Katya Ascher, counsel & Claire Chabat, avocat chez McDermott Will & Emery évoquent comment gérer le risque discovery d’une société française du fait de sa filiale américaine.
La procédure de discovery est une étape procédurale essentielle précédant un procès aux États-Unis, au cours de laquelle une partie peut obtenir toute information non privilégiée et pertinente détenue par l’autre partie. Le domaine de cette procédure est très large dans la mesure où tous documents ou témoignages (depositions) doivent être produits s’ils sont considérés comme conduisant à la découverte de preuves admissibles. Lorsqu’une filiale américaine d’une société française fait face à un litige aux Etats-Unis, sa société mère peut également être exposée à un risque contentieux, soit directement, en étant attraite à la procédure devant le juge américain, soit indirectement, lorsque sa filiale est contrainte de produire des documents et renseignements détenus par la société mère tierce à la procédure. Ce risque de discovery peut, toutefois, être anticipé et géré, notamment par la mise en place de mesures visant à assurer la séparation effective entre les entités au sein du groupe de sociétés et à limiter le partage des informations entre la filiale et sa société mère.
Le juge américain peut ordonner à une filiale U.S. de produire des informations détenues par sa société mère française
Dès lors que les conditions de son application sont réunies, la procédure de discovery [1] impose aux parties à la procédure de produire « tous documents ou renseignements en leur possession ou leur contrôle », la partie demandant la production de documents devant rapporter la preuve que l’autre partie « contrôle » les documents visés objet de la demande. Afin d’apprécier ce contrôle, interprété largement par la jurisprudence, il appartient au juge américain de déterminer la nature de la relation entre la filiale et la société mère afin d’établir si la filiale « contrôle » les documents, en ce sens qu’elle « a le droit d’obtenir les documents et renseignements », sans qu’il soit nécessaire de rapporter la preuve de la possession physique des documents.
L’appréciation par le juge américain du critère du « contrôle »
L'existence d’un « contrôle » peut être démontrée soit lorsqu’il est justifié d’une relation exclusive de mandant-mandataire (principal-agent) soit lorsqu’il existe des « liens suffisamment étroits » entre les entités affiliées au regard des faits et circonstances de l’espèce.
Afin de caractériser ce critère de « liens suffisamment étroits », le juge américain tient compte de plusieurs facteurs, pris dans leur ensemble, sans qu’aucun ne soit déterminant à lui seul. À titre d’exemple, dans un litige [2] entre deux sociétés biotech opérant aux U.S. sur le marché des dispositifs médicaux, le juge du district de l’Illinois a retenu ces liens suffisamment étroits en se fondant sur les échanges réguliers d’informations et de documents entre la filiale et sa mère à propos du dispositif médical en cause, l’implication croissante de la mère dans la conduite active de la procédure judiciaire à laquelle la fille était partie, le dépôt d’un brevet auprès de l’Office mondial des brevets au nom du directeur général de la filiale, le dépôt (à la fois par la fille et la mère) de plusieurs demandes auprès de la Food and Drug Administration (FDA) portant sur des dispositifs médicaux ayant des caractéristiques technologiques identiques, l’existence d’un accord de transfert de technologie entre la mère et la fille, et enfin, le fait que la filiale distribue un produit de la mère aux U.S. sur le développement duquel la filiale et la mère avaient travaillé.
Les considérations de droit des sociétés pour bien gérer le risque de discovery
Le risque de discovery peut également être minimisé par la société mère, d’une part, en séparant clairement les activités, les structures, les organes de direction et les opérations relevant de la filiale et de la société mère, et d’autre part, en mettant en place des procédures internes de contrôle des communications et documents entre la filiale et sa mère aux fins de limiter le partage d’informations et de documents entre elles.
Il convient notamment d’éviter, d’une part, que l’un des dirigeants de la filiale soit un ancien dirigeant de la mère ou a fortiori que la fille et la mère ait le même président ou tout cumul ou chevauchement significatif dans les fonctions des dirigeants entre la fille et la mère, et d’autre part, de formaliser par écrit les procédures internes de contrôle de l’information au sein du groupe (ayant vocation à viser les données les plus sensibles de la société mère) et de pouvoir justifier que le personnel de la mère ayant des contacts avec la filiale en a eu connaissance et les a acceptés.
Peu connue en France, la procédure de discovery mérite une attention particulière de la part des juristes, en particulier eu égard à l’absence de legal privilege en entreprise et aux sanctions (procédurales ou pécuniaires) que risque la société fille si elle refuse de produire des informations détenues par sa société mère. Du reste, il est de bonne pratique pour la société mère d’éviter, à titre de précaution, de mettre par écrit des faits incriminants relatifs à ses activités aux U.S. ou de partager les avis juridiques avec des tiers afin de ne pas renoncer au secret professionnel de l’avocat.
Katya Ascher, counsel & Claire Chabat, avocat chez McDermott Will & Emery
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[1] Règles 26, 34 et 37 du FRCP
[2] Life Spine, Inc. V. Aegis Spine, Inc., U.S. District Court for the Northern District of Illinois, Nov. 18, 2021