Laurence Ravillon, Professeur à l’Université de Bourgogne et Directeur du Centre de Recherche sur le Droit des Marchés et des Investissements Internationaux -Doyen de la Faculté de Droit et de Science Politique de Dijon, évoque le rôle du juriste dans la stratégie internationale de l'entreprise.
La place du juriste international est croissante, compte tenu de la mondialisation de l’économie et de la nécessité pour certaines entreprises de se tourner vers l’international, dans un souci de croissance interne ou externe, ou dans un souci de financement. Même s’il est toujours difficile de généraliser, car le rôle du juriste pourra être différent d’une entreprise à l’autre – selon le modèle économique de l’entreprise – et d’un secteur à l’autre, on peut dégager quelques tendances fortes, notamment en termes de conseil au service de l’intérêt de l’entreprise et de "juris-stratégie".
L’exercice de l’activité du juriste international se fait au service de la conformité des activités de l’entreprise en France et à l’étranger, que les réglementations mises en jeu soient commerciales ou prudentielles. Il constitue un garde-fou quant à la licéité des opérations envisagées.
Le juriste a un rôle d’information délivrée aux décideurs quant aux risques juridiques potentiels d’une activité à l’international (implantation, opération d’import-export, distribution...). Par exemple, dans une stratégie de croissance externe, le juriste appréciera les contraintes réglementaires dans le pays cible afin de permettre à l’entreprise d’apprécier l’opportunité d’une acquisition (instabilité politique du pays cible par exemple) et de permettre une rentabilité efficace de l’investissement (rapatriement des capitaux, optimisation fiscale).
Il a un rôle préventif et un rôle de mise en garde quant aux éventuelles évolutions législatives pouvant avoir des conséquences sur l’activité de l’entreprise ou nécessiter une adaptation de certaines procédures.
Toujours en amont, le juriste, en tant que garant de la politique contractuelle, contribue étroitement à la rédaction et au contrôle des documents contractuels, à la mise en place des garanties, et travaille pour cela en étroite collaboration avec les opérationnels, auxquels il peut au demeurant délivrer certaines formations (en droit de la propriété intellectuelle, en droit de la concurrence, par exemple). Sans aller jusqu’à ces formations, le juriste doit faire œuvre de pédagogie et accompagner les équipes commerciales.
Grâce à la compréhension des données techniques, financières et économiques, il est en mesure d’orienter les décisions de l’entreprise et d’appliquer le droit dans la dynamique de cette dernière.
En tant que juriste international, il doit savoir appréhender la diversité des droits applicables –au besoin en ayant recours à un cabinet d’avocats local –, les différences d’approches culturelles, connaître par exemple les stratégies de protection de la propriété intellectuelle au niveau mondial. Sa marque de fabrique par rapport au juriste de droit interne réside sans conteste la créativité plus importante que nécessite sa fonction, comme le montre l’ingénierie contractuelle à l’œuvre en matière internationale.
Le juriste doit être proactif, donc anticipateur. Il doit ainsi identifier et analyser les risques (risque légal, contractuel, juridique – atteinte à l’image, paiement de dommages-intérêts, retrait d’une autorisation –, pénal, fiscal) et leur impact financier, technique, environnemental, avant d’envisager les solutions à apporter dans un contexte européen et international, que les risques soient extrinsèques ou internes.
Au-delà du management des risques juridiques, le juriste est parfois considéré comme un juriste-stratège, qui identifie les opportunités commerciales ou stratégiques, grâce à la veille qu’il effectue, et les signale au plus haut niveau de l’entreprise. Sa vision stratégique des dossiers apparait donc essentielle. Les choses se présentent alors en termes de différenciation concurrentielle, d’amélioration de la compétitivité et d’optimisation de la protection juridique de l’entreprise.
En aval, l’angle pathologique, c’est-à-dire le contentieux, est le moment du recours aux avocats, lesquels vont alors être les interlocuteurs du juriste d’entreprise. Le juriste international a donc vocation à intervenir à tous les stades d’un projet.
Le juriste d’entreprise est un bon connaisseur de l’entreprise, de son contexte, du profil de ses clients, imprégné de la culture d’entreprise, ce qui lui permet d’identifier les solutions pertinentes pour l’entreprise. Juriste polyvalent, doué de capacité d’adaptation et d’initiative, il est à la fois force de conseils, de propositions et d’actions, ce qui suppose qu’il sache doser l’audace et la prudence. On est donc passé d’un juriste trop longtemps considéré comme un frein à un "juriste-lien", avec les opérationnels, avec les cabinets d’avocats, avec les correspondants pour le dépôt des marques et des modèles à l’étranger, sécurisant et apportant une valeur ajoutée trouvant une traduction économique.
Laurence Ravillon, Professeur à l’Université de Bourgogne et Directeur du Centre de Recherche sur le Droit des Marchés et des Investissements Internationaux -Doyen de la Faculté de Droit et de Science Politique de Dijon
A propos
Cet article provient du numéro 13 de Juriste Entreprise Magazine (JEM), magazine de l'Association Française des Juristes d'Entreprise (AFJE) dont le dossier spécial est consacré à la mondialisation..
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