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Lucia Pereira, Avocat, Armand AssociésDans son arrêt du 4 juin 2015 (affaire C-195/14 concernant une règlementation allemande), la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a pris le soin de décortiquer l’étiquetage d’une infusion aux fruits, pour conclure sur son caractère trompeur.

Cette affaire européenne trouve son origine dans un litige allemand opposant une association de consommateurs à la société Teekanne GmbH, fabricante de l’infusion litigieuse, au sujet du caractère prétendument trompeur de l’étiquetage de cette infusion.

A titre liminaire, relevons que cet arrêt de la Cour est rendu sous l’empire de la directive 2000/13/CE concernant l’étiquetage et la présentation des denrées alimentaires, remplacée (au moins partiellement) depuis le 13 décembre 2014 par le règlement (UE) n° 1169/2011 du 25 octobre 2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires (règlement INCO).

En l’espèce, il s’agit d’une infusion aux fruits dont la « dénomination de vente » (désormais nous dirions la « dénomination » selon le règlement INCO) était "Felix aventure framboise- vanille". Son étiquetage comportait des images de framboises et de fleurs de vanille et une liste d’ingrédients précisant « infusion aux fruits avec des arômes naturels – goût framboise- vanille ».

Il ressort de cette liste d’ingrédients que l’infusion ne contient ni framboise, ni vanille, mais des arômes naturels qui reproduisent le goût de ces aromates. En effet, la mention « goût » signifie que les aromates (framboise et vanille) ne sont pas des ingrédients présents dans l’infusion et que les arômes naturels ne sont pas obtenus à partir de ces aromates. Si tel avait été le cas, la liste des ingrédients aurait indiqué « arômes naturels de framboise et de vanille ». La Cour ne contestera pas ce sens commun attribué au terme « goût », qui vaut également pour les termes « saveur » ou « aromatisé ».

D’un point de vue strictement économique, nous relevons qu’il peut être plus intéressant de reproduire le goût d’un aromate à partir d’autres ingrédients que ce dernier. C’est le cas de l’arôme naturel mis en œuvre dans cette infusion qui reproduit le goût de la fraise et de la vanille (malheureusement, l’arrêt ne donne pas d’autres précisions sur la composition de cet arôme). Mais nous pouvons également citer l’exemple d’une denrée aromatisée au kiwi, alors qu’elle est fabriquée à partir de fraises vertes.

La CJUE répondait donc à la question de savoir s’il est trompeur pour le consommateur de communiquer sur les aromates (framboise et vanille) qui, sans être mis en œuvre dans l’infusion, sont présents mais uniquement au niveau gustatif.

L’argument de défense du producteur est principalement axé sur l’idée que la croyance erronée du consommateur serait corrigée par la liste d’ingrédients dont il ressort que les aromates (framboise et vanille) ne sont pas présents dans la denrée. La mise en avant de ces aromates dans la dénomination de vente et sous forme de représentations graphiques serait justifiée par le fait que l’infusion a bien un goût de framboise et de vanille.

La solution donnée par la CJUE est la suivant : le droit de l’Union européenne s’oppose à ce que « (…) l’étiquetage d’une denrée alimentaire et les modalités selon lesquelles celui-ci est réalisé puissent suggérer, au moyen de l’apparence, de la description ou d’une représentation graphique d’un ingrédient déterminé, la présence de ce dernier dans cette denrée alors que, en fait, cet ingrédient est absent, cette absence ressortant uniquement de la liste des ingrédients qui figure sur l’emballage de ladite denrée ». « (…) la liste des ingrédients peut, dans certaines situations, même si elle est exacte et exhaustive, être inapte à corriger de manière suffisante l’impression erronée ou équivoque du consommateur concernant les caractéristiques d’une denrée alimentaire qui résulte des autres éléments composant l’étiquetage.

Le point de départ du raisonnement de la Cour est que l’étiquetage de l’infusion – la dénomination de vente et les représentations graphiques – crée une « impression erronée ou équivoque » chez le consommateur. C’est l’existence d’une impression erronée ou équivoque qui est sanctionnée. Peu importe qu’elle puisse ou non être corrigée par d’autres informations sur l’étiquetage.

L’étiquetage n’aurait pas été trompeur si (i) la dénomination de vente avait été complétée de la façon suivante « Felix Aventure goût framboise-vanille », et si (ii) les images de framboises et de fleurs de vanille n’avaient pas été représentées, ces aromates n’étant présents ni directement dans l’infusion, ni indirectement dans un arôme.

Il est d’ailleurs curieux que le fabricant communique davantage sur la framboise et la vanille qui ne sont pas présentes dans son produit, plutôt que sur la pomme, la mûre ou l’orange qui sont présentes, elles …

Sous l’empire du règlement INCO, la solution aurait été la même. En effet, ce texte pose deux nouvelles règles : d’abord, les mentions facultatives ne doivent pas nuire à la clarté des mentions obligatoires (article 36 § 2 a) et considérant 47 du règlement INCO), ensuite, les mentions facultatives ne doivent pas empiéter sur l’espace disponible pour les mentions obligatoires (article 37 du règlement INCO). En l’espèce, il est probable que la Cour aurait considéré que la représentation d’images de framboises et de fleurs de vanilles, qui sont des informations facultatives, nuit à la clarté de la liste des ingrédients, qui est une mention obligatoire.

Lucia Pereira, avocat du département concurrence et distribution du cabinet Armand Associés


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