Le Predec d’Ile de France annulé – Retour sur le jugement du tribunal administratif de Paris, en date du 9 mars 2017 par Jean-Olivier D’ORIA, Avocat associé, SMITH D’ORIA.
Les dispositions de l’article L. 541-14- 1 du code de l’environnement (abrogées par l’article 8 de la Loi NOTRE n° 2015-991 du 7 août 2015) étaient originairement issues de la loi n°2010-788 du 12 juillet 2010 complétée par l’ordonnance n°2010-1579 du 17 décembre 2010 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine des déchets.
Elles imposaient l’élaboration d’un plan de gestion des déchets issus des chantiers du bâtiment et des travaux publics.
Rappelons que le Predec avait été approuvé par le Conseil Régional d’Ile de France le 18 juin 2015 *.
Sur recours du Département du Val d’Oise, de l’UNED (Union Nationale des Exploitants de Déchets) et du Préfet d’Ile de France, le tribunal administratif de Paris a décidé de l’annulation de toutes les dispositions du Predec, en raison de plusieurs irrégularités de forme et de fond, évoquées ci-après.
Pour des motifs tenant à la sécurité juridique et à l’intérêt général, les dispositions du Predec ne sont toutefois annulées qu’à compter du 1 er janvier 2020, le temps pour la Région d’adopter un nouveau plan.
En revanche, les dispositions afférentes au moratoire de trois ans pour la création et l’extension des capacités de stockage des déchets inertes dans le Département de la Seine-et- Marne puis, à l’issue de cette période, soumettant les autorisations de nouvelles capacités de stockage de déchets inertes au respect d’un plafond de quatre millions de tonnes par an sont quant à elles annulées avec effet
immédiat.
De nombreuses irrégularités relevées par le juge administratif –
Le premier moyen d’annulation était tiré de l’irrégularité de l’arrêté fixant la composition de la commission consultative d’élaboration et de suivi du plan régional des déchets issus des chantiers du bâtiment et des travaux publics.
« Le juge administratif a sanctionné l’opacité dans la désignation des membres de la commission consultative d’élaboration et de suivi du plan régional. »
L’arrêté du Président du Conseil général d’Ile de France du 19 août 2011 fixant la composition de la commission consultative d’élaboration et de suivi du plan régional des déchets ne remplissait pas les conditions légales posées en matière (i) de composition de ladite commission et (ii) d’identification de ses membres. Notamment, il ne précisait pas le nom du représentant de l‘agence de
l’environnement et de la maîtrise de l’énergie et pas davantage celui des représentants des associations et organisations professionnelles choisies pour siéger dans ladite commission.
Le Tribunal a estimé que ce vice de forme était de nature à exercer une influence sur le sens de la décision prise par la commission et de priver les intéressés (le public) d'une garantie. En effet, les recommandations desdits membres étaient de nature à exercer une influence sur la rédaction du Predec. Le manque de transparence dans l’élaboration du plan et la prise de décision est ici sanctionné par le juge administratif, au nom de l’intérêt général.
A ce titre, le tribunal a jugé que l’absence d’identification des membres de la commission consultative et de suivi, s’agissant des élus, des représentants de la profession, des consommateurs et des associations de défense de l’environnement, caractérisait en soi l’existence d’une information insuffisante du public qui se trouvait privé d’une garantie de transparence, eu égard à l’importance
du rôle de cette commission.
Pour ce premier motif, c’est l’ensemble de la procédure d’adoption du Predec qui a été jugée irrégulière.
Le second moyen d’annulation visait à faire reconnaître par le Tribunal l’absence de réel avis émis par la commission de consultation et de suivi du plan régional des déchets issus des chantiers du bâtiment et des travaux publics.
