Usage de l’article 49.3 : un recours attendu et conforme à l’intention des constituants

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Pour la 90ème fois depuis 1958, à l’image de 15 de ces prédécesseurs, la Première ministre Elisabeth Borne, « après délibération du conseil des ministres », a décidé le 19 octobre 2022 d’« engager la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale » sur le vote du budget, recourant dès lors à la procédure prévue par l’article 49-3 de notre Constitution. Cette initiative a généré moultes commentaires sur sa pertinence et sur ses conséquences possibles.

Le recours à l’article 49.3 de la Constitution constitue-t-il à votre sens le ‘coup de force du gouvernement’ dont il a pu être accusé et apporte-t-il une réponse efficace aux problèmes rencontrés par la majorité ?

Le déroulement du débat budgétaire à l’Assemblée s’est révélé sans surprise. Comme cela était attendu, le gouvernement a finalement engagé le recours à l’article 49.3 en arguant de la nécessité de conclure des échanges qui s’éternisaient. Et en réplique les oppositions ont protesté contre « le coup de force » de l’exécutif qui « bafoue les droits du parlement ». Un grand classique qui se répète à chaque usage de cet outil controversé du parlementarisme rationalisé qui conjugue la domination gouvernementale sur la procédure législative et les contraintes du pouvoir de contrôle parlementaire. Il ne peut donc surprendre que si l’on ignore tout du fonctionnement de la Ve République.

De surcroit, il est même possible de soutenir que cet appel au 49.3 est parfaitement conforme à l’intention du constituant. Georges Vedel, professeur de droit public et ancien membre du Conseil constitutionnel, considérait d’ailleurs que l’article constituait avec l’élection du président de la République au suffrage universel direct et la création du Conseil constitutionnel l’un des trois grands traits majeurs de la Constitution de la V° République.

A la naissance du régime, ce sont les alliés du général de Gaulle qui plaidèrent pour l’introduction de ce mécanisme. Son inspiration se retrouve ainsi dans deux propositions de révision de la IVe République, la première à l’initiative du député MRP Paul Coste-Fleuret déposée en janvier 1957 et une seconde datée du 16 janvier 1958 sous la signature de Félix Gaillard alors président du Conseil. Et lors des débats préalables à l’écriture de la Constitution, Pierre Pflimlin et Guy Mollet insistèrent pour qu’il vit le jour. « Il faut absolument qu’on puisse faire adopter une loi sans être contraint à un vote exprès du Parlement sinon le gouvernement n’obtiendra pas les lois essentielles à l’exercice de sa politique et tombera » argumenta notamment Guy Mollet si l’on en croit la narration faite par André Chandernagor en 2005 lors d’un colloque. Parallèlement, contrairement à l’opinion courante, les amis du général de Gaulle se montraient plutôt réservés. Paul Reynaud jugeait le procédé « dégradant » et Michel Debré considérait que s’il « était employé à tout instant […], il serait dangereux pour le régime ».

De Gaulle fut cependant convaincu et l’article 49.3 fut conçu selon un précepte évangélique « Qui n’est pas contre nous est pour nous » (St Marc, chapitre IX, verset 40).

Son emploi par Elisabeth Borne répond donc à l’orthodoxie de la Ve République prévoyant que pour garantir l’adoption d’un texte jugé indispensable, le gouvernement peut s’appuyer sur des dispositions exceptionnelles.

Reste que si l’adoption du projet de loi de finances est dorénavant assurée, le message adressé par le pouvoir exécutif est contrasté. En effet, si la démonstration de sa détermination est patente, son respect du travail parlementaire comme sa disponibilité pour la « co-construction » sont moins évidents. Il est en effet contradictoire de prétendre être à l’écoute des compromis qui peuvent se tricoter dans l’hémicycle et choisir finalement de ne pas les intégrer dans les dispositions du budget. On pense évidemment à l’amendement déposé par le président du groupe MoDem Jean-Paul Mattei sur les « superdividendes » adopté dans la soirée du mercredi 12 octobre par 227 voix contre 88 et qui n’a été repris par la Première ministre.

Quelles vont être les prochaines étapes et quels sont maintenant les différents scénarios possibles ?

Tout d’abord, l’examen de la première partie de la loi de finances, consacrée à l’évaluation des recettes et à l’autorisation de la perception des ressources publiques (impôts et taxes)est terminé. Il restait pourtant encore 1982 amendements à étudier.

Ensuite, avant de s’engager dans l’examen de la seconde partie du budget consacré aux dépenses, l’Assemblée va devoir examiner les deux motions de censure déposées par les députés de la NUPES et ceux du Rassemblement national. L’issue ne fait aucun doute dans la mesure où les différents groupes d’opposition ont indiqué qu’ils ne comptaient voter que pour leurs propres motions. Celles-ci seront donc rejetées puisqu’il faut rassembler 289 suffrages pour que la censure soit adoptée et que le gouvernement soit contraint à la démission selon les prescriptions de l’article 50 de la Constitution.

Dès lors, l’Assemblée pourra, au milieu de la semaine prochaine, continuer l’examen du budget qui devra être définitivement approuvé avant la fin du mois de décembre. Parallèlement, le Sénat sera aussi saisi du texte. Son choix sera intéressant à observer car l’an passé, en pleine période pré-électorale, le groupe LR, au nom de « l’insincérité budgétaire du gouvernement » avait décidé de rejeter « l’article d’équilibre » situé à la fin de la première partie du PLF, rendant ainsi impossible l’étude du reste du budget.

Dans tous les cas, il est plausible que l’usage du 49.3 sera reproduit à chaque étape, le gouvernement ne pouvant plus compter sur une quelconque compréhension de la part des parlementaires de l’opposition. Il n’a probablement d’ailleurs jamais nourri d’espoir de cet acabit puisque dès les débats en commission des finances, il avait enregistré par moins de 25 échecs par l’addition des différents suffrages venant du RN, de la NUPES, de LR et de quelques députés du groupe hétérogène LIOT.

Quels enseignements peut-on tirer de ce nouvel emploi de l’article 49.3 de la Constitution ?

Que le gouvernement doit veiller à soigner les conditions de son emploi. Maurice Duverger, professeur de droit public, l’avait fort bien analysé dans une tribune du Monde le 5 juillet 1988 en écrivant qu’« une telle procédure n’est pas scandaleuse si elle intervient après un large débat, où toutes les opinions ont pu s’exprimer librement. L’abus vient seulement quand la discussion parlementaire est supprimée, le rapporteur de la commission et le ministre concerné (appartenant à la majorité) ayant seuls pu parler à la tribune avant que tombe le couperet ».

De ce point de vue, Elisabeth Borne ne peut donc être critiquée mais il lui appartiendra de ne pas oublier qu’un gouvernement appuyé par une semi-majorité demeure dans une situation d’extrême fragilité.

Jean-Jacques Urvoas – ancien garde des Sceaux – Maître de conférences en droit public à l’Université de Brest

Cet article provient du Blog du Club des Juristes


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