Le Tribunal de l’Union Européenne a rendu il y a quelques semaines (1) un arrêt intéressant relatif au principe d’autorité de la chose jugée devant l’OHMI.
En l’espèce, la société Tegometall International AG reprochait à la société Irega AG d’avoir déposé la marque communautaire MEGO susceptible, selon elle, de générer un risque de confusion avec ses marques antérieures TEGO et TEGOMETALL.
L’opposition qu’elle avait formée initialement fut rejetée par la Division d’opposition de l’OHMI, si bien que la marque litigieuse accéda à l’enregistrement le 8 juillet 2008.
Déterminée, La société Tegometall forma une action en nullité, quelques mois plus tard, devant l’OHMI. Dans une décision du 8 juillet 2011, la Division d’annulation a rejeté la demande en nullité au motif que les marques en cause n’étaient pas similaires et qu’aucun risque de confusion n’existait entre elles, même s’agissant de produits identiques.
Saisie de l’affaire ultérieurement, la 1ère Chambre de Recours de l’OHMI a considéré que la demande en nullité était irrecevable, dès lors que les mêmes motifs développés afin d’établir un risque de confusion entre ces marques, avaient déjà été rejetés par la décision de la Division d’opposition. L’Office invoquait donc ici le principe de l’autorité de la chose jugée, qui interdit de remettre en cause une décision, en dehors des voies de recours prévues à cet effet.
Le Tribunal de l’UE a logiquement censuré la décision de l’OHMI, estimant que la Chambre de Recours avait commis une erreur de droit en déclarant irrecevable la demande en nullité. Selon elle, en effet, "le principe d’autorité de la chose jugée (…) n’est pas applicable dans la relation entre une décision finale en matière d’opposition et une demande en nullité".
Les juges soulignent à cet égard que les procédures devant l’OHMI, c’est-à-dire les oppositions, sont de nature administrative et non juridictionnelle et que, partant, elles ne sauraient acquérir force de chose jugée, ni conférer de droits acquis pour les titulaires de marques.
Le tribunal poursuit en affirmant qu’en tout état de cause, aucune disposition du Règlement sur la marque communautaire n° 207/2009 (RMC) ne prévoit un tel principe d’autorité de la chose jugée s’agissant des procédures d’opposition.
L’OHMI n’est donc jamais lié par une décision rendue dans le cadre d’une opposition et il est toujours possible de faire réexaminer l’existence d’un risque de confusion entre deux marques, dans le cadre d’une action en annulation (à titre principal ou incident).
* * *
Illustrant une jurisprudence désormais constante (2), cette décision a le mérite de se conformer à la lettre du RMC, même si certains la critiqueront au regard des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.
Que l’on se rassure, l’autorité de la chose jugée reste néanmoins toujours applicable s’agissant des décisions rendues dans le cadre d’actions en nullité et en déchéance, conformément aux articles 56 (3) et 100 (2) du RMC.
Une illustration récente, rendue le même jour par la Chambre de Recours de l’OHMI (3), a d’ailleurs précisé les contours de ces dispositions.
En l’espèce, une action en contrefaçon sur le fondement d’une marque communautaire avait été initiée devant le TGI de Paris, statuant en tant que tribunal des marques communautaires. La société défenderesse n’avait pas manqué de former une demande reconventionnelle en nullité de ladite marque pour défaut de caractère distinctif (motif absolu de nullité). Multipliant les recours pour en obtenir la nullité, elle avait également saisi les instances de l’OHMI.
Après que la Cour d’appel de Paris eut prononcé la validité de la marque communautaire en cause, la Chambre de Recours confirma naturellement l’irrecevabilité de l’action fondée sur l’absence de caractère distinctif, au motif que cette action avait déjà été tranchée par le juge français et qu’elle avait donc acquis l’autorité de la chose jugée.
La Chambre de Recours se référait ici explicitement aux dispositions de l’article 56 (3) du RMC, aux termes desquelles l’exception d’autorité de la chose jugée n’est recevable que lorsqu’une triple identité de parties, de cause et d’objet est démontrée. En l’espèce, ce triptyque était parfaitement établi.
L’OHMI a en revanche examiné l’action sur le fondement du motif relatif, tiré de l’existence de droits antérieurs en Italie, cette question n’ayant pas été précédemment portée ni tranchée devant une quelconque instance. Les juges ont précisé à cet égard qu’en dépit de l’identité des parties, l’objet et la cause de l’action s’avéraient différents de ceux de l’action formée devant le TGI de Paris.
En définitive, ces deux décisions du 23 septembre 2014 confirment que si une décision d’opposition n’a pas d’effet sur une demande en nullité formée devant l’OHMI, le principe d’autorité de la chose jugée reste au contraire pleinement applicable lorsqu’il s’agit d’une décision émanant d’une juridiction nationale statuant sur une marque communautaire.
Par contre, elles n’apportent aucune réponse à la question sur l’incidence d’un jugement national d’un tribunal des marques communautaires sur les décisions rendues par l’OHMI, et plus particulièrement, sur la nature de l’étroite relation existant entre une marque nationale et une marque communautaire en tous points identiques.
Il est vrai que le principe d’autorité de la chose jugée ne saurait s’imposer à l’OHMI saisi d’une demande en nullité d’une marque communautaire dans l’hypothèse où un tribunal national aurait auparavant reconnu la validité de la même marque nationale. En effet, dans une telle situation, la triple identité vue supra ne serait pas satisfaite, l’objet et la cause de l’action étant différents, la marque nationale et la marque communautaire étant bien deux titres distincts.
Cependant, il est regrettable qu’aucune disposition à ce jour ne permette de faire valoir une décision nationale antérieure auprès de l’OHMI alors même que la marque communautaire serait en tous points identique à la marque nationale ayant fait l’objet de la décision. Une telle disposition participerait au contraire à l’effort d’harmonisation tel qu’insufflé par l’Office, et conférerait davantage de sécurité juridique pour les titulaires de marques, tout en limitant considérablement le nombre des procédures devant l’OHMI, dont la division d’annulation ne compte pas uniquement des juristes.
Alain Berthet & Clotilde Biron, cabinet d’avocats PROMARK
_______________________
NOTES
(1) TUE, 23 sept. 2014, Aff. T-11/13, Tegometall International AG.
(2) V. en ce sens : TUE, 14 oct. 2009, Aff. T-140/08, Ferrero, pt. 34 et TUE, 22 novembre 2011, Aff. T-275/10, mPAY24, pt. 15.
(3) OHMI, Ch. Rec., 23 sept. 2014, Aff. R 931/2013-4, Gruppo Fini S.p.A. c/ Andros.