L'impact de la loi Hamon en matière de concurrence et distribution

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negociations-commercialesJoseph Vogel, Avocat, Vogel & Vogel analyse l'impact de la "Loi Hamon" du 17 mars 2014 en matière de concurrence et distribution.

La Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation dite "Loi Hamon" a été publiée au Journal officiel le 18 mars 2014.
Joseph Vogel, analyse l'impact de cette loi 
en matière de concurrence et distribution au travers des nouvelles contraintes pour les entreprises dans le cadre de la négociation commerciale (I), de la réforme des délais de paiement (II), des nouvelles pratiques abusives instituées par la loi Hamon (III), de l'introduction des actions de groupe (IV) et se demande s'il faut donner un statut législatif aux concessionnaires (V).

negociations-commercialesJoseph Vogel, Avocat, Vogel & Vogel analyse l'impact de la "Loi Hamon" du 17 mars 2014 en matière de concurrence et distribution.

La Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation dite "Loi Hamon" a été publiée au Journal officiel le 18 mars 2014.
Joseph Vogel, analyse l'impact de cette loi 
en matière de concurrence et distribution au travers des nouvelles contraintes pour les entreprises dans le cadre de la négociation commerciale (I), de la réforme des délais de paiement (II), des nouvelles pratiques abusives instituées par la loi Hamon (III), de l'introduction des actions de groupe (IV) et se demande s'il faut donner un statut législatif aux concessionnaires (V).

Négociation commerciale : de nouvelles contraintes pour les entreprises

Négociation commerciale : de nouvelles contraintes pour les entreprises

La loi Hamon du 17 mars 2014 est venue réformer la négociation commerciale en France en imposant, une fois de plus, à l’ensemble des relations fournisseurs/distributeurs des contraintes générales pour régler un problème particulier, la puissance d’achat de la grande distribution.

Jusqu’à présent "socle" de la négociation commerciale, les CGV en deviennent le "socle unique". Cette avancée sémantique changera-t-elle quelque chose ? Sans doute pas. Certes, il faudra négocier d’abord sur la base des CGV et ne pas les exclure a priori, sous peine de faciliter grandement les actions en responsabilité pour déséquilibre significatif. Mais loin d’instaurer un principe de primauté absolue, il s’agira plutôt d’une règle d’antériorité chronologique. La liberté de négociation reprendra ses droits et en présence d’un rapport de force très inégal, la grande distribution imposera toujours ses conditions aux fournisseurs.

La réforme vient également encadrer plus strictement le calendrier des négociations. Les CGV devront être communiquées 3 mois avant la date butoir du 1er mars, soit avant le 1er décembre. Le distributeur répondra dans un délai de 2 mois maximum à toute demande écrite du fournisseur portant sur l’exécution de la convention.

Enfin, la convention unique s’alourdit : elle indiquera désormais le barème de prix, tel qu’il a été préalablement communiqué avec ses CGV par le fournisseur ou les modalités de consultation de ce barème dans la version ayant servi de base de négociation. Le prix convenu sera applicable au plus tard le 1er mars et le tarif, les réductions de prix, la coopération commerciale et les autres obligations s’appliqueront de façon concomitante. Les manquements aux règles de la convention unique sont sanctionnés par des amendes administratives lourdes (75 000 € pour une personne physique ; 375 000 € pour une personne morale). Encore un formalisme généralisé inutile en droit commun qui impose de fortes rigidités dans un monde économique en mouvement permanent.

Pourquoi la réforme du droit des délais de paiement se traduira vraisemblablement par un échec ?

Pourquoi la réforme du droit des délais de paiement se traduira vraisemblablement par un échec ?

La loi Hamon a entendu réformer le régime des délais de paiement en France, toujours dans un objectif de réduction de la durée de ces délais.

Alors que le socle du droit des délais de paiement demeure inchangé, la loi renforce considérablement la rigueur de ce droit par un encadrement plus strict et des sanctions draconiennes. Elle impose ainsi aux sociétés dont les comptes annuels sont certifiés par un commissaire aux comptes de publier les informations sur les délais de paiement de leurs fournisseurs et de leurs clients.

