A l’heure où le mondial du football bat son plein et que le projet de loi relatif à la modernisation des professions judiciaires et juridiques est examiné en Assemblée Nationale, il paraît naturel de se poser la question du rapport que l’avocat peut entretenir avec le monde sportif.
Par François Loye, Avocat associé Juri-Europ et Charlie Menut, Elève-Avocat Juri-Europ
Quel rôle l’avocat peut-il jouer dans l’univers du sport ?
En plus de sa fonction de défense des intérêts des justiciables devant les juridictions, l’avocat est aussi conseil et rédacteur d’actes.
Ce qui n’est pas sans rappeler la profession d’agent sportif.
I- L'avocat peut-il exercer l'activité d'agent sportif ?
a) Aujourd’hui, la loi du 9 juin 2010 relative à l’encadrement de la profession d’agent sportif n’interdit pas à l’avocat d’exercer cette activité sous certaines conditions
La loi du 9 juin 2010 relative à l’encadrement de la profession d’agent sportif était censée répondre au débat suscité par la proposition de loi déposée par le Sénat le 6 mai 2008.
Cette proposition ne contenait, au départ, aucune disposition relative au cumul d’activités agent sportif – avocat mais la Commission culturelle du Sénat a apporté une précision : la profession d’avocat serait incompatible avec la profession d’agent sportif.
- Le contexte avant le 6 mai 2008
L’article L222-6 du Code du sport disposait que «toute personne exerçant à titre occasionnel ou habituel, contre rémunération, l’activité consistant à mettre en rapport les parties intéressées à la conclusion d’un contrat relatif à l’exercice rémunéré d’une activité sportive doit être titulaire d’une licence d’agent sportif»
Il n’était donc pas question d’une exemption pour l’avocat.
En fait, l’avocat titulaire d’une licence délivrée par la fédération sportive concernée pouvait être agent sportif.
En parallèle, certaines fédérations sportives exemptaient l’avocat de l’obtention d’une licence.
C’est ainsi que l’article 3 du règlement FIFA sur les agents de joueurs dispose «l’activité d’agent de joueurs ne peut être exercée par des personnes physiques, licenciées à cette fin par l’association concernée» et ce règlement ajoute qu’«un avocat légalement habilité à exercer conformément aux règles en vigueur dans son pays de résidence peut représenter un joueur ou un club lors de la négociation d’un transfert ou d’un contrat de travail».
D’autres pays encore admettent que l’avocat soit agent sportif sans être titulaire d’une licence. C’est le cas de la Grande Bretagne ou de l’Espagne et de l’Italie.
Bien évidemment, la jurisprudence s’est prononcée en cas de conflit de deux règles, l’une d’origine étatique, l’autre d’origine sportive. En cas de conflit, la loi française s’applique. Une règle émanant d’une fédération sportive internationale ayant son siège à l’étranger n’a pas d’effet direct en droit interne.
En conclusion, à l’époque du dépôt de cette proposition de loi, l’avocat pouvait exercer l’activité d’agent sportif uniquement s’il était titulaire d’une licence.
Mais le Sénat souhaite limiter cette possibilité et dépose sa proposition de loi précisant «l’activité d’agent sportif ne peut être exercée par un avocat. En effet, certains Barreaux autorisent aujourd’hui des avocats à exercer l’activité d’agent, ce qui brouille la spécificité de cette activité. Les avocats peuvent préparer les contrats et conseiller les agents, ils ne doivent pas pouvoir négocier et opérer les transactions avec les clubs».
Aucune explication réelle n’est donnée à cette proposition d’incompatibilité.
- La réaction des avocats face à cette proposition
Les représentants de la profession réagissent clairement contre cette disposition :
Le Bâtonnier de Paris, Maître Yves Repiquet, dans son rapport du 17 mars 2009, considère que «c’est une pétition de principe d’affirmer, comme le fait la proposition de loi, que «les avocats ne doivent pas pouvoir négocier et opérer les transactions avec les clubs». Cette proposition est inappropriée et inopportune. Elle l’est d’autant plus que c’est une activité qui, dans d’autres pays, est exercée par des avocats et que les normes internationales elles-mêmes prévoient qu’elle peut être exercée par des avocats» ajoutant qu’il «serait souhaitable (…) que le nouveau texte prévoit, non pas une incompatibilité qui n’a pas de sens, mais, au contraire, une exemption de la licence d’agent sportif en faveur des avocats dont rien ne justifie qu’ils soient exclus de ce domaine d’activité ».
