerce de Paris. Contrairement au Tribunal de commerce, elle n’a cependant pas considéré que la clause litigieuse était rédigée en violation de l’article L112-4 du code des assurances, réduisant le standard relatif à ses nécessaires « caractères apparents ». Le tribunal avait relevé que la clause était en minuscules et en plus petits caractères que la phrase précédente et que rien ne permettait de faire ressortir les points importants de l’avenant ayant introduit cette clause. La Cour a estimé, elle, que le nouveau paragraphe était « présenté au tout début de la première page de l’avenant, dans une police mise en forme de manière très apparente, en italique, distincte du reste du document ».

Pour le tribunal, AIG avait en outre manqué à son devoir de conseil pour n’avoir pas précisé la liste des pays où en tant qu’assureur, elle était soumise à une interdiction de délivrance d’une garantie. La Cour n’a pas statué sur ce point, mais sa conclusion rejoint celle du tribunal. Le fait que la clause en question constituait bien une clause d’exclusion contractuelle et ne précisait effectivement pas « la liste des pays dans lesquels Lafarge avait une filiale, soumise à une interdiction de délivrance d’une garantie par une réglementation applicable à AIG » suffisait au regard des critères jurisprudentiels à déclarer ladite clause « nulle et en conséquence inopposable à la SA Lafarge ».

Cet arrêt doit être conçu comme un signal d’alerte alors que l’invasion de l’Ukraine par la Russie a amené plusieurs pays, dont les Etats-Unis, ainsi que l’Union européenne a adopté des « paquets » de sanctions d’une ampleur sans précédent dont l’impact sur l’assurance responsabilité civile mérite donc d’être clairement évalué.

Noëlle Lenoir, Associée chez Noëlle Lenoir Avocats

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[1] CA Paris, 21 juin 2022, n°20/10832.

[2] Cass.crim. 7 septembre 2021, n°19-87.367.

[3] Cass.civ., 14 juin 2012, n°11-17-367.

[4] Cass. civ., 18 Octobre 2012, n° 11-23.900.

[5] Cass.civ., 12 juin 2014, n° 13-15.836.

[6] Cass. civ., 16 nov. 1982.


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