Un moratoire sur l’agenda vert ? Un faux remède à la compétitivité

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Le Premier ministre a récemment proposé un moratoire sur certaines normes environnementales, notamment la Directive CSRD, pour alléger les contraintes pesant sur les entreprises. Cependant, cette approche soulève des questions sur la compétitivité à long terme et l'urgence de la transition écologique, alors que de nombreuses entreprises commencent déjà à s'adapter aux nouvelles régulations. Explications avec Fleur Jourdan, Avocate et fondatrice de Fleurus Avocats.

Dans une interview accordée au Journal du Dimanche, le Premier ministre s’est attaqué à la “surtransposition des règles européennes” et s’est dit favorable à une forme de moratoires. Il a notamment pointé du doigt la Directive relative à la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) et a plus largement visé l’ensemble des normes environnementales. L’exécutif envisage ainsi de reporter de deux ou trois ans les dates d’entrée en vigueur de ces textes jugés trop lourds et “pris parfois sans suffisamment d’évaluations et de mesures d’impact”.

À l’occasion de son discours de politique générale, Michel Barnier avait déjà exprimé son inquiétude en reprenant à son compte certains constats du rapport sur la compétitivité européenne remis par Mario Draghi. Il s’était alors dit favorable à un assouplissement de l’objectif zéro artificialisation nette posé par la loi Climat et résilience et durcissant la consommation d'espaces naturels par les projets industriels d'envergure.

Il est évident que ces dernières années, les normes environnementales et les textes relatifs aux obligations extra-financière des entreprises se sont multipliés. Dans le contexte économique actuel marqué par la situation préoccupante des finances publiques, les risques de pénaliser la compétitivité, l’investissement et la croissance sont dans tous les esprits. La période ne doit pour autant pas nous faire perdre de vue l’essentiel et l’opportunité que peut représenter cette politique à moyen terme. Face à l’enjeu et à l’évolution du cadre juridique, bon nombre d’entreprises ont commencé ce travail de mise en conformité. Le signal qui leur est aujourd’hui adressé n’est pas des plus constant et risque d’en encourager certaines à remettre à plus tard ce qui relève pourtant d’une transition urgente et nécessaire.

Du point de vue du droit communautaire, la question de la faisabilité juridique d’un tel moratoire se pose. Pour cause, au-delà même du sujet de l’obligation de transposition faite aux États membres, la CSRD a précisément déjà été transposée en droit interne. Ainsi, tout report ou retard pris dans la mise en œuvre de ce texte pourrait conduire à la condamnation de la France devant la CJUE, à moins que la Commission européenne n’opère elle-même ces aménagements d’agenda, ce qui en l’état ne semble absolument pas aller dans le sens de sa politique.

Cette position de l’exécutif fait évidemment échos à un certain nombre de revendications et d’inquiétudes de la part de professionnels de tous secteurs.

Dans le domaine de la commande publique, on voit déjà fleurir des exigences en matière environnementales qui deviendront obligatoires pour tous les marchés publics à compter de l’année 2026. Certains, y compris dans la profession d’avocats, commencent déjà à s’offusquer de cette pratique. Comment, quand on est prestataire de services, peut-on mettre en avant des pratiques vertueuses en matière environnementale ? Est-ce vraiment sur la base de ce critère que nous devons être évalués et partant sélectionnés ? Mais plutôt qu’une énième contrainte absurde, il faut voir dans cette obligation, une invitation à faire évoluer ses pratiques à tous les niveaux et dans tous les secteurs d’activité, y compris ceux qui n’y sont pas intuitivement les plus exposés. Chacun est ainsi contraint de réfléchir à élaborer une stratégie de production plus responsable dans la limite bien sûr de ses moyens.

On le comprend, ces différentes normes environnementales se heurtent à de très nombreuses résistances, à tous les niveaux, y compris au sommet de l’État. Mais plutôt que de spéculer sur une perte de compétitivité, sans doute faut-il voir l’avantage concurrentiel que cette mise en conformité devrait nous apporter à moyen terme. L’Union européenne, laboratoire des innovations vertes, est motrice sur l’ensemble de ces questions et emportera inévitablement avec elle le reste des acteurs économiques mondiaux, tous au pied du mur.

La compétitivité doit maintenant être entendue de manière plus large que le simple attrait d’une place économique et financière. Les externalités négatives sur l’environnement et les Hommes doivent définitivement entrer dans le champ de nos préoccupations et devenir notre priorité. Loin des épouvantails de l’écologie punitive et de la décroissance, nous devons sans crainte travailler à la transformation durable des modèles d’affaires et du rôle social de l’entreprise. Ce défi est de taille et doit de toute évidence s’équilibrer avec la somme des intérêts en présence. Toutefois, la réorganisation des entreprises et des directions a en réalité déjà commencé, endiguer ce phénomène serait parfaitement contre-productif.

Fleur Jourdan, Avocate et fondatrice de Fleurus Avocats


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