Tout en admettant la conformité à la Constitution de dispositions concernant le « passe sanitaire », le Conseil constitutionnel censure les dispositions de la loi relative à la gestion de la crise sanitaire organisant la rupture anticipée de certains contrats de travail et le placement « automatique » à l'isolement, qu'il juge contraires à la Constitution.
Par sa décision n° 2021-824 DC du 5 août 2021, qui compte 125 paragraphes, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur plusieurs dispositions de la loi relative à la gestion de la crise sanitaire, dont il avait été saisi par le Premier ministre et par un recours émanant de plus de soixante députés, ainsi que par deux autres recours émanant, chacun, de plus de soixante sénateurs.
Au nombre des dispositions critiquées figuraient, au sein de l'article 1er de la loi déférée, celles subordonnant l'accès à certains lieux, établissements, services ou événements à la présentation d'un « passe sanitaire »
Il était notamment reproché à ces dispositions de subordonner l'accès aux grands magasins et centres commerciaux et aux transports publics à la présentation d'un « passe sanitaire », ce qui n'aurait pas d'intérêt dans la lutte contre l'épidémie. Il était soutenu qu'en outre, ces dispositions emporteraient des effets disproportionnés au regard de l'objectif poursuivi, ce dont il résulterait une méconnaissance de liberté d'aller et de venir, du droit au respect de la vie privée et du droit d'expression collective des idées et des opinions.
Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle qu'il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et le respect des droits et libertés constitutionnellement garantis. Parmi ces droits et libertés figurent la liberté d'aller et de venir, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, le droit au respect de la vie privée garanti par cet article 2, ainsi que le droit d'expression collective des idées et des opinions résultant de l'article 11 de cette déclaration.
A cette aune, le Conseil constitutionnel relève que les dispositions contestées prévoient que le Premier ministre peut subordonner l'accès du public à certains lieux, établissements, services ou événements où se déroulent certaines activités, à la présentation soit du résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, soit d'un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19, soit d'un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19. Elles prévoient également que, à compter du 30 août 2021, une telle mesure peut être rendue applicable aux personnes qui interviennent dans ces lieux, établissements, services ou événements.
Le Conseil constitutionnel juge que ces dispositions, qui sont susceptibles de limiter l'accès à certains lieux, portent atteinte à la liberté d'aller et de venir et, en ce qu'elles sont de nature à restreindre la liberté de se réunir, au droit d'expression collective des idées et des opinions.
Toutefois, en premier lieu, le législateur a estimé que, en l'état des connaissances scientifiques dont il disposait, les risques de circulation du virus de la covid-19 sont fortement réduits entre des personnes vaccinées, rétablies ou venant de réaliser un test de dépistage dont le résultat est négatif. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu permettre aux pouvoirs publics de prendre des mesures visant à limiter la propagation de l'épidémie de covid-19. Il a ainsi poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.
En deuxième lieu, ces mesures ne peuvent être prononcées que pour la période, allant de l'entrée en vigueur de la loi déférée au 15 novembre 2021, période durant laquelle le législateur a estimé qu'un risque important de propagation de l'épidémie existait en raison de l'apparition de nouveaux variants du virus plus contagieux.
En troisième lieu, le législateur a circonscrit leur application à des lieux dans lesquels l'activité exercée présente, par sa nature même, un risque particulier de diffusion du virus. En outre, il a entouré de plusieurs garanties l'application de ces mesures. Ainsi, s'agissant de leur application aux services et établissements de santé, sociaux et médico-sociaux, le législateur a réservé l'exigence de présentation d'un « passe sanitaire » aux seules personnes accompagnant ou rendant visite aux personnes accueillies dans ces services et établissements, ainsi qu'à celles qui y sont accueillies pour des soins programmés. Ainsi, cette mesure, qui s'applique sous réserve des cas d'urgence, n'a pas pour effet de limiter l'accès aux soins. S'agissant de leur application aux grands magasins et centres commerciaux, il a prévu qu'elles devaient garantir l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité ainsi qu'aux moyens de transport accessibles dans l'enceinte de ces magasins et centres. S'agissant des déplacements de longue distance par transports publics interrégionaux, le législateur a exclu que ces mesures s'appliquent « en cas d'urgence faisant obstacle à l'obtention du justificatif requis ». En outre, comme le Conseil constitutionnel l'a jugé dans sa décision du 31 mai 2021 mentionnée ci-dessus, la notion « d'activité de loisirs » exclut notamment une activité politique, syndicale ou cultuelle. Les mesures contestées doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires.
En quatrième lieu, les dispositions contestées prévoient que les obligations imposées au public peuvent être satisfaites par la présentation aussi bien d'un justificatif de statut vaccinal, du résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination ou d'un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination. Ainsi, ces dispositions n'instaurent, en tout état de cause, ni obligation de soin ni obligation de vaccination. En outre, le législateur a prévu la détermination par un décret, pris après avis de la Haute autorité de santé, des cas de contre-indication médicale faisant obstacle à la vaccination et la délivrance aux personnes concernés d'un document pouvant être présenté dans les lieux, services ou établissements où sera exigée la présentation d'un « passe sanitaire ».
En cinquième lieu, le contrôle de la détention d'un des documents nécessaires pour accéder à un lieu, établissement, service ou événement ne peut être réalisé que par les forces de l'ordre ou par les exploitants de ces lieux, établissements, services ou événements. En outre, la présentation de ces documents est réalisée sous une forme ne permettant pas de connaître « la nature du document détenu » et ne s'accompagne d'une présentation de documents d'identité que lorsque ceux-ci sont exigés par des agents des forces de l'ordre.
De l'ensemble de ces motifs, le Conseil constitutionnel déduit que les dispositions contestées opèrent une conciliation équilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées.