La Commission Darrois estime souhaitable de rendre compatible la profession d’avocat avec celle d’agent sportif et d’agent artistique. La Commission des Règles et Usages a estimé, dans ces conditions, qu’aucune incompatibilité ne pouvait être retenue à l’égard d’un avocat qui aurait satisfait aux épreuves de l’examen pour la délivrance par une Fédération sportive d’une licence d’agent sportif ou pour son renouvellement.
- L’adoption de la loi relative à l’encadrement de la profession et son apport
Ce n’est que le 27 mai 2010 que le Parlement adopte enfin cette proposition de loi qui, après avoir été analysée par la Commission Boënnec, est bien différente concernant le cumul d’activité avocat – agent sportif.
Il s’avère, en fait, que la loi n°2010-626 du 9 juin 2010 ne fait état d’aucune incompatibilité entre la profession d’avocat et la profession d’agent sportif mais elle n’autorise pas non plus l’avocat à exercer la profession d’agent sportif sans être titulaire d’une licence.
Malgré un débat houleux entre le Sénat et les Barreaux de France, la question n’est finalement pas tranchée.
Alors que le Barreau de Paris revendiquait l’exemption, pour l’avocat, d’obtenir une licence d’agent sportif, le Parlement adopte une loi qui ne change rien au contexte de mai 2008.
Dès lors, l’avocat peut exercer l’activité d’agent sportif mais il doit être titulaire d’une licence. La profession en est exactement au même point qu’en mai 2008.
Le fait d’exercer l’activité d’agent sportif sans être titulaire d’une licence est désormais puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000€ d’amende alors qu’en 2008 ce délit était puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000€ d’amende.
De même, l’avocat titulaire d’une licence d’agent sportif dépend du pouvoir de contrôle et de la discipline des fédérations.
b) Cependant, le débat n’est pas encore clos
Afin de pallier à la difficulté résultant de l’obligation, pour l’avocat, d’être titulaire d’une licence, le Conseil National des Barreaux a fait déposer dans le projet de loi de modernisation des professions judiciaires et juridiques un amendement permettant aux avocats, dans le cadre de la réglementation qui leur est propre, de représenter un sportif en qualité de mandataire pour la conclusion de l’un des contrats mentionnés à l’article L222-7 du Code du sport.
Cet amendement propose de modifier la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.
Il créé un article 6 ter selon lequel : «Les avocats peuvent, dans le cadre de la réglementation qui leur est propre, représenter un sportif, en qualité de mandataire, pour la conclusion de l’un des contrats mentionnés au premier alinéa de l’article L222-7 du code du sport».
L’article 10 de cette loi est modifié afin de préciser les modalités dans lesquelles l’avocat sera rémunéré pour son activité d’agent sportif :
«Dans le mandat donné à un avocat pour la conclusion de l’un des contrats mentionnés à l’article L222-7 du code du sport, il est précisé le montant de ses honoraires, qui ne peuvent excéder 10% du montant de ce contrat. Lorsque, pour la conclusion d’un tel contrat, plusieurs avocats interviennent ou un avocat intervient avec le concours d’un agent sportif, le montant total de leur rémunération ne peut excéder 10% du montant de ce contrat. L’avocat agissant en qualité de mandataire d’un sportif ne peut être rémunéré que par son client »
L’article 66-5 de la même loi relatif au secret professionnel est modifié et, par exception à ces dispositions, il est rajouté un alinéa permettant à l’avocat de transmettre aux fédérations sportives, tant le contrat qu’il aura rédigé et signé au nom du sportif, que le contrat qui le lie à celui-ci conformément aux dispositions de l’article L222-18 du Code du sport.
Enfin, un article L222-19-1 est inséré dans le Code du sport permettant à la Fédération, si elle détecte un abus, d’en informer le Bâtonnier du Barreau auquel l’avocat est inscrit afin que celui-ci détermine la nécessité d’engager des poursuites disciplinaires dans les conditions des textes régissant la profession d’avocat.
Ce projet de loi a été examiné en séance en première lecture à l’Assemblée Nationale les 23 et 24 juin 2010.
