Blogs, sites, forums… autant de possibilités de contenus illicites diffusés sur internet. Toutefois, à l’exception des contentieux relatifs à la contrefaçon sur internet, le rapport entre le nombre de ces pages et le nombre de contentieux en découlant est plutôt faible.
Plus récemment, le contentieux en ce domaine s’est orienté sur la question de l’usage de la marque comme mot clé dans les moteurs de recherche.
Au niveau français, et en dehors du cadre spécifique d’internet, l'article L. 713-6 du Code de la Propriété Intellectuelle permet à un opérateur d’utiliser une marque enregistrée par un autre comme référence nécessaire pour indiquer la destination d’un produit dès lors qu’il n’y a aucune confusion quant à l’origine de ce produit.
Dans ce cadre, les titulaires de droits sur des marques comme les professionnels du référencement ont pu s’interroger sur le point de savoir si l’usage de la marque d’autrui comme mot clé afin de permettre aux internautes d’identifier des sites promouvant et/ou commercialisant des produits revêtus de cette marque était ou non légal.
Il a tout d’abord été jugé au niveau communautaire que toute reproduction ou tout usage de la marque d'autrui par un lien hypertexte, dans le cadre de la vie des affaires (CJCE, 12 nov. 2002, Arsenal Football Club), était susceptible d'être condamné sur le terrain de la contrefaçon, s'il n'avait pas été autorisé par voie contractuelle. Il en résultait une position assez restrictive.
Puis, l’arrêt "Interflora" du 22 septembre 2011 (CJUE, 22 sept. 2011.) a apporté un net tempérament à cette autorisation contractuelle préalable à l’usage de la marque en tant que mot clé. En effet, cet arrêt est venu affirmer la liberté d’utilisation de mots clés reprenant une marque déposée pour autant que cet usage ne porte pas atteinte à une fonction essentielle de la marque, étant rappelé qu’il y a atteinte à la fonction d’indication d’origine de la marque lorsque l’internaute ne peut pas aisément savoir si les produits revêtus de la marque proviennent de son titulaire, d’une entreprise liée économiquement ou d’un tiers.
C’est ensuite au juge national d’apprécier au cas par cas le degré de confusion de l’internaute quant à son éventuelle méprise sur l’origine des produits portant ou non atteinte à la fonction essentielle de la marque, ce que le juge français n’a pas manqué de faire.
Dans un arrêt rendu le 27 mars 2012, le Tribunal de Grande Instance de Paris s’est ainsi prononcé sur l’usage d’une marque comme mot clé dans le cadre de ventes en ligne et sur ses conséquences au niveau du droit des marques et du droit de la concurrence.
En l’espèce, une société commercialisait des produits sous une marque déposée dont elle était titulaire. Sans lui demander son accord, l’un de ses concurrents a ensuite réservé des termes identiques à la marque pour l’utiliser à titre de mot clé dans le cadre d’un moteur de recherche afin de générer un lien commercial par la saisie de ce mot clé dans le formulaire de requête du moteur de recherche, permettant l’accès au site du concurrent.
Concernant l’action en contrefaçon de marque par le titulaire de cette marque, le Tribunal la rejette pour cause de déchéance, considérant que la marque n’était pas utilisée par son titulaire pour identifier les produits qu’il vendait.
Pour autant, le Tribunal profite de cette affaire pour se prononcer sur la réservation de marques comme mots clé pour le référencement des produits sur internet, notamment quant à son caractère ou non déloyal, en appliquant le raisonnement posé dans l’arrêt Interflora susvisé.
Le Tribunal reprend ainsi à son compte la position de principe de la CJUE en constatant de manière très factuelle que "la présentation des liens commerciaux à droite de l'écran de l'ordinateur pour ce qui est du cas d'espèce ou au-dessus des résultats naturels, sous la bannière «liens commerciaux», permet aux internautes moyennement attentifs et normalement avertis de distinguer les annonces publicitaires des résultats naturels de sorte que le seul emploi de la dénomination sociale comme mot clé ne suffit pas à démontrer un acte de concurrence déloyale."
En outre, afin d’écarter le risque de confusion, il poursuit en considérant que les termes employés dans l’annonce étaient génériques, le slogan publicitaire était banal, les termes utilisés étaient neutres, et enfin que le texte de l’annonce était suivi immédiatement de l’adresse du site internet de la société concurrente de sorte que l’internaute comprenait parfaitement qu’en cliquant sur le lien il n’arriverait pas sur le site du titulaire de la marque
Via ce faisceau d’indices, le Tribunal en conclut que l’internaute était en mesure d’établir l’identité du vendeur à partir du lien commercial qui apparaît clairement soit au-dessus des résultats naturels, soit, comme c’est le cas dans cet arrêt, comme une annonce publicitaire.
Au vu de cette position, en ligne avec la jurisprudence communautaire, il convient donc pour une société qui utilise la marque d’un tiers comme mot clé pour référencer son site de commercialisation des produits régulièrement acquis, de veiller au respect des critères mis en avant dans les décisions susvisées, et ce afin de ne pas tomber sous le coup d’une action en contrefaçon et/en concurrence déloyale.
De leurs côtés, les titulaires de marque doivent se montrer particulièrement vigilants quant à l’utilisation qui est faite de leurs marques comme mot clé sur internet en appréciant de manière très concrète les atteintes susceptibles d’être considérées comme contrefaisantes et/ou déloyales.
Enfin, s’agissant du rôle des moteurs de recherche, il est intéressant de constater que la Cour de Cassation, dans un arrêt du 12 juillet 2012, vient récemment d’affirmer que les outils de suggestion au moyen de mots clé doivent être en mesure de participer à la protection des droits de propriété intellectuelle sur internet. Il était ainsi reproché à la fonctionnalité Google Suggestions de suggérer systématiquement d’associer, à la saisie de requêtes, des mots clés relatifs à des sites dont le contenu était contrefaisant.
En considérant que la suggestion de mots clés ne conduit pas nécessairement l’internaute à se rendre sur des sites aux contenus illégaux mais qu’il appartient à celui qui les suggère (en l’espèce, le moteur de recherche) de contribuer à la suppression de pratiques illégales "en rendant plus difficile la recherche des sites litigieux, sans pour autant qu’il y ait lieu d’en attendre une efficacité totale", la Cour de Cassation vient renforcer le rôle desdits moteurs de recherche, et ce en autorisant les mesures ordonnant la suppression des termes qu’ils suggéraient.
Face à une technologie en constante (r)évolution, la règlementation doit s’adapter progressivement afin de tenter de concilier les droits des uns et les libertés des autres : un défi permanent pour tous les acteurs des nouvelles technologies !
Aurélie Dantzikian Frachon, associée du cabinet Lamy Lexel