La rupture d’un mariage, par ses implications extrapatrimoniales et patrimoniales, explique la pluralité des institutions ayant toutes pour objet la réparation du préjudice qui peut en découler. Magdy Habchy, maître de conférence à la Faculté de Droit de Reims, analyse les conséquences de l'arrêt de Cour de cassation du 18 janvier 2012 en matière de cumul de la prestation compensatoire et des dommages et intérêts.
L’arrêt de la première chambre de la Cour de cassation du 18 janvier 2012 (n° de pourvoi : 11-10959) illustre parfaitement l’utilité de cette pluralité et présente, à ce titre, un intérêt pratique, en ce sens que la Haute juridiction a dû préciser le domaine respectif de chaque institution.
Les faits sont les suivants : M. X. et Mme Y. se sont mariés le 5 décembre 1998. A la demande de l’épouse un jugement du 11 juin 2009 a prononcé leur divorce, aux torts exclusifs de l’époux, et a condamné ce dernier à verser, à titre de prestation compensatoire, une somme de 50 000 euros.
En revanche, le tribunal a débouté Mme Y. de sa demande de dommages-intérêts fondée sur les articles 266 et 1382 du code civil. Cette décision a été confirmée par l’arrêt d’appel de Douai du 25 novembre 2010.
C’est le pourvoi contre cet arrêt qui a donné l’occasion à la première chambre civile de préciser les domaines respectifs de chaque institution (2.), admettant ainsi préalablement, mais implicitement, la possibilité de cumul entre ces institutions (1.).
1. La Cour de cassation a pris soin de préciser que la prestation compensatoire n’écarte pas les dommages-intérêts.
Devant la pluralité d’institutions qui peuvent être invoquées en vue de la réparation des conséquences ou des préjudices résultant de la rupture d’un mariage (la prestation compensatoire et les dommages-intérêts des articles 266 et 1382), on peut s’interroger sur l’option entre ces différentes institutions.
D’un point de vue théorique, on peut hésiter entre deux solutions : affirmer le caractère alternatif de ces institutions, interdisant, par conséquent, de demander la réparation du préjudice en bénéficiant simultanément des ces différentes institutions ou bien, au contraire, admettre leur caractère cumulatif donnant ainsi la possibilité de bénéficier simultanément de ces différentes institutions.
Quoique la Cour d’appel ait choisi la première solution, la Cour de cassation a opté pour le caractère cumulatif, en indiquant que "le prononcé du divorce n’a pas pour objet la réparation d’un préjudice" et laisse donc subsister la possibilité de demander la réparation du préjudice au titre des articles 266 et 1382, du code civil. En d’autres termes, ces différentes institutions ne jouent pas le même rôle et par conséquent leur cumul ne contredit aucune règle.
Certes, cette solution de la Cour de cassation n’est pas nouvelle, mais elle mérite d’être soulignée face à un courant de décisions d’appel, dont le présent arrêt, qui a tendance à confondre la prestation compensatoire et la réparation du préjudice, en méconnaissance des termes mêmes de l’article 266 qui prévoit que des dommages et intérêts peuvent être accordés à un époux "sans préjudice de l'application de l'article 270". Certes, la Cour d’appel se fonde sur le fait que l’épouse ne démontre pas un préjudice distinct, mais c’est oublier que le préjudice de l’article 266 peut directement découler de la cause de divorce.
2. La Cour de cassation a pris soin de déterminer le domaine propre de chaque institution.
a) L’autonomie de la prestation compensatoire par rapport aux dommages-intérêts :
En posant le principe "que le prononcé du divorce n’a pas pour objet la réparation d’un préjudice", la Cour reproche, par conséquent, à la Cour d’appel d’avoir débouté "Mme Y. de sa demande de dommages-intérêts fondée sur l’article 1382 du code civil," au motif que "cette dernière ne démontre pas l’existence d’un préjudice matériel ou moral indépendant de celui issu de la dissolution du lien matrimonial et qui a trouvé réparation à la fois dans le prononcé du divorce aux torts exclusifs de l’époux et dans la prise en charge par celui-ci des conséquences financières du divorce".
Cette solution de la Cour de cassation revient à attribuer à la prestation compensatoire sa véritable nature juridique, qui se distingue très nettement des dommages-intérêts, en ce sens qu’elle est la suite nécessaire, et en contre partie, de la disparition du devoir de secours. Certes, le législateur retient certains éléments pour l’appréciation de la prestation compensatoire qui peuvent être également utilisés pour l’application de l’article 266, tel la durée du mariage, mais cette prestation n’a aucunement pour objet la réparation d’un préjudice, ni la sanction d’une faute quelconque.
En effet, cette prestation est destinée, pour reprendre la formule légale, "à compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives".
b) Les domaines respectifs de la réparation des articles 266 et 1382 du code civil :
La Cour de cassation affirme que "les dommages-intérêts prévus par l’article 266 du code civil réparent le préjudice causé par la rupture du lien conjugal tandis que ceux prévus par l’article 1382 du même code réparent celui résultant de toute autre circonstance". Cette affirmation met l’accent sur le fait que les articles 266 et 1382 ne jouent pas un double emploi, bien au contraire, chaque institution a un champ d’application propre.
Tandis que les dommages et intérêts de l’article 266 ont pour objet la réparation des conséquences d’une particulière gravité subies par un époux du fait de la dissolution du mariage, la réparation de l’article 1382, qui n’exige ni la spécificité de la cause du préjudice ni le caractère grave du préjudice, a pour objet la réparation de toutes sortes de dommages causés par une faute quelconque.
Par ailleurs, alors que la réparation de l’article 1382, qui constitue le droit commun de la responsabilité délictuelle, est largement admise, la réparation de l’article 266, est renfermée dans des limites plus strictes et ne concerne que deux cas de divorce, et en faveur seulement : soit du "défendeur à un divorce prononcé pour altération définitive du lien conjugal" lorsque ce défendeur "n'avait lui-même formé aucune demande en divorce, soit lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de son conjoint".
Aussi, l’autonomie déjà affirmée sur les règles substantielles est d’autant plus accentuée sur le plan des règles procédurales puisque la demande au titre de l’article 266 ne peut être formée qu'à l'occasion de l'action en divorce. C’est en définitive ce que la Cour de cassation rappelle dans une formule laconique mais limpide.
Dans ces conditions, on doit saluer la solution de la Cour de cassation, car elle permet de donner la pleine application à des institutions apparemment voisines mais qui, considérées de près, relèvent chacune d’un domaine propre et peuvent, de ce fait, être cumulativement invoquées.
Magdy Habchy
Maître de Conférences à la Faculté de Droit de Reims
Habilité à diriger des recherches
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