La CEDH condamne la France pour non-respect de la liberté d'expression

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antoine semeriaAntoine Semeria, avocat à la Cour spécialisé dans le droit du sport, nous propose un éclairage sur la décision récente de condamnation de la France par la CEDH.

Dans un arrêt de chambre, non définitif, rendu le 28 juin 2012, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a considéré, à l'unanimité, que la France avait violé l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme portant sur la liberté d'expression pour son ingérence dans la confidentialité des sources journalistiques relatives à une importante affaire de dopage.

La Cour profite de cet arrêt pour réaffirmer le rôle prépondérant joué par la liberté d'expression et le droit à l'information dans nos sociétés démocratiques.

Retour sur les faits à l'origine de la saisine de la CEDH.

En janvier 2004, des journalistes du journal Le point et de l'Equipe ont rédigé plusieurs articles sur les soupçons de dopage pesant sur des coureurs de la formation COFIFIS.

Pour étayer leurs argumentations, les journalistes reprenaient in extenso certains passages des procès-verbaux de transcriptions d'écoutes téléphoniques pratiquées dans le cadre de l'enquête diligentée par la brigade des stupéfiants.

Quelques mois plus tard, le journal L'Equipe publia de nouveau une série d'articles sur le même sujet, reproduisant des parties des procès-verbaux et pièces de procédure.

Les sociétés Cofidis et Cofidis compétition portèrent immédiatement plainte avec constitution de partie civile contre X du fait de violation du secret de l'information et recel

Entre le 20 octobre et le 25 novembre 2004, douze policiers, trois des journalistes ainsi que le directeur du Point furent auditionnés. Le 10 janvier 2005, le procureur ordonna une perquisition au siège des journaux L'Equipe et Le Point afin de retrouver la trace des procès-verbaux détournés.

Plus d'un an après, et alors que l'instruction n'avançait guère à l'encontre des journalistes, ces derniers demandèrent l'annulation de l'ensemble des actes relatifs à la perquisition au siège des journaux, l'annulation des actes relatifs aux perquisitions domiciliaires ainsi que de l'ensemble des actes relatifs à la mise sous scellés des listings de leurs appels téléphoniques.

Le 26 mai 2006, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles rendit son arrêt et considéra que "la violation du secret de l'instruction et le recel de cette infraction avaient compromis le déroulement de l'enquête et avaient constitué une atteinte à la présomption d'innocence des personnes visées dans les articles ainsi qu'une atteinte à leur vie privée par la publication de certaines de leurs conversations téléphoniques".

Les cinq journalistes se pourvurent en cassation mais la Cour rejeta le pourvoi.

Parallèlement à ce pourvoi, les journalistes introduisirent une action devant la Cour Européenne des Droit de l'Homme (CEDH) le 27 mars 2007.

Le 26 mai 2009 le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Nanterre rendit enfin une ordonnance de renvoi et de non-lieu partiel, considérant que les intéressés n'avaient pas commis de délit de violation du secret de l'instruction, mais qu'ils avaient commis celui du recel de pièces du dossier de l'instruction.

Le 11 mai 2010, le tribunal Correctionnel de Nanterre prononça la relaxe des cinq journalistes.

Il appartenait alors à la CEDH de rendre son arrêt à l'aune de ces différentes décisions.

Dans un important arrêt du 28 juin 2012, la Cour conclut que le gouvernement français n'a pas démontré qu'une balance équitable des intérêts en présence avait été préservée.

Elle rappelle que « les considérations dont les institutions de la Convention doivent tenir compte pour exercer leur contrôle sur le terrain du paragraphe 2 de l'article 10 font pencher la balance des intérêts en présence en faveur de celui de la défense de la liberté de la presse dans une société démocratique ».

Pour la Cour, "les mesures litigieuses ne représentaient pas des moyens raisonnablement proportionnés à la poursuite des buts légitimes visés compte tenu de l'intérêt de la société démocratique à assurer et à maintenir la liberté de la presse".

La France est en conséquence condamnée à verser aux requérants une somme totale d'environ 45.000€.


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