Le legal privilege ou la nécessaire indépendance de l’avocat

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Un point de vue sur le rapprochement des professions d'avocat et de juriste d'entreprise. Par Valentine Fribourg, Secrétaire générale de l’Association Le Barreau en Entreprise

  • Avec l’arrêt rendu le 14 septembre dernier, la Cour de Justice de la Communauté Européenne (CJUE) a conservé sa ligne de conduite et maintenu que, dans le domaine de la concurrence, les échanges au sein d’une entreprise entre un avocat interne et sa hiérarchie ne bénéficient pas de la confidentialité des communications entre avocats et client.
  • Ainsi de la théorie à la pratique, comment défendre le legal privilege, autrement dit le secret professionnel, des avocats en entreprise ? Un rapprochement des professions d’avocat et d’avocat en entreprise semble aujourd’hui nécessaire. Eclairage.

L’affaire commence en 2003, lorsque la Commission, en tant qu’autorité de la concurrence, a ordonné à la société Akzo Nobel Chemicals (« Akzo »), et à sa filiale Akcros Chemicals (« Akcros ») de se soumettre à une vérification. Au cours de cette perquisition, un différend survient concernant notamment des échanges écrits entre le directeur général d’Akcros et le juriste en droit de la concurrence d’Akzo, qui est aussi avocat au barreau néerlandais. Les deux entreprises considèrent que ces documents sont couverts par la protection des communications entre avocat et client.

Le tribunal de première instance alors saisi, a considéré comme non fondé le recours[1] des deux entreprises, dirigé contre la décision de la Commission, de joindre au dossier un certain nombre de documents litigieux.

Se considérant dans leur bon droit, les deux sociétés ont formé conjointement un pourvoi contre l’arrêt attaqué. Ce pourvoi porte uniquement sur le point de savoir si les deux courriers électroniques échangés bénéficiaient, ou non, de la protection des communications entre les avocats et leurs clients.

Avocat et Avocat en entreprise

Pour l’avocat, la protection de la confidentialité de ses communications avec son client est, selon la législation de l’Union, un principe général de droit ayant valeur de droit fondamental. En effet, cette confidentialité est reconnue dans l’ensemble des 27 Etats membres. C’est, comme le mentionne très justement l’avocat général Mme Kokott, « un complément nécessaire au respect des droits de la défense reconnus au client » mais aussi un pendant du rôle de l’avocat en tant qu’« auxiliaire de justice » qui est appelé à fournir « en toute indépendance et dans l’intérêt supérieur de celle-ci, l’assistance légale dont le client a besoin ».
L’avocat en entreprise, qui est toujours tenu au respect de ses règles déontologiques, peut bénéficier de cette confidentialité. Depuis un arrêt AM&S de 1982, cette protection est subordonnée à deux conditions cumulatives[2] qui sont que les échanges doivent être établies dans le cadre et aux fins du droit de la défense du client (1) et avec un avocat indépendant c'est-à-dire « non lié au client par un rapport d’emploi » (2) :

  • (1) Concernant le droit de la défense, il est important de noter que certaines directions juridiques, par le biais de ses juristes ou avocats en entreprise, sont parfois appelées à défendre eux-mêmes leur société notamment lorsque la constitution d’avocat n’est pas obligatoire. C’est le cas en France en matière commerciale. Il est alors normal que des échanges électroniques entre le dirigeant d’une filiale et un avocat en entreprise de la société mère soient susceptibles de constituer des documents établies dans le cadre et aux fins du droit de la défense.
  • (2) C’est donc l’interprétation du critère d’indépendance qui dans cette affaire a permis de ne pas considéré les échanges comme étant des communications confidentielles et ceci même si en l’espèce, l’avocat néerlandais en entreprise avait des garanties d’exercice de sa profession pour résoudre de manière impartial de potentiel divergence avec sa hiérarchie.

Cette indépendance ou ce rapport d’emploi est une notion sournoise car tout avocat, en entreprise, ou non, est soumis à un rapport d’emploi. D’autant plus en période de crise.

Il est nécessaire de reconnaitre que l’avocat en entreprise a un rapport d’emploi plus visible que son homologue exerçant en libéral. Mais ce dernier reste en rapport d’emploi avec son client. En effet, il sait pertinemment qu’il faut que son travail réponde aux attentes de son client, pour que ce dernier revienne vers lui avec d’autres demandes. Le lien économique est donc bien présent dans ce cas et il est sans doute beaucoup plus véridique pour les petites structures libérales si dépendantes financièrement de leur clientèle.

Et qu’en est-il de l’indépendance de l’avocat libéral détaché dans une direction d’entreprise ? N’est-il pas en rapport d’emploi avec cette dernière, alors même que son cabinet a passé un accord financier particulier pour cette « mise à disposition » à durée déterminée ?

L’avocat en entreprise de par son évolution au coeur même de l’entreprise peut fournir un avis plus précis et plus en lien avec la stratégie voulue par l’entreprise. Mais à l’origine, il traite son dossier de la même manière qu’un avocat libéral. Il le traite en mettant en avant les risques et les responsabilités encourues, en répondant aux questions soumises et ceci en toute impartialité. Que l’avis soit rendu par un avocat libéral ou par un avocat en entreprise, la décision finale appartient aux dirigeants qui peuvent quantifier ce risque et décider de le « budgéter » ou non.

C’est cette réalité qui a été occultée par l’arrêt Akzo malgré la présence de différentes associations professionnelles liées par la même cause et la même envie de rapprochement des professions.

Comme le dit si bien l’arrêt rendu[3] , ce principe de la protection de la confidentialité a été abordé aux vues de « la procédure de vérification en matière de droit de la concurrence ». Il vise sans doute à renforcer l’étendue des pouvoirs d’inspection de la Commission en matière de concurrence et ne serait pas à généraliser à tous les domaines notamment pénaux, matière dans laquelle certains avocats en entreprise ont pu bénéficier de cette protection lors de saisie dans leurs locaux.

En France, l’avocat passé en entreprise ne bénéficie pas d’un régime spécial comme peuvent en avoir les avocats en entreprise dans d’autres pays de l’Union. Lorsqu’il passe en entreprise il « perd » son statut d’avocat. Il est alors évident qu’il est mis à l’écart de certaines décisions stratégiques dans l’entreprise. Il est pour ainsi dire considérer comme un « canard boiteux » vis-à-vis de ses homologues européens, qui ne comprennent pas comment une telle différence - pourtant si avantageuse pour l’entreprise - ne lui est pas reconnue.

Le droit de l’Union doit tenir compte des principes et des conceptions communs aux droits des Etats membres en ce qui concerne le respect de la confidentialité à l’égard, notamment, des communications entre les avocats et leurs clients.
C’est en tenant compte de ce principe qu’il faut continuer à faire avancer les choses et à défendre un rapprochement des deux professions. Défendre ainsi le projet amené par le rapport Darrois et enfin finaliser un tel statut par une loi concrète permettraient à la France d’être sur un pied d’égalité dans le domaine du secret professionnel avec les autres états de l’union.

Notes :

[1] Les deux entreprises ont saisi le tribunal des deux recours, l’autre étant dirigé contre la décision de la Commission ordonnant la vérification. Le tribunal a considéré ce recours comme irrecevable.
[2] Point 41 de l’arrêt.
[3] Arrêt point 69


Valentine Fribourg, Secrétaire générale de l’Association Le Barreau en Entreprise


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