Surtout, est désormais passible de sanctions administratives très lourdes (75 000 € pour une personne physique, 375 000 € pour une personne morale) le fait de ne pas respecter les délais conventionnels de paiement de 45 et 60 jours ou de ne pas respecter les modalités de computation des délais prévues dans le contrat.

Les délais de paiement seront-ils mieux respectés ? On peut en douter car le législateur s’attaque davantage au symptôme (des délais de paiement plus longs en France qu’à l’étranger) qu’à sa cause : une trésorerie des entreprises très détériorée liée à un taux de marge beaucoup plus faible en France que chez nos voisins (le taux de marge EBE/VA des entreprises françaises est tombé à 30% alors qu’il dépasse 40% dans les pays rhénans). Tant que des mesures effectives n’auront pas restauré les marges des entreprises, leur trésorerie demeurera fragile et elles retarderont toujours le paiement de leurs factures.

En outre, pourquoi tant de sévérité à l’égard des entreprises, quand, par ailleurs, sur les 15 milliards de déficit de trésorerie des PME dus aux délais de paiement, 6 milliards sont liés aux retards de paiement de l’Etat et des collectivités locales.

L’efficacité d’une loi suppose la mise en œuvre de sanctions adaptées et réalistes. En l’occurrence, le nombre considérable de contrevenants visés par la loi Hamon (potentiellement des millions d’entreprises) risque de la rendre complètement inefficace.

Les effets contre-productifs inattendus des nouvelles pratiques abusives instituées par la loi Hamon

Les effets contre-productifs inattendus des nouvelles pratiques abusives instituées par la loi Hamon

En vue de lutter contre les comportements abusifs des acteurs de la grande distribution, la loi Hamon a créé deux nouvelles pratiques commerciales abusives. Toutefois, leur rédaction risque en réalité d’aggraver la situation des fournisseurs qu’elle entendait protéger.

La première pratique concerne les demandes de compensation de marge. Ces demandes résultent généralement de sollicitations informelles en cours ou en fin d’année. Désormais, les demandes supplémentaires en cours d’exécution du contrat visant à maintenir ou accroître abusivement ses marges ou sa rentabilité figurent parmi les avantages ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement proportionnés (C. Com., art. L.442-6, I, 1°). La rédaction maladroite et contreproductive de cette disposition doit être soulignée. En condamnant les demandes supplémentaires visant à accroitre "abusivement" ses marges et sa rentabilité, le nouveau texte peut laisser induire que les demandes de compensation de marge pourraient être légales, à condition ne pas être considérées comme abusives.

La deuxième pratique concerne la passation ou la facturation d’une commande de produits à un prix différent du prix convenu. Pour certains, il en résulterait qu’à défaut d’accord sur un nouveau prix, aucune augmentation de prix ne pourra avoir lieu en cours d’année s’il n’y a pas d’accord préalable de l’acheteur. Le fournisseur ne pourrait donc plus appliquer un nouveau tarif en cours d’application de la convention unique sauf accord de l’acheteur, sous peine d’être visé par l’article L. 442-6, I, 12°. La loi Hamon se retournerait ainsi une nouvelle fois contre les fournisseurs. L’on arriverait à un curieux paradoxe puisque la jurisprudence considère que la clause imposant au fournisseur une fixité absolue de ses prix alors que ses coûts sont en hausse sensible pourrait être appréhendée au titre des obligations créant un déséquilibre significatif (jugement Auchan, T. Com Lille, 7 sept. 2011).

Les actions de groupe en droit de la concurrence : quels nouveaux risques pour les entreprises ?

Les actions de groupe en droit de la concurrence : quels nouveaux risques pour les entreprises ?

La loi Hamon du 17 mars 2014 a introduit l'action de groupe dans notre arsenal juridique français.

Même si les nouveaux risques liés à l’action de groupe en droit de la concurrence doivent être pris très au sérieux par les entreprises, son efficacité pratique demeurera cependant limitée compte tenu des multiples contraintes qui encadreront sa mise en œuvre.

