Le Legal Services Act est entré en vigueur en Angleterre et au Pays de Galles en 2007. Olivier Morel, avocat associé du cabinet Cripps Harries Hall, commente les deux possibilités qui s’offrent aux professionnels anglais : soit la « LDP », dont une minorité du capital est désormais ouvert à des non-juristes, mais dont l’offre de services reste exclusivement juridique et judiciaire ; soit l’« ABS » (« Alternative Business Structures »), où les professions juridiques peuvent être minoritaires, et dont l’offre de services est totalement interprofessionnelle.
L’entrée en vigueur du Legal Services Act va-t-il réconcilier barristers et solicitors(1) ? Cette loi va-t-elle favoriser une véritable interprofessionnalité pour offrir une offre de services globale aux entreprises ? Ouvre-t-elle l’ère de l’entrée au capital des cabinets de solicitors des professionnels de l’investissement ?
La genèse du Legal Services Act
La loi est l’aboutissement d’une longue réflexion sur la réforme de l’administration du droit, entamée par le gouvernement travailliste après son élection en 1997. En 2001, les autorités de la concurrence (Office of Fair Trading) publiaient un rapport sur l’application du droit de la concurrence aux règles gouvernant les professions juridiques. En 2004, Sir David Clementi publiait à son tour son fameux livre blanc sur la règlementation des services juridiques. Il y pointait du doigt les défaillances d’un système réglementaire complexe, ancien et inconsistant. Il préconisait son remaniement avec, entre autres, le développement de nouvelles formes de structures d’exercice : les Legal Disciplinary Practices (LDP ) et les Alternative Business Structures (ABS ). Le gouvernement suivit ses recommandations et légiféra pour réformer l’administration du droit, avec pour but d’accroître la compétitivité et la flexibilité des professions du droit et d’offrir davantage de choix aux consommateurs. Le Legal Services Act vit le jour le 30 octobre 2007.
Conséquences pratiques de l’adoption du Legal Services Act
Les « Legal Disciplinary Practices » (« LDP »)
Sir David Clementi utilise ce terme pour décrire un nouveau type de structure favorisant l’interprofessionnalité entre professions juridiques et judiciaires – principalement barristers et solicitors* – et avec des non-juristes. Les LDP permettent à des professionnels de différentes branches du droit de s’associer entre eux, mais aussi d’ouvrir le capital de leur cabinet à des non-juristes, à concurrence de 25% maximum. Des non-juristes peuvent donc devenir associés d’une LDP. Ces LDP ne peuvent fournir que des prestations de service juridiques. Elles sont soumises à l’approbation d’un organe de réglementation tel que la « Law Society » ou le « Bar Council ». Et elles sont tenues de nommer un directeur de cabinet (« Head of Legal Practice »), qui est un juriste qualifié, et un directeur administratif et financier (« Head of Finance and Administration »), dont les candidatures sont également soumises à l’approbation d’un régulateur. Il est possible de créer des LDP depuis le 31 mars 2009.
Les « Alternative Business Structures » (« ABS »)
Les ABS sont des structures commerciales permettant l’association entre des professionnels du droit et des non-juristes tels que conseils financiers ou immobiliers, experts-comptables, etc. A la différence des LDP, les professions juridiques peuvent être en minorité au sein du capital d’une telle structure dont la vocation est d’offrir toute une panoplie de services professionnels au sein d’une structure unique. Comme pour les LPD, les ABS seront soumises à l’approbation d’un organe de réglementation, leur création étant possible à compter du 6 octobre 2011.
La loi à l’épreuve de la réalité
La création d’un LDP est possible depuis 18 mois, mais on est loin du raz-de-marée que d’aucuns prédisaient. Les codes de déontologie des solicitors et des barristers ont bien été modifiés par leurs organes de tutelle respectifs pour permettre à leurs membres de former des LDP. Au-delà de ces mesures, le paysage des professions juridiques et judiciaires a connu peu de changements. Il n’existe à ce jour que 254 LDP sur plus de 11 000 cabinets de solicitors en Angleterre/Pays de Galles.
Quelques pistes de réflexion pour les professions françaises
Le nombre modeste de LDP créé en 18 mois ne signifie pas forcément que ce modèle est un échec. Les « limited liability partnerships », qui ajoutent aux attraits du partnership traditionnel les avantages de la limitation de responsabilité, ont mis plusieurs années avant de se populariser. Ils sont maintenant très répandus.
L’ouverture du capital des cabinets à des non-juristes, permise par les LDP, a un premier avantage : elle peut devenir un outil de gestion utile pour attirer et conserver les talents des cadres non-juristes – typiquement les fonctions supports en finance, relations humaines, informatique et marketing.
Les observateurs sont plus sceptiques quant à la possibilité d’investissement par des tiers non-juristes dans les cabinets de solicitors. Le modèle économique du partnership, forme juridique de la quasi-totalité des cabinets, voit se confondre sur la personne des associés les rôles d’actionnaires, de productifs et de force de vente. Ils représentent les vrais actifs du cabinet, dont la valeur dépend de leur présence et est donc difficile à pérenniser au-delà des personnes ; et ils partagent entre eux les bénéfices générés par leur activité, sans vraiment laisser de place à de vrais dividendes qui seraient attractifs pour des investisseurs extérieurs, sauf à accepter de voir leur rémunération diminuer de manière significative. En d’autres termes, le cabinet de solicitor typique dans sa forme actuelle ne semble pas constituer un investissement attractif. Et pourtant… En mai 2007, le cabinet australien Slate & Gordon levait 22 millions d’euros à la bourse australienne. Au 30 juin 2010, le cabinet publie un chiffre d’affaire et un bénéfice en hausse respectivement de 21 % et 16 %…
Du point de vue des clients, on peut penser que la possibilité de disposer au sein d’un même cabinet de professionnels exerçant des disciplines connexes les séduira. Mais ceux-ci devront apprendre à véritablement collaborer, à avoir une politique d’honoraires cohérente entre eux, et surtout à se transmettre les informations en temps réel, au bénéfice évident du client qui gagnera en efficacité et en coût. Ceux qui réussiront ce pari auront un avantage concurrentiel certain par rapport, notamment, aux praticiens isolés. Tout comme en France…
Note :
(1) Dans la plupart des États de common law, l'avocature est divisée entre le solicitor qui représente et conseille ses clients et le barrister (avocat plaidant) qui, par l'intermédiaire du solicitor, assiste devant les cours, a le quasi-monopole de la plaidoirie et rend des avis et consultations sur des points de droit très précis.