Etaient également contestées les dispositions de l'article 1er de la loi déférée relatives aux obligations de contrôle imposées aux exploitants et aux professionnels et aux sanctions encourues par ceux-ci en cas de méconnaissance de ces obligations
Il leur était notamment reproché par les députés et sénateurs requérants, d'une part, de méconnaître la liberté d'entreprendre en faisant peser sur les acteurs économiques l'obligation de contrôler l'accès aux lieux qu'ils exploitent, ce qui serait de nature à nécessiter la mobilisation de moyens humains et matériels importants et, d'autre part, de prévoir des peines disproportionnées au regard des manquements susceptibles d'être reprochés à ces professionnels.
Le Conseil constitutionnel rappelle qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.
A cette aune, il juge que, en autorisant le Premier ministre à subordonner l'accès de certains lieux, établissements, services ou événements à la présentation d'un « passe sanitaire », le législateur a entendu permettre aux pouvoirs publics de prendre des mesures visant à limiter la propagation de l'épidémie de covid-19 et à assurer un contrôle effectif de leur respect. Il a ainsi poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.
En outre, les dispositions contestées se limitent à imposer à l'exploitant d'un lieu ou d'un établissement ou au professionnel responsable d'un événement de contrôler la détention par ses clients d'un « passe sanitaire », sous format papier ou numérique. S'il peut en résulter une charge supplémentaire pour les exploitants, la vérification de la situation de chaque client peut être mise en œuvre en un temps bref.
En réponse à la critique tirée de la méconnaissance du principe de proportionnalité des peines résultant de l'article 8 de la Déclaration de 1789, le Conseil constitutionnel juge que les dispositions contestées relèvent que, lorsqu'un manquement, ayant fait l'objet d'une mise en demeure, est constaté à plus de trois reprises au cours d'une période de quarante-cinq jours, l'exploitant ou le professionnel peut être condamné à un an d'emprisonnement et à 9 000 euros d'amende. Il juge que, au regard de la nature du comportement réprimé, les peines instituées ne sont pas manifestement disproportionnées.
En revanche, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions de l'article 1er de la loi déférée prévoyant que le contrat à durée déterminée ou de mission d'un salarié qui ne présente pas les justificatif, certificat ou résultat requis pour l'obtention du « passe sanitaire », peut être rompu avant son terme, à l'initiative de l'employeur.
Selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
A cette aune, le Conseil constitutionnel relève qu'il résulte des travaux préparatoires que le législateur a entendu exclure que la méconnaissance de l'obligation de présentation des justificatifs, certificats et résultats précités puisse constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement d'un salarié en contrat à durée indéterminée.
Il juge que les salariés en contrat à durée indéterminée et ceux en contrat à durée déterminée ou de mission sont dans des situations différentes. Toutefois, en instaurant une obligation de présentation d'un « passe sanitaire » pour les salariés travaillant dans certains lieux et établissements, le législateur a entendu limiter la propagation de l'épidémie de covid-19. Or, les salariés, qu'ils soient sous contrat à durée indéterminée ou en contrat à durée déterminée ou de mission, sont tous exposés au même risque de contamination ou de transmission du virus.
Dès lors, en prévoyant que le défaut de présentation d'un « passe sanitaire » constitue une cause de rupture anticipée des seuls contrats à durée déterminée ou de mission, le législateur a institué une différence de traitement entre les salariés selon la nature de leurs contrats de travail qui est sans lien avec l'objectif poursuivi.
Le Conseil constitutionnel censure également l'article 9 de la loi déférée créant une mesure de placement en isolement applicable de plein droit aux personnes faisant l'objet d'un test de dépistage positif à la covid-19.
Le Conseil constitutionnel rappelle que, aux termes de l'article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». La liberté individuelle, dont la protection est confiée à l'autorité judiciaire, ne saurait être entravée par une rigueur non nécessaire. Les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis.
A cette aune, il relève que les dispositions contestées prévoyaient que, jusqu'au 15 novembre 2021 et aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19, toute personne faisant l'objet d'un test positif à la covid-19 a l'obligation de se placer à l'isolement pour une durée non renouvelable de dix jours. Dans ce cadre, il était fait interdiction à la personne de sortir de son lieu d'hébergement, sous peine de sanction pénale.
Le Conseil constitutionnel juge que le placement en isolement s'appliquant sauf entre 10 heures et 12 heures, en cas d'urgence ou pour des déplacements strictement indispensables, il constitue une privation de liberté.
En adoptant ces dispositions, le législateur a poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.
Toutefois, les dispositions contestées prévoient que, sous peine de sanction pénale, toute personne qui se voit communiquer le résultat positif d'un test de dépistage à la covid-19 a l'obligation de se placer à l'isolement pour une durée de dix jours, sans qu'aucune appréciation ne soit portée sur sa situation personnelle.
Or, d'une part, cette obligation n'est portée à sa connaissance qu'au seul moyen des informations qui lui sont communiquées au moment de la réalisation du test. D'autre part, l'objectif poursuivi par les dispositions contestées n'est pas de nature à justifier qu'une telle mesure privative de liberté s'applique sans décision individuelle fondée sur une appréciation de l'autorité administrative ou judiciaire.
Le Conseil constitutionnel juge que, dès lors, bien que la personne placée en isolement puisse solliciter a posteriori un aménagement des conditions de son placement en isolement ou auprès du représentant de l'État dans le département ou sa mainlevée auprès du juge des libertés et de la détention, les dispositions contestées ne garantissent pas que la mesure privative de liberté qu'elles instituent soit nécessaire, adaptée et proportionnée.
Source : Communiqué du Conseil constitutionnel du 5 août 2021