Pierre-Olivier Sur et Laurent Martinet, avocats à la Cour et candidats au bâtonnat et au vice-bâtonnat, apportent un éclairage sur la protection du secret professionnel des avocats.
En common law, l'avocat est "collaborateur" de la justice, en particulier dans le cadre des procédures de discovery. En effet, la recherche des éléments de preuve repose sur le mécanisme du legal privilege, forme de secret professionnel qui ne peut être levé qu'au souhait du client. On comprendra que ce legal privilege relève non pas d'un principe mais d'une exception, qui justifie selon la nature de tel ou tel document de n'être livré à l'adversaire ou au juge que si le client décide de lever ce secret.
En droit romano-germanique, l'avocat est "mandataire" d'une partie "advocare" - littéralement traduit par "parler pour" - de telle sorte que le secret professionnel est un principe général, attaché non pas à la nature de tel document mais à la relation qui unit le client et l'avocat en tant que socle de la société civile et des libertés publiques.
En conséquence, si pour les anglo-saxons le secret professionnel est une exception pragmatique et à géométrie variable, il relève pour nous français des principes fondamentaux qui structurent le métier d'avocat. En effet, le secret professionnel est défini par le Règlement intérieur national (RIN) de la profession comme un moyen "général, absolu, illimité dans le temps" (article 2-1), dont nul ne peut relever l'avocat, y compris son propre client. Par ailleurs, les articles 2-1 et 2-2 du RIN de la profession d'avocat rappellent que le secret professionnel est "d'ordre public", en définissant ainsi les contours de façon extensive, quelle qu'en soit la matière (conseil et défense) ou les supports (matériels et immatériels), l'article 226-13 du Code pénal en punissant les atteintes par un an de prison.
Ainsi le secret est-il inscrit dans les fondamentaux de la profession d'avocat et de la culture juridique française et ce, depuis toujours. C'est la raison pour laquelle il y a 150 ans, Emile Garçon l'exprimait comme suit : "Le bon fonctionnement d'une société veut que le malade trouve un médecin, le plaideur un défenseur, le catholique un confesseur ; mais ni le médecin, ni l'avocat, ni le prêtre, ne pourraient accomplir leur mission si les confidences qui leur sont faites n'étaient assurées d'un secret inviolable. Il importe donc à l'ordre social que ces confidents nécessaires soient astreints à la discrétion et que leur silence leur soit imposé, sans condition ni réserve, car personne n'oserait plus s'adresser à eux si on pouvait craindre la divulgation du secret confié" (E. Garçon, Code pénal annoté, sous l'ancien article 378 du Code pénal).
Peut être est-ce parce que le secret professionnel de l'avocat est à ce point sacré que les magistrats l'ont utilisé pour compléter le Code de procédure pénale. En effet, la jurisprudence y a intégré, via l'article 11, le secret de l'instruction et le secret de l'enquête qui précédemment ne s'appliquaient pas aux avocats.
Mais si le secret professionnel est un principe absolu aux effets attractifs sur les autres domaines, c'est aussi une peau de chagrin, comme le prouvent quatre exceptions très polémiques.
Première exception : lorsque l'avocat est attaqué en justice par un ancien client, quel qu'en soit le fondement (recouvrement d'honoraires, violation d'une obligation de moyens ou de résultat), le secret professionnel est levé pour qu'il puisse se défendre (article 2.1 Règlement intérieur national in fine). Mais comment accepter que pour toute réponse à une question portant sur le recouvrement de ses honoraires, l'avocat puisse se justifier en alléguant que : « le dossier était très difficile puisque le client m'avait secrètement avoué sa culpabilité, tandis qu'il niait les faits au juge » ! ?
Deuxième exception : le fait justificatif exonératoire de responsabilité pénale. En matière de protection de l'enfance, l'article 216-13 du Code pénal qui punit la révélation d'une information à caractère secret n'est pas applicable (par une combinaison des articles 226-14 1° et 434-3 CP). Au bout du raisonnement, un cas de conscience est alors ouvert, que révèle une question systématiquement posée par les étudiants : « Vous êtes avocat. La veille du 11 septembre, Ben Laden vient vous trouver. Il vous expose son plan. Et il vous demande ce qu'il risque ». Réponse de l'avocat : « Je tente de l'en dissuader. Si je n'y parviens pas, je préviens mon Bâtonnier pour qu'il puisse alerter les autorités ». Il s'agit ici d'un fait justificatif moral sous couvert du Bâtonnier.
