Le Monde du Droit a interrogé Hubert de Vauplane, Avocat Associé chez Kramer Levin, sur le crowfunding suite à la publication des guides du financement participatif par l’AMF et l’ACP.
Qu’est ce que le crowdfunding ?
La finance participative est un mode de financement de proximité faisant appel au cercle de la famille, des amis et des amis de la famille pour inciter les internautes à soutenir des projets dans le domaine de l’économie sociale et solidaire, artistique, artisanale ou autres. Il s’intéresse aux micro entreprises et projet porteurs d’un engagement ou de valeurs particuliers. Ce n’est pas une alternative au financement bancaire, mais plutôt un complément à celui-ci. Ce n’est pas non plus un substitut à l’investissement en fonds propres par des acteurs spécialisés. Ce qui rassemble tous les acteurs de cette activité c’est le recours à internet comme vecteur de mise en relation entre les porteurs de projets et les internautes. En ce sens, il s’agit d’un mode de financement désintermédié.
Comme l’AMF et l’ACP l’indiquent, il peut prendre la forme de prêts à titre gratuit ou rémunéré (peer to peer lending). Il peut également permettre la souscription de titres (actions ou obligations), l’investisseur acquérant des titres de capital ou de créance émis par l’entreprise (crowdinvesting). Il peut enfin revêtir la forme d’un don ou d’une contribution pouvant donner lieu à des contreparties en nature (CD, places de spectacles…) ou en numéraire (participation aux bénéfices éventuels retirés du projet financé…).
Quel est le cadre réglementaire aujourd’hui ?
Il n’existe pas de cadre réglementaire propre au financement participatif aujourd’hui en France et en Europe. Selon les activités réalisées, celles-ci tombent sous le coup de la règlementation relative à l’offre au public de titres (AMF), du monopole bancaire (ACP), voire des activités de services de paiement (ACP), sans oublier le démarchage et la sollicitation.
Pourquoi l’AMF et l’ACP ont-elles souhaité encadrer le crowdfunding ?
Devant le développement des activités de Finance participative et le nombre croissant d’internautes ayant recours à ce mode de financement, les deux principaux régulateurs boursier et bancaire ont voulu "rappeler" aux plateformes de crowdwfunding que certaines activités nécessitaient l’obtention d’un statut et d’un agrément de leur part. Autrement dit, dans leur rôle de protection de l’épargne et du consommateur, l’AMF et l’ACP ont considéré que le temps était venu pour elles de sensibiliser les acteurs de la finance participative au cadre réglementaire.
Quels sont les risques encourus par les particuliers désirant financer les porteurs de projet ?
Contrairement à une idée reçue, il y a moins de risques de fraude dans les activités de crowdfunding que dans d’autres activités fonctionnant exclusivement sur internet. En effet, le fonctionnement même de la finance participative conduit à ce que l’internaute ne va financer un projet (sous forme de don, prêt ou investissement) que dans la mesure où ce que l’on appelle le "premier" et le "deuxième" cercle participent déjà eux-mêmes à ce projet. C’est parce que la famille et les amis (premier cercle) et les amis de la famille et des amis (le deuxième cercle) croient eux-mêmes dans le projet en y participant dès le départ que la confiance s’établit avec les internautes. Autrement dit, si ni la famille ni les amis des porteurs de projets ne sont présents dès le départ, les chances de succès d’atteindre le niveau de financement souhaité ("la jauge") est assez faible. Et les risques de fraudes plus grands. Mais ne nous leurrons pas : comme dans toutes activités, il y aura des fraudes et des escroqueries. D’où l’importance de recourir à des plateformes ayant déjà fait leurs preuves et bénéficiant d’une réelle notoriété.
Quelles sont les principales préconisations des Guides ?
L’AMF et l’ACP ont publié deux Guides. L’un à destinations des particuliers qui ont recours à ce type de plateformes et l’autre à l’usage des plateformes elles-mêmes. Le premier met en garde les internautes sur les activités des crowdfunding en les incitant à se renseigner avant de s’engager. Il est ainsi suggéré d’aller, selon la nature des services fournis par le site Internet, vérifier que la plateforme concernée figure sur la liste des prestataires autorisés à exercer en France :
- le registre des agents financiers (Regafi) qui recense les entreprises, françaises ou étrangères, ayant obtenu un agrément ou une autorisation pour exercer des activités financières en France (www.regafi.fr) ;
- le registre unique des intermédiaires en assurance, banque et finance (www.orias.fr) ;
- en fonction du type d’investissement qui est proposé, de vérifier auprès de la plate-forme qu’un
prospectus a été établi, ou qu’un cas d’exemption s’applique, et d’en prendre connaissance ;
- de se renseigner sur les modalités de rachat ou de sortie de l’investissement.
Le problème de cette information est qu’elle suppose que les plateformes de finance participative soient agréées, ce qui justement n’est pas le cas pour la plupart d’entre elles, et fait l’objet de débats quant au bienfondé juridique d’un tel enregistrement.
Quand au second document, à destination des plateformes, il ne contient pas de "préconisations" à proprement parler. Il s’agit d’un "rappel" des textes existants et des sanctions attachées en cas de non respect. Comme souvent en la matière, ce "rappel" n’en est pas un lorsqu’il indique que les activités de ces plateforme s’assimilent à des "services de paiement", ce qui nécessite un agrément soit en qualité de prestataire de services de paiement, soit comme agent d’un tel prestataire.
Que faut-il retenir ? Faut-il aller plus loin ?
Ce Guide n’est qu’une étape. Lors conclusions des Assises de l’Entreprenariat, le gouvernement a indiqué vouloir faire des propositions en septembre prochain pour faciliter le développement de la finance participative. On pourra alors juger sur pièce de la bonne volonté ou non de l’exécutif de sortir du cadre réglementaire contraignant actuel rappelé par l’ACP et l’AMF. Sans doute en proposant la création du statut d’Etablissement de Finance Participative bénéficiant d’un agrément allégé par les régulateurs. Une difficulté toutefois est d’inscrire ce nouveau statut dans le cadre européen dans la mesure où la Commission a indiqué vouloir se saisir du projet afin de proposer au niveau européen un cadre propre à la finance participative, un peu comme le "JOBS Act" des Etats-Unis d’Amérique.
Propos recueillis par Arnaud DUMOURIER