Jean-Raphaël Fernandez, président de la Conférence des bâtonniers, présente les priorités de son mandat et annonce ses premières actions.
Dans quel état d'esprit êtes-vous alors que vous êtes désormais à la tête de la Conférence des bâtonniers ?
Sérénité, positivité et détermination sont les premiers sentiments qui caractérisent mon état d'esprit actuel.
La sérénité découle du fait que je commence mon mandat avec une Conférence qui rassemble enfin les 163 barreaux de province, grâce au travail accompli par mon prédécesseur, le Président Blanquer, et les élus de la Conférence qui ont réussi à convaincre trois barreaux de revenir travailler avec nous au sein de l'institution.
Cette sérénité est également alimentée par les qualités humaines et professionnelles des membres de mon équipe, comprenant les membres du bureau de la Conférence, les élus du collège ordinal de province, ainsi que les collaborateurs de la Conférence. Ensemble, nous mettrons nos compétences au service des bâtonniers et des barreaux de province, en leur offrant une assistance maximale tout en portant la voix des Ordres de province sur le plan politique.
La positivité guide mon regard résolument optimiste sur notre profession. Je crois en notre capacité à surmonter les difficultés quotidiennes, même si nous faisons face à une concurrence croissante et que la paupérisation de la société française impacte certains de nos cabinets.
Malgré ces défis, je suis convaincu que la complexité croissante du droit devrait renforcer plutôt que diminuer le recours à l’avocat. Cela nécessite, cependant, que nous soyons agiles pour répondre aux besoins changeants de nos clients, que nous protégions efficacement notre périmètre face aux acteurs illégaux du droit, et que nous excellions dans l'utilisation des outils numériques tout en adoptant des pratiques plus professionnelles dans la gestion de nos cabinets.
Enfin, la détermination est essentielle pour relever ces défis, notamment pour nous adapter à la révolution numérique, laisser de côté les querelles internes historiques de notre profession, raviver l'engagement collectif au sein des ordres, et bien d'autres aspects, où la volonté de construire et d'avancer doit primer sur toute autre considération.
Quelles sont vos priorités ?
J'ai élaboré et défendu un programme articulé autour de six axes majeurs lors de ma campagne, et maintenant élu, mon équipe et moi-même nous efforcerons de les concrétiser.
La Conférence réunit les 163 barreaux de province et leurs 44 000 avocats, en tant que principal défenseur de la territorialité. C'est une richesse indéniable dont nous devons tirer un meilleur parti pour le bénéfice de la profession. Par conséquent, notre priorité est de renforcer cette défense territoriale.
Une autre priorité est la modernisation de l'image de notre institution. Nous sommes actifs dans l'assistance des barreaux pour la mise en place de services aux avocats, et il est impératif que cela soit largement connu.
Nous formulons des propositions visant à accroître l'attrait de la profession afin d'attirer les meilleurs talents. Simultanément, nous cherchons à revitaliser l'attractivité de l'ordinalité en suscitant un nouvel intérêt chez un plus grand nombre d'avocats pour leur engagement dans la vie collective de la profession. C'est essentiel pour préserver notre identité et singularité.
Les missions des élus ordinaux, en particulier des bâtonniers, ont considérablement évolué, et la Conférence doit les soutenir face à la croissance de la technicité de leur travail.
Enfin, je mets un fort accent sur l'humanité et la solidarité. Placer l'humain au centre de nos préoccupations est essentiel, tant pour notre exercice professionnel perturbé par le tout numérique, que pour la protection de l'État de droit, impliquant la sauvegarde des libertés individuelles et collectives. La solidarité sera également renforcée au cours de cette mandature pour accroître la nécessaire cohésion entre les barreaux.
Quelles seront vos premières actions ?
Au cours du premier trimestre 2024, nous mettrons en œuvre trois grandes journées qui concrétiseront certaines des thématiques que je viens d’exposer.
Le 13 mars, à l'image du séminaire des Dauphins, la Conférence organisera une journée complète de formation pour les membres du Conseil de l’Ordre. Cette initiative offrira aux élus les principaux réflexes pour trouver leur place au sein de la machine ordinale et contribuera à créer une communauté de l’Ordinalité de Province entre les membres des conseils de l’Ordre.
Le 21 mars, nous participerons à l’organisation de la première journée de la relation avocat/magistrat, organisée conjointement avec le conseil consultatif conjoint de la relation de déontologie Avocat/magistrat, rassemblant toutes les composantes des deux professions. Tous les barreaux, en collaboration avec les chefs de juridiction, mettront en place un événement local pour animer la relation avec les magistrats. Notre objectif majeur est de mettre un terme à la spirale négative des rapports que nous entretenons avec les magistrats, afin de retrouver la sérénité dans notre exercice quotidien.
Au cours de ce premier trimestre, nous déploierons également une troisième journée, dite « Diego », où les bâtonniers exerceront leurs prérogatives en matière de contrôle des lieux de privation de liberté. Il s'agit ici de l'application pratique du rôle du bâtonnier en tant que vigie de l’État de droit et protecteur des libertés.
La Conférence créera de nouvelles commissions en son sein, notamment la commission « Territoires et Initiatives des Ordres ».
Comme je le souligne souvent, les bâtonniers sont les « MacGyver » du quotidien. Ils doivent imaginer des solutions concrètes pour faire fonctionner l’exercice de l’avocat avec l’écosystème local, que ce soit dans les rapports avec les juridictions, les autres professions, les élus locaux, etc. Toutes ces initiatives, idées, processus locaux seront rassemblés pour qu’elles puissent être dupliquées partout où le besoin s’en fera sentir, favorisant ainsi la solidarité entre les barreaux.
Sur le plan national, il nous semble important d'avancer sur le mode électoral des élections au conseil de l’ordre, où le système des binômes nous semble devoir être modifié pour un système plus souple, mieux adapté à notre profession, tout en conservant la parité. Nous porterons donc une nouvelle fois cette demande afin qu’elle aboutisse enfin.
Face à la révolution numérique et à l’arrivée fracassante de l’intelligence artificielle, la question de la mise en place d’une véritable politique numérique de la profession se pose plus que jamais. Nous aurons, sans aucun doute, des discussions avec la Présidente du Conseil national des barreaux et le Bâtonnier de Paris pour arrêter les meilleurs choix possibles en la matière. Ici encore, solidarité, intelligence collective, et travail en commun devront guider nos pas et orienter nos choix au bénéfice de nos confrères.
Propos recueillis par Arnaud Dumourier (@adumourier)