L’Algérie obtient le rejet d’une réclamation de 4 milliards de dollars

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Shearman & Sterling, conseil de l'Algérie, obtient le rejet d’une réclamation de 4 milliards de dollars.

shearman & sterlingAux termes d’une sentence de 172 pages rendue le 31 mai 2017, un tribunal arbitral composé de Gabrielle Kaufmann-Kohler (Président), Albert Jan van den Berg et Brigitte Stern a rejeté dans son intégralité la réclamation d’un montant de 4 milliards de dollars américains présentée par la société de droit luxembourgeois Orascom TMT Investments (anciennement Weather Investments II) à l’encontre de la République Algérienne Démocratique et Populaire. Le tribunal arbitral a également condamné Orascom TMTI à supporter l’intégralité des frais de la procédure ainsi qu’à payer 50% des honoraires d’avocats et autres frais exposés par l’Algérie.

Orascom TMTI, détenue et contrôlée par le milliardaire égyptien Naguib Sawiris, a demandé la condamnation de l’Etat algérien à plus de 4 milliards de dollars américains au titre de prétendues mesures illégales prises à l’encontre de l’opérateur de télécommunications algérien, Orascom Telecom Algérie (« OTA », désormais dénommée « Optimum Telecom Algérie »), exerçant son activité sous la marque « Djezzy ».

Un arbitrage CNUDCI de 16 milliards de dollars américain concernant le même différend, introduit par l’actionnaire direct égyptien d’OTA, Orascom Telecom Holding (« OTH », désormais dénommée « Global Telecom Holding »), à l’encontre de l’Algérie a été transigé en 2014. Cette transaction est intervenue après trois ans de négociations complexes, ayant abouti à la signature par le Fonds national d’investissement (FNI), un fonds d’investissement stratégique contrôlé par l’État algérien, d’un contrat d’achat d’actions relatif à l’acquisition d’une participation de 51 % dans la société OTA, pour un montant de 2,643 milliards de dollars américain.

En 2012, Orascom TMTI, l’ancien actionnaire indirect d’OTH, a formé une réclamation parallèle devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) sur le fondement du traité bilatéral d’investissement entre l’Union économique belgo-luxembourgeoise et l’Algérie, puis a soutenu que la transaction intervenue en 2014 n’avait aucun impact sur cette procédure.

Après s’être déclaré compétent pour statuer sur ce différend, le tribunal arbitral CIRDI a décidé qu’il ne pouvait pas exercer sa compétence en raison de l’irrecevabilité des demandes d’Orascom TMTI.

Le tribunal arbitral a relevé que, quand bien même plusieurs entités de la chaîne verticalement intégrée que constituait le Groupe Sawiris pouvaient en théorie engager une procédure arbitrale, cette existence théorique de plusieurs fondements juridiques ne signifiait pas nécessairement que les diverses entités situées dans la chaîne d’actionnariat pouvaient utiliser les clauses d’arbitrage existantes pour contester les mêmes mesures et obtenir une indemnisation pour le même préjudice économique. Le tribunal a ensuite considéré que le différend en cause était identique à celui soumis à l’arbitrage par OTH et que M. Sawiris avait fait en sorte que les organes sociaux d’OTH cristallisent le différend au niveau d’OTH en adressant à l’Algérie la première notification d’un différend. En outre, le tribunal a estimé que, en exerçant son droit d’introduire une procédure arbitrale à l’encontre de l’Algérie, OTH s’était placée elle-même dans la situation où elle pouvait obtenir réparation du préjudice prétendument subi.

Au terme d’une analyse détaillée des demandes en réparation soumises par la société de droit luxembourgeois, le tribunal arbitral a conclu que les demandes CIRDI d’Orascom TMTI étaient couvertes par les demandes présentées dans l’arbitrage CNUDCI, ou qu’elles avaient dû ou auraient dû être prises en compte au moment de la vente de son investissement. Le tribunal arbitral a ensuite considéré que l’accord transactionnel avait mis fin au différend soumis devant lui de la même manière qu’une sentence qui serait intervenue dans l’arbitrage CNUDCI l’aurait fait. En l’absence de préjudice subi par Orascom TMTI elle-même, la société ne pouvait reprendre à son compte ce différend, quel que soit le contenu de l’accord transactionnel et le fait que la vente de son investissement soit intervenue avant la transaction.