Ce dispositif est strictement encadré. Le droit d’action est réservé aux associations agréées ; le périmètre des victimes se limite aux consommateurs personnes physiques ; le préjudice réparable est cantonné aux préjudices patrimoniaux résultant de dommages matériels ; la compétence est réservée aux TGI ; la procédure impose un premier jugement sur la responsabilité auxquels les victimes peuvent adhérer selon un principe d’ « opt in » dans un délai de 3 à 6 mois avant d’être indemnisées, le tribunal statuant ensuite sur les éventuelles difficultés d’exécution.

Les travers du dispositif sont encore renforcés en matière de concurrence. En ce domaine, la loi opte pour la formule de l’action consécutive. La condamnation au titre de l’action de groupe ne peut intervenir qu’après une condamnation définitive du professionnel par les autorités ou juridictions nationales ou européennes qui constate les manquements au droit de la concurrence.

La loi ne fait-elle pas naître de faux espoirs auprès des consommateurs ? En effet, une procédure de concurrence peut durer 5 ans et les voies de recours peuvent prolonger la durée de la procédure de 3 ans ou plus ; si l’on y adjoint une action privée en réparation, la superposition des procédures pourra prendre entre 15 et 20 ans. De telles durées, déraisonnables, ne rendent service ni aux consommateurs ni aux entreprises. A cela s’ajoute la dispersion des actions entre plus de 160 TGI non spécialisés, alors que la concentration de la compétence aurait été plus efficace.

Faut-il donner un statut législatif aux concessionnaires ?

Faut-il donner un statut législatif aux concessionnaires ?

Bien que le statut de distributeur n'ait pas été introduit par la loi Hamon, un rapport sur les conséquences du changement de réglementation européenne pour les distributeurs automobiles et l’intérêt de créer pour eux un nouveau cadre juridique devrait être remis au Parlement.

Le CNPA critique le fait que le règlement général d’exemption ne prévoit pas de durée minimale du contrat ou du préavis, ni d’obligation de motiver la résiliation et souhaite que les concessionnaires automobiles bénéficient d’une indemnité automatique de fin de contrat.

La durée minimale de préavis revendiquée qui réduit déjà la fluidité du marché et oblige des partenaires qui ne souhaitent plus travailler ensemble à demeurer en relations, ce qui est peu efficient, s’avère inutile puisque l’article L. 442-6 du Code de commerce impose déjà le respect d’un délai raisonnable de préavis et le Code de bonne conduite de l’ACEA prévoit un préavis minimum de 2 ans.

Instaurer une obligation de motivation de la résiliation conduirait à figer encore un peu plus les relations commerciales. Une telle obligation impacte à la hausse le prix des affaires et pérennise des situations acquises aux dépens des nouveaux entrants et des consommateurs, alors qu’il serait souhaitable au contraire, compte tenu des contraintes fiscales, sociales, réglementaires et économiques déjà très lourdes dans notre pays, de favoriser une certaine souplesse contractuelle.

Les mêmes conséquences défavorables découleraient de l’instauration d’une indemnité automatique de fin de contrat, qui augmenterait la rigidité des relations d’affaires et les coûts de distribution.

En situation de crise, il faut être proactif, s’adapter aux marchés et aux besoins des clients et non rechercher des statuts protectionnistes qui finissent toujours par provoquer des effets pervers au détriment de la concurrence, des clients et même au final de ceux qui les revendiquent.

Joseph Vogel
Avocat, Vogel & Vogel

A propos de l'auteur


Joseph Vogel, Avocat, Vogel & Vogel Joseph Vogel, Avocat, VOGEL & VOGEL

Joseph Vogel, spécialiste en droit de la concurrence et de la distribution depuis plus de vingt-cinq ans, conseille ses clients aux niveaux européen et français. Diplômé d’HEC (Hautes Etudes Commerciales) et de l’IEP de Paris (Institut d’Etudes Politiques), il bénéfice d’une double compétence en économie et en droit.

Il est intervenu devant les autorités de droit de la concurrence, en France et en Europe, aux côtés de différentes sociétés françaises et internationales, dans le cadre des plus importantes procédures traitées ces vingt dernières années.

Joseph Vogel est l’auteur de plusieurs ouvrages et de nombreux articles en droit de la concurrence et de la distribution.


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