5 idées fausses sur la protection juridique des logiciels

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La protection juridique des logiciels est un véritable enjeu pour les entreprises, qu’elles soient éditrices ou utilisatrices d’une solution informatique. La jurisprudence s’étoffe chaque année avec des contentieux liés à des questions de titularité des droits, d’originalité des programmes, de respect des licences, etc.

Il s’agit d’un domaine du droit bien spécifique qui est parfois victime d’idées préconçues inexactes. Ces dernières peuvent entraîner des conséquences fâcheuses même si l’entreprise est de bonne foi. C’est pourquoi il est essentiel pour les juristes d’entreprise ainsi que pour les avocats d’affaires de maitriser ce pan de la propriété intellectuelle. Aujourd’hui, les logiciels sont des outils incontournables pour les entreprises. Leur utilisation doit être parfaitement encadrée pour éviter des déboires juridiques aux conséquences financières plus ou moins importantes. En effet, un contentieux peut durer longtemps et coûter cher aux entreprises concernées comme le montre la condamnation prononcée par le tribunal judiciaire de Marseille le 23 septembre 2021. Ce contentieux opposant deux éditeurs de logiciels pour contrefaçon de propriété intellectuelle a duré plus de dix ans et le perdant a été condamné à payer 3 millions d’Euros de dommages et intérêts [i] .

Dans cet article, nous allons réfuter 5 idées fausses sur la protection juridique des logiciels qui sont pourtant largement reprises par certains professionnels, notamment des juristes d’entreprise ou des avocats.


1. Les fonctionnalités de logiciels sont protégées par le droit d’auteur

Un logiciel est un ensemble de programmes informatiques permettant à un système informatique ou un ordinateur de réaliser des tâches spécifiques appelées fonctionnalités. Il est composé d’un code source, d’un code objet, d’une ou plusieurs bases de données ainsi que d’une documentation.

Le code source correspond aux instructions rédigées en langage informatique compréhensible par l’homme. Le code objet est obtenu par compilation du code source afin de le rendre lisible pour les machines. On parle aussi de codes exécutables ou de code binaire. Ce sont ces deux éléments qui sont couverts par le droit d’auteur (ainsi que la documentation associée si elle est assez détaillée) comme le rappelle à plusieurs reprises la Cour de justice de l’Union européenne [ii].

Les bases de données font l’objet d’une protection spécifique avec le droit sui generis du producteur de bases de données.

En ce qui concerne les fonctionnalités, le droit d’auteur est régi par un principe fondamental : les idées sont de libre parcours. En matière de logiciel, les fonctionnalités sont considérées comme des idées. Elles ne sont donc pas protégeables en tant que telles. C’est leur matérialisation sous la forme d’un code source qui va pouvoir être protégée par le droit d’auteur.

Par exemple, le fait d’intégrer dans un logiciel de facturation une fonctionnalité permettant d’effectuer automatiquement les relances en cas d’impayés sous 90 jours n’est pas protégeable. En revanche, l’écriture des lignes de code permettant d’aboutir à ce résultat peut être protégée par le droit d’auteur.


2. Seul le code source est protégé par le droit d’auteur

Il est également important de savoir que la protection juridique des logiciels par le droit d’auteur commence même avant l’écriture du code source. En effet, le développement d’un logiciel, à savoir l’écriture des lignes de codes sources, est précédé de l’élaboration d’un cahier des charges précisant les différentes fonctionnalités auxquelles doit répondre le programme, l’organisation de l’interface, les données collectées… Dès lors que ce cahier des charges est suffisamment détaillé et retranscrit l’apport intellectuel du ou des développeurs dans la mise en œuvre des solutions choisies pour aboutir aux fonctionnalités recherchées, on quitte le domaine des idées pour la qualification d’œuvre de l’esprit.

