Les temps changent. L'époque où l'avocat inspirait confiance, notamment aux Administrations, est-elle révolue ? La question mérite d'être posée au regard des positions prises par l'Administration fiscale lors de récents contrôles. Le cas ci-après en est l'illustration.
A la suite d'un contrôle fiscal, une entreprise fait l'objet d'une proposition de rectifications portant, entre autres, sur l'absence de justificatifs des frais engagés pour l'intervention de son avocat. L'entreprise conteste ces rectifications en produisant les factures émises par cet avocat. Ces factures comportent non seulement les mentions obligatoires prévues par la réglementation fiscale en vigueur, mais aussi l'identité du contradicteur du client rectifié et la nature des services rendus, libellés comme suit : "Diligences : recherches, rédaction des conclusions ou d'actes, communication de pièces, rendez-vous, correspondances, entretiens téléphoniques, plaidoiries, missions d'assistance et de conseil...".
L'Administration rejette la déductibilité fiscale des factures en question au motif que "s'agissant des frais d'avocat, la société ne saurait sérieusement prétendre avoir produit le preuve du caractère professionnel des dépenses litigieuses". En somme, l'Administration considère en substance que les factures d'avocats produites par l'entreprise rectifiée ne suffisent pas par elles-mêmes. Cette dernière doit démontrer le lien existant entre ces factures et son exploitation courante, malgré les libellés clairs et précis.
On sait que l'exercice par l'Administration de son pouvoir de contrôle n'est pas discutable. De son côté l'entreprise rectifiée doit mettre en œuvre le schéma ternaire d'administration de la preuve consacré par la jurisprudence du Conseil d'Etat, et dans ce cadre, présenter des justificatifs probants. Toutefois, on peut tout de même en tant qu'avocat relever que cette position de l'Administration est préoccupante à plusieurs égards.
Tout d'abord, l'avocat est un tiers de confiance depuis toujours, et à notre avis bien avant sa reconnaissance comme tel, en matière fiscale, par les dispositions de l'article 170 ter du Code général des impôts et du décret d'application entré en vigueur le 1er avril 2012. L'avocat intervient dans l'intérêt de son client, sa prestation est professionnelle par nature, et il est "honoré" à ce titre. En contestant le caractère justificatif des factures d'un avocat, l'Administration remet en cause cette qualité de tiers de confiance désormais consacrée par le législateur. On n'est pas loin du soupçon de factures de complaisance, ce qui est particulièrement regrettable et source de malaise.
Ensuite, la position de l'Administration ne tient pas compte de certaines réalités inhérentes à l'exercice de la profession d'avocat, qui comporte en son sein plusieurs métiers et modes d'exercice différents. En effet, il y a des cas où l'avocat rend une prestation ne donnant pas nécessairement lieu à des justificatifs autres que ses factures. Tel est par exemple le cas de toutes les prestations verbales rendues aux clients, pratique courante au sein de toute la profession. Que peut-on produire comme justificatif suffisant dans ce cas, en dehors d'une facture en bonne et due forme? S'agissant des nouveaux métiers de l'avocat, on peut relever le cas de l'avocat lobbyiste représentant les intérêts de son client notamment auprès des institutions nationales ou internationales. Compte tenu de la nature et du mode opératoire de cette activité, l'avocat lobbyiste ne produit pas nécessairement une quelconque documentation. Or les prestations de lobbying peuvent être particulièrement onéreuses. Est-ce à dire que le client qui les paie encourt le risque de voir la déductibilité fiscale de ces dépenses rejetée par l'Administration en cas de contrôle, pour défaut de justificatifs autres que les factures de son avocat ?
Qui plus est, on sait que par prudence l'avocat reste assez laconique sur la mention de la prestation fournie portée sur ses factures. On peut parier qu'en cas de sondage au sein de la profession on constatera que les factures sont assez similaires à celles indiquées ci-avant, quel que soit le mode d'exercice professionnel. En cas de confirmation de la position de l'Administration, c'est donc plusieurs milliers de factures d'avocats qui se retrouvent potentiellement rectifiables lors des contrôles fiscaux des clients. Une telle situation n'est-elle pas de nature à créer un risque quasi systémique au sein d'une profession qui n'en a vraiment pas besoin en ce moment ? On voudrait la fragiliser qu'on ne s'y prendrait pas autrement.
Enfin, la position de l'Administration pose en filigrane la question de l'effectivité du secret professionnel et de la confidentialité des échanges entre avocats et clients. Si ces principes, consacrés par la loi, sont absolus pour les avocats, tel n'est pas le cas pour le client. En effet, le secret professionnel ne s'impose ni à lui, ni aux tiers comme l'a d'ailleurs rappelé un avis du Conseil National des Barreaux du 29 juin 2010. Le réflexe naturel du client vérifié est de produire tous les justificatifs dont il dispose pour soutenir la déductibilité fiscale de ses dépenses. Or on sait que la documentation produite par les avocats contient souvent des informations sensibles, notamment les échanges entre eux qui sont dans la plupart des cas couverts par le secret professionnel. Dès lors, la position de l'Administration comporte le risque d'une "déconfidentialisation" à grande échelle, par les clients vérifiés, des échanges d'avocats. Sans parler du risque de recrudescence des rectifications compte tenu de la nouvelle jurisprudence du Conseil d'Etat du 25 juin 2012 validant désormais la possibilité pour l'Administration d'utiliser un document examiné lors d'un contrôle pour redresser un exercice non vérifié.
On voit bien que le rejet par l'Administration de la déductibilité fiscale des factures d'avocat soulève des interrogations très pragmatiques, notamment pour ces derniers.
C'est donc le lieu de réitérer l'exigence pour les instances dirigeantes de la profession d'avocat à s'opposer sans concession aux atteintes "rampantes" au secret professionnel et à la confidentialité, et à rester vigilantes sur tout ce qui est de nature à fragiliser économiquement cette profession. On sait que pour le Conseil d'Etat la production d'une facture suffisamment précise, même non assortie de justifications supplémentaires, peut suffire au contribuable pour apporter la preuve de la déductibilité fiscale de la charge en question. Quelque soit les éléments de contexte, le rejet de la déductibilité fiscale pour une entreprise des factures de son avocat, confident nécessaire de son client, n'est pas à notre avis conforme à la jurisprudence précitée, et surtout ne peut que fragiliser l'avocat en question dans ses rapports avec son client, et par ricochet, l'ensemble de la profession. Est-ce bien nécessaire dans une démocratie ?
Serge Bakoa
Avocat Spécialiste en Droit Fiscal au Barreau de Paris
sbakoa@hstb-avocats.com