L’Assemblée Nationale a adopté ce projet de loi en première lecture à 220 voix pour et 46 voix contre.
La loi n’est pas encore promulguée, le Sénat doit encore prendre position, mais il y a fort à parier que les dispositions relatives à l’exercice de l’activité d’agent sportif par l’avocat seront promulguées dans le texte définitif.
Cette loi devrait donc permettre de trancher définitivement la question de savoir si l’avocat peut exercer la profession d’agent sportif sans être titulaire d’une licence.
Ce texte n’étant pour l’instant qu’à l’état de projet, aujourd’hui encore, l’avocat qui exerce l’activité d’agent sportif doit être titulaire d’une licence délivrée par la Fédération compétente.
Vérification faite de la possibilité pour l’avocat d’exercer l’activité d’agent sportif, il convient d’exposer les démarches à suivre pour obtenir la licence d’agent sportif (II).
II) l'obtention de la licence permettant d'exercer l'activité d'agent sportif
L’obtention de la licence est régie par les articles R222-1 et suivants du Code du sport
La licence est délivrée par l’instance dirigeante de chaque fédération délégataire compétente.
Ainsi, pour un agent sportif de joueur de football, la licence sera délivrée par l’instance dirigeante de la FIFA.
La demande de licence doit être adressée à la fédération qui en accuse réception selon les modalités prévues au Décret du 6 juin 2001 pris pour l’application du chapitre II du titre II de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et relatif à l'accusé de réception des demandes présentées aux autorités administratives.
Suite à cette demande, le candidat va être invité à passer un examen qui permet :
- D'évaluer l'aptitude du candidat à exercer l'activité d'agent sportif en s'assurant qu'il possède les connaissances utiles à l'exercice de l'activité, notamment en matière sociale, fiscale, contractuelle et dans le domaine des assurances ;
- De vérifier sa connaissance de la législation et de la réglementation applicable aux activités physiques et sportives et des règlements fédéraux nationaux et internationaux dans la discipline.
La décision de délivrer ou de refuser la licence à un candidat est notifiée dans le délai d’un mois à compter de l’examen.
Cette décision est publiée dans le bulletin officiel.
La fédération communique chaque année au ministre chargé des sports la liste des agents sportifs à qui la licence a été délivrée.
La licence est renouvelée tacitement tous les ans pendant trois ans sauf dénonciation par l’autorité compétente trois mois avant le renouvellement annuel.
Le renouvellement de la licence doit être demandé au plus tard deux mois avant l’expiration de cette période triennale.
Une fois la licence obtenue, l’agent sportif est donc l’avocat, il a, de ce fait, l’obligation de souscrire une assurance garantissant sa responsabilité civile professionnelle (III).
III) L’ASSURANCE RESPONSABILITE CIVILE DE L’AVOCAT AGENT SPORTIF
Une assurance doit garantir l’avocat lorsqu’il exerce la profession d’agent sportif.
La souscription de cette assurance dépend de l’organisation du Barreau.
3 solutions :
- Le Barreau a souscrit une police d’assurance garantissant tous les avocats du Barreau et ces derniers cotisent pour cette assurance.
Si cette police d’assurance garantit l’exercice de l’activité d’agent sportif, l’avocat devra uniquement déclarer qu’il exerce cette activité à l’ordre.
- Le Barreau a souscrit une police d’assurance qui ne garantit pas l’activité d’agent sportif. L’avocat agent sportif devra alors souscrire une garantie complémentaire.
- Enfin, si le Barreau n’a souscrit aucune police d’assurance et que chaque avocat assure souscrit son propre contrat d’assurance, il devra y ajouter une garantie complémentaire.
Le Barreau de Lyon a souscrit une police d’assurance qui garantit toutes les activités autorisées.
En l’occurrence, l’activité d’agent sportif est une activité autorisée.
Dés lors, on peut considérer que la police d’assurance du Barreau de Lyon garantit l’avocat exerçant cette activité.
Cependant, pour plus de précaution, l’ordre devrait souscrire une garantie complémentaire précisant clairement que l’activité d’agent sportif est couverte par l’assurance du Barreau de Lyon.
François Loye, Avocat associé Juri-Europ et Charlie Menut, Elève-Avocat Juri-Europ