A savoir : seul un magistrat peut décider à quel instant ce cahier des charges est suffisamment détaillé pour quitter la qualification d’idée ou de concept au profit de celle d’œuvre. C’est un point important à prendre en compte lorsqu’on doit prouver la contrefaçon d’un logiciel. Être en mesure de produire un cahier des charges détaillé devant un juge permet d’appuyer son argumentation relative à l’originalité du logiciel, de démontrer l’antériorité de sa mise en œuvre et de mettre en avant les similitudes entre les deux programmes.  Il est ainsi fortement recommandé de déposer l’ensemble de ces éléments (codes sources et documentations) chez un tiers de confiance comme l’APP pour se pré-construire des preuves d’antériorité irréfutables et reconnues par les tribunaux.

En plus du code source, du code objet et du cahier des charges, d’autres éléments du logiciel peuvent être protégés par le droit d’auteur. Il s’agit notamment des bases de données, des interfaces graphiques, des polices de caractère, des interfaces mobile, des bibliothèques de données.


3. Il est impossible de prouver l’originalité d’un logiciel

La protection accordée par le droit d’auteur est conditionnée par la preuve de l’originalité de la création concernée, en l’espèce du logiciel. Bien que cette condition n’apparaisse pas explicitement au sein du code de la propriété intellectuelle, elle est aujourd’hui reconnue par l’ensemble de la jurisprudence [iii]. L’originalité s’apprécie au regard de l’empreinte de la personnalité de l’auteur.

Autant ce critère est facilement identifiable lorsqu’on examine une œuvre dite classique telle qu’une peinture ou une musique, autant apporter la preuve de l’empreinte de la personnalité du ou des développeurs dans l’écriture du code source apparait plus complexe.

Ainsi, l’application du droit d’auteur à des créations techniques telles que le logiciel a conduit la jurisprudence à adapter la définition de l’originalité à ces dernières. En matière de logiciel, elle a été définie par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, dans l’arrêt Pachot du 7 mars 1986, comme l’apport intellectuel fourni par son auteur qui se caractérise par "un effort personnalisé allant au-delà de la simple mise en œuvre d’une logique automatique et contraignante"[iv].

Concrètement, cela signifie que pour être protégé par le droit d’auteur, le développement d’un logiciel ne doit pas découler de l’application machinale d’un savoir-faire technique mais traduire les choix opérés par le développeur. Un code source est une sorte de partition. Deux développeurs n’auront pas forcément la même manière d’aborder un problème technique, de rédiger le code source, de mettre en œuvre telle solution et non une autre.

Apporter la preuve de cet apport intellectuel peut se révéler complexe lors d’un litige. En effet, il ne faut pas oublier qu’un des points essentiels lors d’une action en contrefaçon est de prouver, au préalable, le caractère protégeable de la création par le droit d’auteur. En tant qu’avocat ou juriste, vous devez anticiper ce point lors du dépôt du logiciel auprès de l’APP en intégrant dans les fichiers déposés des éléments attestant que les choix techniques opérés vont au-delà d’un simple savoir-faire.

Mais complexe ne veut pas dire impossible. L’étude de la jurisprudence permet d’avoir une idée assez précise des attentes des juges en la matière. Ainsi, la simple déclaration dans un contrat de développement du caractère original d’un logiciel ne suffit pas [v]. La Cour de cassation a rappelé, dans un arrêt du 17 octobre 2012, que seuls "les choix opérés [pouvaient témoigner] d’un apport intellectuel propre et d’un effort personnalisé de celui qui [a] élaboré le logiciel litigieux" et étaient "de nature à lui conférer le caractère d’une œuvre originale protégée" [vi].

L’Agence pour la Protection des Programmes a publié un guide des bonnes pratiques à adopter pour anticiper la preuve de l’originalité des droits et ainsi permettre à une entreprise de faire prévaloir ses droits en cas d’utilisation litigieuse de son logiciel. Vous le retrouverez ici : https://www.app.asso.fr/centre-information/publications/prouver-loriginalite-dun-logiciel


4. Un logiciel en open source n’est pas protégé par le droit d’auteur

Un logiciel open source est un programme distribué sous une licence qui accorde des droits assez larges aux utilisateurs, notamment celui de modifier ou de diffuser le code source. On parle de licence libre. Mais cet adjectif conduit à une mauvaise interprétation des droits conférés. Un logiciel diffusé sous licence libre ou en open source n’est pas libre de droits. Il ne tombe pas dans le domaine public et reste soumis au droit d’auteur.