Troisième exception : la loi pénale oblige à lever le secret professionnel dans le cas de perquisitions (article 56-1 du Code de procédure pénale), à condition qu'une pièce du dossier révèle que l'avocat a participé ou tenté de participer à la commission d'une infraction (crim. 14 janvier 2003).
Quatrième exception : le Code monétaire et financier, sous la pression du droit communautaire et de la théorie de l'avocat « collaborateur » de la justice, contraint à la déclaration de soupçon en matière de blanchiment (article L.562-1 § 12). Cependant, l'obligation n'est requise que pour les montages juridiques, ce qui exclut l'activité judiciaire et l'activité de consultation de l'avocat. La déclaration de soupçon doit être transmise au Bâtonnier qui, lui seul, peut saisir Tracfin.
Face à cet état des lieux, le lobbying de la profession d'avocat apparaît absolument nécessaire pour préserver le secret professionnel. Nous pouvons être fiers de l'esprit de résistance dont à fait preuve l'Ordre des avocats de Paris.
D'abord la loi du 4 décembre 2000, intervenue sous le bâtonnat de Francis Teitgen, a sérieusement réglementé les perquisitions dans les cabinets d'avocats avec la mise en place des scellés fermés et d'une saisine du juge des libertés (JLD) dans le but de discriminer les pièces relevant du secret professionnel et ne pouvant être saisies, de celles révélant que l'avocat aurait pu participer ou tenter de participer à la commission d'une infraction et pouvant alors être saisies.
Ensuite, dans les affaires de blanchiment, la résistance de l'Ordre de Paris - sous les bâtonnats d'Yves Repiquet et de Christian Charrière-Bournazel - a été extrêmement efficace au point qu'en pratique, l'obligation de « déclaration de soupçon » n'intervient que s'il y a cumul d'infractions, c'est-à-dire lorsque l'avocat est complice de blanchiment par fourniture de moyens.
Enfin, à la suite de l'affaire dite France Moulin, l'Ordre des avocats de Paris et le Conseil National des Barreaux ont obtenu la réécriture de l'article 434-7-2 du Code pénal dans le sens de la caractérisation spéciale de l'élément intentionnel de l'infraction afin de ne poursuivre pénalement un avocat qu'au seul motif d'avoir voulu "entraver le déroulement des investigations ou la manifestation de la vérité" (loi du 12 septembre 2005).
Cependant, le combat doit être poursuivi. Voici la quatrième directive européenne et le dispositif règlementaire de transposition qui remettent sérieusement en cause le rôle d'interface du Bâtonnier entre les avocats et Tracfin.
En outre, deux jurisprudences récentes ont alerté la profession.
Une première décision de la Cour de cassation en date du 31 janvier 2012 a considéré que des enregistrements sauvages de conversations avocat / client pouvaient constituer une pièce à charge dans le cadre d'un dossier pénal - ce qui a justifié la proposition faite au mois d'avril 2012 par l'Ordre de Paris de modifier l'article 432 du Code de procédure pénale sur le régime de preuve en y ajoutant l'alinéa suivant : "la preuve ne peut résulter de l'enregistrement ou de la transcription des conversations entre un avocat et son client, que l'enregistrement ou la transcription soit ou non le fait de l'autorité publique".
Par ailleurs, le Conseil National des Barreaux s'est ému - à juste titre - d'un autre arrêt de la Cour de cassation en date du 22 septembre 2011, tout aussi contestable, qui a considéré que les correspondances avocat / bâtonnier n'étaient pas secrètes, ce qui pourrait conduire le CNB à proposer une nouvelle modification de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 visant à conférer à toutes les correspondances d'avocats le bénéfice du secret professionnel.
C'est aujourd'hui autour de la même question du secret professionnel, mais dans son acception anglo-américaine de legal privilege que la question de l'avocat en entreprise est suspendue à la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union Européenne du 14 septembre 2010, dite Akzo Nobel, qui ne reconnaît pas aux salariés, même juristes d'entreprise ou avocats en entreprise, le bénéfice d'un tel mécanisme.
Nous ne pouvons ainsi que constater à quel point le secret est non seulement l'un des fondements même du métier d'avocat, mais aussi l'un des enjeux de l'évolution de la profession. Il en va de l'indépendance professionnelle, d'où ce proverbe oriental : "le secret est ton esclave, mais si tu le libères, il devient ton maître".
Pierre-Olivier Sur et Laurent Martinet