Affaire des retenues à la source sur dividendes subies par les fonds d'investissement étrangers

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leclercq lauratetLa Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) vient de rendre, le 10 mai dernier, la décision FIM Santander Top 25 Euro Fi (dans 10 affaires jointes), qui était très attendue.

Cette décision apporte la dernière pierre à l’édifice dont la construction avait été initiée, en France, par le Tribunal administratif de Montreuil et le Conseil d’Etat.

Pour résumer le contexte, les fonds d’investissement non résidents ont introduit des contentieux en France en vue de contester le prélèvement de la retenue à la source prévue par les dispositions de l’article 119 bis, 2 du Code Général des Impôts sur les dividendes qu’ils reçoivent des sociétés cotées françaises dans lesquelles ils ont investi. Ils faisaient valoir qu’une telle retenue constitue une restriction au principe de libre circulation des capitaux dans la mesure où les fonds d’investissement français ne sont soumis à aucune imposition en France quand ils perçoivent des revenus de même nature et de même provenance (1).

Submergé par l’afflux de plus de 2.500 requêtes, le Tribunal administratif Montreuil, juridiction territorialement compétente pour ces affaires, a tout d’abord sollicité l’avis du Conseil d’Etat puis a sursis à statuer une deuxième fois, pour poser deux questions préjudicielles à la Cour de Justice de l’Union Européenne qui portaient sur la détermination du niveau auquel il convenait de se placer pour apprécier l’existence d’une différence de traitement fiscal constitutive d’une entrave à la libre circulation des capitaux : le fonds seulement ou le fonds et l’investisseur.

Cette question était cruciale pour conclure, ou non, à une entrave condamnable. En effet, une restriction à la libre circulation des capitaux se caractérise par une différence de traitement appliquée à des situations objectivement comparables. Si l’entrave est caractérisée, il convient de rechercher si elle peut être justifiée par un motif impérieux d'intérêt général. Enfin, un test de proportionnalité entre la restriction et sa ou ses justifications doit être opéré.

Le Conseil d’Etat, dans son avis rendu le 23 mai 2011, avait considéré que la libre circulation des capitaux pouvait être invoquée et ce même par des fonds d’investissement établis dans des Etats tiers. Il avait en outre indiqué que si la comparaison des situations devait s’effectuer au niveau des seuls fonds d’investissement , une entrave à la libre circulation des capitaux était caractérisée et non justifiée.

La France ayant choisi comme critère de taxation la localisation du seul fonds d’investissement, la CJUE constate que la comparaison du traitement fiscal des fonds français avec celui des fonds étrangers ne peut s’effectuer qu’en tenant compte de la seule situation du fonds.

Les fonds non résidents sont soumis par la France à une retenue à la source sur les dividendes de source française alors que les fonds résidents sont exonérés d’impôt. Cette différence de traitement est de nature à dissuader les fonds non résidents d’investir en France puisque la retenue à la source obère le rendement de leurs investissements.

Cette entrave à la libre circulation des capitaux n’est, selon la Cour, pas justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général et ce même pour des fonds d’investissement non européens à condition qu’ils soient établis dans un Etat ayant conclu avec la France une convention fiscale prévoyant une assistance administrative mutuelle visant à prévenir l’évasion et la fraude fiscales.

En France, l’arrêt permet aux fonds d’autres Etats membres que la France ou d’Etats tiers à déposer jusqu’en 2014 des réclamations contentieuses portant sur les retenues supportées depuis 2009. Pour les fonds qui ont déjà introduit des contentieux auprès de l’administration fiscale ou du Tribunal de Montreuil, l’illicéité des retenues à la source supportées devrait découler de l’arrêt de la CJUE et de l’avis du Conseil d’Etat précités. L’administration comme le juge seront toutefois attentifs à ce que ces fonds aient bien justifié du paiement de ces retenues.

Enfin, l’arrêt de la CJUE fragilise la réglementation fiscale appliquée par les autres Etats membres aux fonds d’investissement dans la mesure où elle s’apparente à la réglementation française. On peut s’attendre, à cet égard, à ce que des pays comme l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne soient amenées, eux aussi, à rembourser des impôts indûment prélevés sur les dividendes versés aux fonds étrangers.

 

Laurent LECLERCQ, Avocat associé, département Droit fiscal de la Direction internationale du cabinet FIDAL

Séverine LAURATET, Avocat, département Droit fiscal de la Direction internationale du cabinet FIDAL

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NOTE

1- Les SICAV sont expressément exonérées d’impôt sur les sociétés sur les bénéfices qu’elles réalisent par l’article 208, 1° bis A du Code Général des Impôts.Les FCP, en tant que copropriété d'instruments financiers, sont dépourvus de personnalité juridique et sont par conséquent placés de plein droit hors du champ d’application de l’impôt sur les sociétés.


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