Le Monde du droit propose un commentaire de deux arrêts récents concernant la loi Evin par Eric Andrieu, avocat associé au cabinet Péchenard et Associés.
Deux arrêts importants concernant la loi Evin viennent d’être rendus publics. Le premier rendu par la Cour de Cassation en faveur – fait assez rare pour le souligner – d’une campagne d’alcool et un second de la Cour d’appel de Paris qui, en revanche, redouble de sévérité à l’égard des marques d’alcool qui utilisent les réseaux sociaux. Décryptages…
1. Jameson conforme à la loi Evin
L'arrêt du 15 mai de la Cour de Cassation concerne l'affaire dans laquelle Jameson était poursuivie pour avoir utilisé des personnages de bande dessinée réalisés par Ted Benoît (1).
A trois reprises, les Cour d'appel avaient estimé que cette campagne était conforme à la loi Evin. A deux reprises, la Cour de Cassation avait cassé leur décision.
Cette fois, elle accepte le raisonnement de la Cour d'appel en rappelant certains des arguments de cette dernière :
- la loi Evin n'interdit pas le recours sur une affiche à un fond attrayant,
- l'existence d'une part de fiction n'est pas en elle-même illicite,
- l'utilisation de Ted Benoît ne crée pas un lien automatique entre les affiches et la bande dessinée Blake et Mortimer,
- les visuels ne sont pas destinés à séduire de jeunes adultes,
- ils ne contiennent ni évocation d'ambiance incitant à la consommation, ni exaltation de qualités ou de vertus,
- ils ne font pas appel au sentiment de bonheur ni ne jouent sur le registre de la convivialité,
- ils évoquent seulement le monde artisanal dans lequel est né le produit et les soins qui ont été apportés à sa fabrication, ce qui se rattache à l'origine et au mode d'élaboration du produit.
Sous réserve de la référence à l'incitation qui ne peut être reprochée à une publicité, il s'agit d'une décision d'autant plus satisfaisante que c'est la première fois que la Cour de Cassation valide une campagne alcool lui étant soumise.
2. Plus de sévérité sur les réseaux sociaux
La décision de la Cour d'appel de Paris du 23 mai dernier est en revanche moins favorable. Elle concerne la campagne "Un Ricard. Des rencontres" (2).
L'ordonnance de référé avait sanctionné cette signature ainsi que l'emploi de Facebook à qui était reconnu un caractère intrusif.
La Cour d'appel va plus loin puisqu'elle sanctionne tous les aspects de la campagne :
- le slogan qui ne se rattache pas uniquement au mélange entre l'anis et l'eau mais vise le rapprochement entre les personnes,
- le visuel : déclinaison d'une gamme de couleurs renvoyant à une impression de légèreté ou d'évasion et visant à donner une image valorisante de la boisson,
- le sigle "#" qui attirait l'attention des plus jeunes consommateurs,
- le film qui reprend les éléments ci-dessus en les magnifiant à travers une mise en scène accentuée par la mobilité de l'image et une musique séductrice, l'ensemble aboutissant à une création esthétique destinée à donner à la boisson Ricard un caractère festif,
- la page Facebook, la possibilité de partager une recette avec son réseau d'amis en cliquant sur le bouton "Partagez sur mon mur" pouvant être consultée par les amis, ce texte apparaissant de manière inopinée et systématique, revêtant ainsi selon la Cour un caractère intrusif,
- l'application permettant de visionner la bouteille de Ricard en relief, ce qui serait une présentation attractive utilisant une forme d'image très en vogue visant à promouvoir cette boisson alcoolique.
Dans les deux derniers cas, la Cour relève également l'absence de mentions sanitaires. Et dans tous les cas, elle évoque le caractère incitatif de l'annonce ainsi diffusée.
Cette décision est évidemment discutable puisque la référence faite à l’incitation est le fondement même de la publicité. De même que l'appréciation sur le caractère intrusif de Facebook peut elle aussi être contestable...
Eric Andrieu, Avocat Associé, Péchenard et Associés.