L’engagement de la responsabilité de l’employeur du fait des agissements de son salarié : précision en matière d’escroquerie au jugement

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Lorsqu’une infraction pénale est commise par un salarié et non par le représentant légal de la société se pose la question de l’engagement de la responsabilité pénale de la personne morale. (Cass. Crim. 24 avril 2024 n°22-82.646)

Il résulte des dispositions de l’article 121-2 du Code pénal que « Les personnes morales, à l'exclusion de l'Etat, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7 et dans les cas prévus par la loi ou le règlement, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ».

Sur la base de cet article, la chambre criminelle de la Cour de cassation impose de façon constante aux juridictions pénales de préciser que l’infraction reprochée a bien été commise par les organes ou représentants de la personne morale, et surtout de bien identifier ces organes ou représentants.

Lorsqu’il s’agit d’un organe ou représentant de droit, comme un Président ou un Directeur Général, visé par la loi ou les statuts de la société pour la représenter, pas de difficulté, la responsabilité pénale de la personne morale est bien engagée du fait de ses agissements.

En revanche, l’identification peut être plus délicate lorsque l’infraction pénale a été commise par un salarié. En effet, en principe, un salarié n’est pas un organe de la personne morale et ne peut pas engager sa responsabilité pénale. Toutefois, la jurisprudence a posé une exception à ce principe : la délégation de pouvoirs. 

Ainsi, si un salarié détient une délégation de pouvoir du chef d’entreprise et qu’il dispose bien de la compétence, l’autorité et les moyens nécessaires, il peut engager la responsabilité de la personne morale. Il convient ici de préciser que cette délégation de pouvoirs peut être de droit ou de fait et n’a donc pas nécessairement besoin d’avoir été formalisée par écrit.

Dans l’arrêt du 24 avril 2024, les faits concernaient une société reconnu coupable du délit de tentative d’escroquerie au jugement pour avoir produit des faux documents devant le Tribunal de commerce. Les faits délictueux n’avaient pas été commis par le représentant légal de la société mais par son Directeur juridique.

Or, la société faisait valoir que ni le juge d’instruction ni la Cour d’appel qui avait prononcé la condamnation n’avaient expressément identifié le Directeur juridique comme « organe ou représentant » de la société. La société arguait également, que le principe du contradictoire avait été violé en ce qu’elle n’avait pas été en mesure de se défendre sur la qualité du Directeur juridique pour engager la responsabilité pénale de la société.

La Cour de cassation rejette ces arguments. 

D’une part, elle retient que l’identification de la personne ayant qualité d’organe ou de représentant et ayant commis l’infraction pour le compte de la société n’avait pas à être obligatoirement énoncée au stade de la citation devant le Tribunal correctionnel. 

D’autre part, elle considère que le principe du contradictoire a bien été respecté et que la société avait tout le loisir de contester la qualité de représentant du Directeur juridique puisque ce point avait nécessairement été évoqué lors des débats.

En effet, la Cour avait retenu que le Directeur juridique disposait bien de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires à l’exercice de la mission confiée par le représentant légal. Elle avait également retenu que compte tenu de sa qualité de Directeur juridique ce dernier était tenu de connaitre les dispositions légales, de les faire appliquer dans son service et ne pouvait pas ignorer que le document qu’il avait créé et produit devant le Tribunal de commerce constituait un faux. La Cour d’appel avait également noté que le Directeur juridique lui-même avait validé la production de ce document devant le Tribunal de commerce et qu’il était chargé de représenter la société dans le cadre de la procédure pénale. 

Si cette décision est dans la lignée classique de la jurisprudence de la chambre criminelle quant à la reconnaissance de l’engagement de la responsabilité de la personne morale du fait d’un salarié, ici Directeur Juridique avec une délégation de pouvoirs de fait, elle semble retenir une vision moins restrictive de l’obligation d’identification du représentant de la personne morale. Il semblerait suffisant pour les juridictions pénales que ce point de la représentation de la personne morale dans le cadre de la commission de l’infraction soit simplement être évoqué dans le cadre des débats, ce représentant n’ayant pas nécessairement à être clairement identifié au stade de la citation devant le Tribunal correctionnelle. 

Diane Buisson, Avocate associée, Redlink


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