La CJUE confirme et étend sa jurisprudence concernant les avocats en entreprise.
La Cour de Justice de l’Union Européenne a rendu le 6 septembre 2012 un arrêt d’une grande importance pour notre profession.
Les faits : le Président de l’Office polonais des communications électroniques (PUKE) a formé un pourvoi contre une ordonnance rendue en mai 2011 par le Tribunal de l’UE. Ce dernier avait jugé que deux "conseils juridiques" bénéficiant pourtant d’un statut spécifique reconnu par la loi polonaise, doté d’une déontologie propre, ne pouvaient pas représenter une partie devant une juridiction communautaire.
Le Tribunal avait estimé que ces avocats en entreprise n’étaient pas des tiers au requérant car, employés par ceux-ci, ils n’agissaient pas en totale indépendance.
La CJUE a rejeté l’ensemble des moyens du pourvoi dans les termes suivants :
- "la référence faite par le requérant aux obligations d’indépendance découlant des règles professionnelles de conseil juridique n’est pas de nature en elle-même à démontre que Mes. [G et P] étaient en droit de le représenter devant le Tribunal. En effet, la notion d’indépendance de l’avocat est définie non seulement de manière positive, à savoir par une référence à la discipline professionnelle, mais également de manière négative, c’est-à-dire par l’absence d’un rapport d’emploi.",
- "l’existence d’un lien de subordination (...) implique un degré d’indépendance moindre que celui d’un conseil juridique ou d’un avocat exerçant ses activités dans un cabinet externe à l’égard de son client.", et
- "(...) la discipline professionnelle n’est pas à elle seule de nature à démontrer qu’il est satisfait à l’exigence d’indépendance.".
La CJUE rejette l’argument de la subsidiarité selon lequel, à défaut de règles communautaires, c’est au droit national de déterminer les règles applicables aux professions juridiques. Elle répond que s’agissant de procédures devant les instances de l’UE, la conception de l’avocat (donc de son degré d’indépendance) est "nécessairement indépendante des ordres juridiques nationaux".
Que retenir de cet arrêt ?
D’abord qu’il s’inscrit dans la lignée des arrêts AMS (1982) et AKZO (2009-arrêt plusieurs fois cité dans l’arrêt PUKE) qui se sont prononcés dans le même sens, refusant à un juriste d’entreprise, même inscrit au Barreau, le bénéfice de la confidentialité et établissant une distinction nette entre avocat en entreprise et avocat libéral. Il s’agit donc d’une jurisprudence dorénavant établie.
Ensuite que tenter de limiter sa portée est à la fois justifié et illusoire. Justifié car PUKE ne porte il est vrai que sur la représentation devant les juridictions de l’UE. Illusoire car après l’arrêt AKZO, certains ont pu croire que la restriction s’arrêterait aux seules procédures UE en matière de concurrence. Or l’arrêt PUKE prouve très clairement qu’il n’en est rien et que se dégage par arrêts successifs un principe général affirmant qu’un avocat en entreprise, en raison de son lien de
subordination, n’est pas un avocat libéral et ne peux donc pas bénéficier de deux des "attributs" fondamentaux de cette profession, à savoir la représentation en justice et la confidentialité des avis.
Qu’on le regrette ou non, ce fait doit évidemment être pris en compte dans les débats actuels sur l’opportunité d’instaurer un statut d’avocat en entreprise en France.
Jean-David Sichel, Directeur juridique TBWA France, Administrateur de l’AFJE
A propos
Cet article provient du numéro 15 de Juriste Entreprise Magazine (JEM), magazine de l'Association Française des Juristes d'Entreprise (AFJE) dont le dossier spécial est consacré au Knowledge Management.
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