Le Monde du Droit a interrogé la candidate socialiste à l'élection présidentielle sur ses propositions en matière de justice. Elle estime qu'il faut un plan Marshall pour « réhabiliter » la justice. Elle propose notamment une loi de programmation quinquennale dès le début du quinquennat afin de lancer un plan de recrutement de magistrats, greffiers et de travailleurs sociaux.
Que pensez-vous de l'état de la justice en France dont les professionnels du droit fustigent le manque de moyens ?
La justice française n’a pas les moyens de ses ambitions.
Alors que le nombre d’affaires traitées devant les tribunaux ne cesse d’augmenter et que les délais de traitement ne cessent de s’allonger, la France compte deux fois moins de juges et de personnels de greffe et quatre fois moins de procureurs que la moyenne européenne.
Notre pays n'est pas à la hauteur ni des enjeux ni des attentes de nos concitoyens ou des personnels de justice.
Le budget de la justice ressemble à ces bois tordus que l’on peine à redresser car ils ont poussé ainsi au fil des ans. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de la dernière augmentation ponctuelle du budget de la Justice.
Faut-il réformer l'institution judiciaire dans son ensemble ? Faut-il davantage de magistrats ?
À l’évidence plusieurs milliers de postes de magistrats, de greffiers, mais également d’éducateurs de la PJJ, de travailleurs sociaux, de psychologues et de personnels pénitentiaires manquent aujourd’hui et devront être créés demain pour respecter le sens de la justice et les attentes des justiciables.
L'indépendance du parquet sera quant à elle garantie en donnant au Conseil supérieur de la magistrature la compétence par un pouvoir d'avis conforme sur toutes les nominations des magistrats du parquet, comme il le fait aujourd'hui pour les magistrats du siège.
Est-ce que les Etats généraux de la Justice lancés par Emmanuel Macron peuvent apporter des réponses selon vous au manque de moyens et au mal-être des magistrats, fonctionnaires de greffe ?
La démarche est évidemment nécessaire car qui mieux que les professionnels, les justiciables et les partenaires de la justice peuvent aujourd'hui se pencher sur la question de l'état de la justice et de son rôle dans notre pays ?
J'attends avec impatience la synthèse des différentes consultations et ateliers qui je l'espère fera prendre la mesure de l'état dans laquelle notre justice se trouve, de son manque cruel de moyens et fera émerger des propositions fortes et structurelles.
Cependant, à l'image de ce qu'a pu faire le Président de la République avec le rapport final de la convention citoyenne sur le climat, je suis beaucoup plus sceptique quant à l'intérêt que portera l'exécutif à ces conclusions.
Que ferez-vous des conclusions des Etats généraux de la justice ?
Le mode de gouvernance et de prise de décision que je prône a toujours été celui de la co-construction avec les différents acteurs. C'est collectivement que nous devrons porter ce que j'ai appelé un plan Marshall pour réhabiliter notre Justice. Les conclusions de ces Etats généraux seront donc une base de travail précieuse pour l'engager.
En définitive, quelles sont vos principales propositions en matière de justice ?
Un plan Marshall afin de réhabiliter notre Justice doit être engagé : une loi de programmation quinquennale devra donc être adoptée dès le début du quinquennat afin de lancer un plan de recrutement de magistrats, greffiers et de travailleurs sociaux (éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation, psychologues, etc).
La Justice, socle fondamental de notre démocratie, doit servir au plus près les besoins des justiciables. Il n’est pas acceptable d’attendre plusieurs mois pour ne pas dire plusieurs années afin d’obtenir une décision de justice. Nous devons accélérer le plan de numérisation du ministère car il est impensable que la Justice cesse de travailler, faute de moyens, comme ce fut le cas durant le premier confinement.
Nous devons également engager une réflexion, avec l’ensemble des acteurs du monde judiciaire, sur la diversification des modes de prise en charge des contentieux, pour que la Justice gagne en efficacité, tout en restant équilibrée et indépendante. Nous pouvons pour cela nous inspirer de nos partenaires européens comme l’Allemagne et l’Espagne.
De plus, face à l'échec du tout-carcéral, il nous faut diversifier les modalités d'incarcération en fonction des profils pénaux et non uniquement de la durée de la peine comme c'est le cas aujourd'hui. Ainsi, grâce à un renforcement substantiel des services d'insertion et de probation, ainsi qu'un comblement des vacances d'emplois dans la pénitentiaire, il sera procédé à une évaluation et à un accompagnement de toutes les personnes incarcérées. Nous recourrons davantage aux alternatives à l'incarcération qui seront de vraies sanctions, efficaces et mises en œuvre avec célérité : liberté surveillée, placement sous surveillance électronique, travail d'intérêt général, amendes, etc. Cette nouvelle politique contribuera à garantir la dignité des conditions de détention et le respect de l'encellulement individuel qui bénéficiera d'un plan de construction afin de renouveler le parc pénitentiaire.
Quelles sont vos propositions pour les professionnels du droit ?
Travailler pour la Justice est une vocation. Il faut recentrer le juge sur son office primordial : trancher les litiges.
Les magistrats, greffiers et tous les acteurs judiciaires méritent respect et considération, sans nuance, sans réserve. Ils méritent également un meilleur environnement de travail, qu'il s'agisse des équipements, des ressources numériques ou des bâtiments.
Redonner du sens suppose de stabiliser le cadre juridique. Assez de cette inflation législative qui ne répond qu’à l’émotion médiatique mais qui déstabilise les magistrats dans leur travail quotidien.
Propos recueillis par Léa Verdure et Arnaud Dumourier
Voir aussi : Présidentielle 2022 : quelles sont les propositions d’Anne Hidalgo en matière de justice ?