Le tribunal arbitral a en outre considéré que le comportement d’Orascom TMTI constituait un abus de procédure, que le tribunal a qualifié d’« abus de droit » : « [Orascom TMTI] s’est prévalue de l’existence de divers traités à différents niveaux de la chaîne verticale de sociétés, faisant usage de ses droits à l’arbitrage et aux protections matérielles prévus par les traités de manière incompatible avec l’objet de ces droits et la finalité des traités d’investissement. Pour le Tribunal, un tel comportement est un abus du système de protection des investissements ».

Compte tenu de l’issue de cette affaire et de l’abus de procédure d’Orascom TMTI, le tribunal a condamné Orascom TMTI – qui avait déjà exposé des honoraires d’avocats et des frais à hauteur de plus de 20 millions de dollars américains – à payer l’intégralité des frais de la procédure (les honoraires et frais du tribunal, ainsi que les frais administratifs du CIRDI, à savoir un montant de 673 975,00 dollars américains) et à rembourser 50% des honoraires d’avocat et des frais supportés par l’Algérie pour les besoins de la procédure d’arbitrage (représentant respectivement 2 842 811,01 dollars américains et 58 382,16 euros), soit un montant total de plus de 3,5 millions de dollars américains.

Emmanuel Gaillard, qui dirige le département arbitrage international du cabinet Shearman & Sterling et a représenté l’Algérie dans cette affaire, a déclaré : « Nous sommes très heureux de cette sentence, non seulement pour l’Algérie, l’un de nos plus anciens et prestigieux clients, mais aussi pour la valeur de précédent de la sentence. De plus en plus souvent, différents actionnaires à différents niveaux d’une chaîne de sociétés intégrée introduisent des procédures d’arbitrage parallèles. Cette décision historique s’attaque directement au problème, en montrant que, selon les circonstances, les réclamations parallèles peuvent être intégralement rejetées même au niveau de la recevabilité ». S’agissant de l’abus de procédure, le Professeur Gaillard ajoute : « Il s’agit d’une avancée bienvenue. En l’absence de toute reconnaissance de la notion d’abus de procédure, les tribunaux seraient privés d’un outil efficace pour lutter contre les situations croissantes d’abus dans l’arbitrage ».

Yas Banifatemi, qui dirige le département de Droit international public du cabinet Shearman & Sterling et qui est également conseil de l’Algérie dans cette affaire, a déclaré : « Il s’agissait d’une affaire particulièrement complexe, notamment parce que la jurisprudence, à partir de l’affaire Lauder, s’était engagée dans une voie qui autorisait les comportements abusifs en se focalisant sur chaque action et chaque traité pris isolément, sans tenir compte du contexte juridique et factuel plus large impliquant les mêmes parties. Il s’agit de la première fois qu’un tribunal a véritablement pris en compte l’intégralité du contexte et appréhendé l’arbitrage dans son ensemble, plutôt que du point de vue isolé de chaque tribunal, bien que chaque tribunal soit constitué sur la base d’un traité distinct ». Maître Banifatemi a ajouté : « Cette sentence est destinée à faire jurisprudence, non seulement sur la question de l’abus de procédure, mais également en ce qu’elle appréhende l’arbitrage investissement comme un système cohérent ».

Orascom TMT Investments S.à r.l. c. La République Algérienne Démocratique et Populaire (Affaire CIRDI n° ARB/12/35)

Tribunal

Gabrielle Kaufmann-Kohler (Président) (Suisse)

Albert Jan van den Berg (Pays-Bas)

Brigitte Stern (France)

Conseil de Orascom TMT Investments

- White & Case
Associés Carolyn Lamm, Andrea Menaker et Brody Greenwald, et Counsel Frank Schweitzer à Washington; avocats ‎collaborateurs Noor Davies et Hadia Hakim à Paris.

Conseil de l’Algérie

- Shearman & Sterling
Associés Emmanuel Gaillard et Yas Banifatemi, Counsel Benjamin Siino, et avocats collaborateurs Pierre Viguier et Teresa Vega à Paris; avocats collaborateurs senior Marina Matousekova à Milan et Tsegaye Laurendeau à Londres.


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