Réformes des obligations et des biens : quand le législateur s’inspire des travaux de l’Association Henri Capitant.
Madame Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice, a présenté le 27 novembre 2013, un projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, enregistré le même jour à la présidence du Sénat (http://www.senat.fr/leg/pjl13-175.html).
L’article 3 du projet de loi tend à habiliter le Gouvernement à réformer par voie d’ordonnance le droit des contrats, les quasi-contrats, le régime général des obligations et la preuve des obligations : un long exposé des motifs suggère que la réforme devrait instituer des principes généraux du droit des contrats (liberté et loyauté contractuelles essentiellement), consolider à bien des égards des acquis jurisprudentiels bicentenaires ou récents (fixation unilatérale du prix et résolution unilatérale au cas de faute grave du contractant), appréhender la période précontractuelle en régissant les pourparlers et les principaux avant-contrats (pactes de préférence, promesses unilatérale et synallagmatique), ou instituer cession de dette et cession de contrat tout en modernisant le droit des opérations sur créances (cession, délégation, compensation, etc.). La suppression formelle de la cause est même annoncée quoique ses fonctions protectrices de la partie faible doivent être maintenues : curieux paradoxe qui fera certes gloser ! La révision pour imprévision serait reconnue, qui reviendrait sur l’arrêt Canal de Craponne de 1876.
L’Association Henri Capitant appelle de ses vœux depuis longtemps une telle rénovation qui serait un évènement majeur pour le rayonnement international et l’accessibilité du droit français des contrats qui n’est autre que la syntaxe même de notre droit privé. Notre association avait déjà étroitement encouragé et porté les travaux du Groupe de travail présidé par Pierre Catala (http://www.henricapitant.org/node/73) auxquels le projet de loi se réfère expressément, ensemble avec les travaux du Groupe Terré et certains projets européens. L’Association ne manquera pas de participer à la consultation qui sera lancée sur le texte du gouvernement.
Passé encore plus inaperçu dans les gazettes, l’article 4 du projet de loi propose de reprendre plusieurs propositions du Groupe de réforme du droit des biens de l’Association Henri Capitant, présidé par Hugues Périnet-Marquet (http://www.henricapitant.org/node/70). Les travaux de l’Association sont une source d’inspiration essentielle de l’actuelle révolution tranquille du droit privé français : l’Association Henri Capitant s’était vue confier par le ministère de la justice en 2003 la réforme du droit français des sûretés qui conduisit à l’ordonnance du 23 mars 2006 relative aux sûretés ; et après la Cour de cassation qui a fait sienne le 31 octobre 2012 la proposition d’un droit réel de jouissance spéciale de libre création (Voir Le Monde du Droit n° 1, juillet 2013), le législateur semble aujourd’hui en passe de reprendre la proposition d’une suppression des actions possessoires que les actions en référé ont rendues largement inutiles ainsi que celle d’une constatation de l’usucapion par un acte de notoriété prescriptive. L’avant-projet de réforme du droit des biens de l’Association Henri Capitant préconisait en effet notamment que la protection possessoire soit assurée par le biais du droit commun et non plus par les actions spéciales et passablement désuètes de complainte, dénonciation de nouvel œuvre ou réintégrande et que la possession puisse être constatée par un acte de notoriété prescriptive contenant des témoignages et, le cas échéant, des indices attestant de son existence, de ses qualités et de sa durée, faisant foi de la possession jusqu’à preuve contraire (projet d’article 546).
C’est ici le lieu de rappeler que l’Association a confié à Jérôme Huet en 2013 la mission de constituer un Groupe de travail chargé d’élaborer un avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux.
Philippe Dupichot, Professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)
Cet article est extrait du n° 3 de la newsletter Le Monde du Droit Selon Capitant (TELECHARGER LE NUMERO AU FORMAT PDF)