Le non-respect des termes d’une licence open source engage la responsabilité de l’utilisateur. On estime que plus de 90 % des logiciels développés intègrent des modules open source[vii]. Il est essentiel pour le service juridique de bien identifier et d’analyser les différentes licences qui s’appliquent aux éléments intégrés dans le développement pour sécuriser l’utilisation, voire l’exploitation du logiciel ainsi développé.

En effet, l’intégration de certains composants open source peut conduire à une impossibilité d’exploiter le programme final en raison d’une incompatibilité des licences dites libres entre elles, des restrictions relatives à la commercialisation, de l’obligation de diffuser le code source, etc.

Ces questions ne concernent pas uniquement les entreprises qui développent leur propre solution informatique mais aussi celle qui vont commander auprès d’un prestataire un logiciel spécifique ou qui vont acquérir une société qui dispose de ses propres outils logiciels.

Tous les enjeux relatifs aux questions de responsabilité et de licences open source sont détaillés dans un livre blanc publié par l’APP et disponible ici : https://www.app.asso.fr/centre-information/publications/responsabilite-et-licences-libres


5. Les droits d’auteur sur un logiciel spécifique appartiennent au commanditaire

La titularité des droits d’auteur est une question essentielle pour une exploitation pérenne et sécurisée d’un logiciel. Le fait de commander un logiciel spécifique auprès d’un prestataire ne fait pas automatiquement du donneur d’ordre le titulaire des droits. Un contrat de cession de droits doit être annexé au contrat de développement, ou a minima, une clause de cession de droits doit être présente au sein de ce dernier.

Se pose également la question de la titularité des droits lorsque le logiciel est créé par un salarié. Dans ce cas, l’article L.113-9 du code de la propriété intellectuelle met en place une dévolution automatique des droits dès lors que le ou les salariés ont agi "dans l'exercice de leurs fonctions ou d'après les instructions de leur employeur". L’ordonnance du 15 décembre 2021 a introduit un nouvel article L.113-9-1 au sein du code de la propriété intellectuelle qui étend cette dévolution automatique des droits aux logiciels développés par un stagiaire.

N'hésitez pas à consulter également le guide pratique de l’APP relatif à la preuve de la titularité des droits que vous trouverez ici : https://www.app.asso.fr/centre-information/publications/prouver-la-titularite-des-droits-dauteur.


En savoir plus sur l’Agence pour la Protection des Programmes (APP)

 L’APP est un tiers de confiance avec 40 ans d’expérience dans la protection des logiciels. Sur sa plateforme en ligne, elle permet aux éditeurs de logiciels de déposer leurs créations et de gérer leur portefeuille de dépôts en toute sécurité. Le certificat de dépôt généré par l’APP est reconnu en France et dans les 181 pays signataires de la Convention de Berne.

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[1] TJ Marseille, 23 septembre 2021, https://www.legalis.net/jurisprudences/tribunal-judiciaire-de-marseille-jugement-du-23-septembre-2021

[2] CJUE, 22 décembre 2010, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/fr/ALL/?uri=CELEX:62009CJ0393; CJUE, 2 mai 2012, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:62010CJ0406

[3] L’exigence d’originalité apparait à l’article L.112-4 relatif à la protection des titres d’œuvres. Par la suite, la jurisprudence l’a étendue à l’ensemble des œuvres de l’esprit.

[4] AP, 7 mars 1986, https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007016934/

[5] CA Paris, 24 mars 2015, https://www.legalis.net/jurisprudences/cour-dappel-de-paris-pole-5-chambre-1-arret-du-24-mars-2015/

[6] Cass. Civ. 1ère, 17 octobre 2012, https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000026516632/

[7] https://www.helpnetsecurity.com/2020/05/14/open-source-components-security/

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