« En absence de quorum valablement atteint, la commission n’a pu valablement délibérer le 8 octobre 2013 et aucun débat collégial ultérieur n’a été organisé, pour aboutir à l’avis requis de la commission. »
Faisant sien le moyen invoqué par les requérants, le tribunal a jugé que l’irrégularité de la consultation de la commission consultative et de suivi devait être regardée, eu égard à la nature de la délibération en cause, comme de nature à caractériser l’existence d’une information insuffisante du public, qui l’a privé d’une garantie.
Ce second motif était à lui seul suffisant pour entacher d’irrégularité l’ensemble de la procédure d’adoption du plan.
Le troisième moyen d’annulation était tiré de l’irrégularité de l’évaluation environnementale en l’absence d’articulation avec le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux du bassin Seine Normandie.
L’article R 122-20 du code de l’environnement, dans sa rédaction applicable, prévoyait que l'évaluation environnementale devait être proportionnée à l'importance du plan, schéma, programme et autre document de planification, aux effets de sa mise en œuvre ainsi qu'aux enjeux environnementaux de la zone considérée.
En l’espèce le rapport environnemental rendant compte de cette évaluation était lacunaire.
Conformément aux règles générales de droit public, les inexactitudes, omissions ou insuffisance d’un tel document n’étaient susceptibles de vicier la procédure et donc d’entraîner l’illégalité de la décision prise au vu dudit rapport que si elles avaient pu avoir pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles avaient été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative.
« La décision constitue la sanction d’une évaluation environnementale lacunaire, caractérisant une information incomplète de la population. »
A cet effet, le tribunal a relevé (i) que ledit rapport ne comportait aucun développement sur l’articulation du plan avec le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux du bassin Seine Normandie (lequel concerne la région d’Ile-de- France) et se bornait à rappeler la définition générale de ce type de schéma et (ii) que l’autorité environnementale avait mentionné, dans son avis, que l’articulation du plan avec le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux du bassin Seine-Normandie n’avait pas été présentée. Il n’en fallait pas davantage au tribunal pour conclure que l’absence de développements sur ce point avait eu pour effet de nuire à l’information complète de la population sur les effets potentiels des modalités existantes et envisagées de traitements des déchets en cause sur la ressource en eau.
Enfin, le quatrième moyen d’annulation était tiré de l’erreur de droit entachant les dispositions du Predec, en tant qu’elles instituaient un moratoire et un plafond de capacité pour l’ensemble du département de la Seine-et- Marne.
Le Tribunal relève que les dispositions du Predec relatives au moratoire avaient pour objet d’interdire de manière inconditionnelle, pendant une durée de trois ans, la création d’installations de stockage de déchets inertes dans l’ensemble du Département de Seine et Marne, lequel est le principal contributeur aux capacités régionales de stockage. A l’issue de cette période d’interdiction, le plan imposait par ailleurs une limitation absolue des capacités de stockage. Ce faisant, le juge administratif a jugé que les dispositions du Predec liaient la compétence de l’autorité pour délivrer les autorisations d’exploitation et d’extension des installations, motif qui justifiait en soi l’annulation pour erreur de droit du plan de prévention.
Une annulation aux effets limités –
La rétroactivité de l’annulation de la délibération du 18 juin 2015 par laquelle le conseil régional d’Ile-de-France avait approuvé le Predec aurait eu pour effet de compromettre le niveau de protection de l’environnement assuré sur l’ensemble de la région par la planification de la gestion des déchets concernés. Elle aurait en outre instauré un vide juridique faisant obstacle à la mise en œuvre des objectifs de planification des déchets et de protection de l’environnement fixés par l’Union européenne, alors qu’aucun plan similaire n’était en vigueur dans les départements franciliens avant 2015.
Au regard des critères qui déterminent, de manière générale, les conditions dans lesquelles le juge administratif peut faire usage de son pouvoir de modulation des effets d’une décision d’annulation, la prise en compte de ces risques a conduit le juge administratif à maintenir les effets des dispositions du Predec durant le délai nécessaire pour permettre à la Région Ile-de- France d’approuver un nouveau plan, dans les conditions définies par les nouvelles dispositions des articles L. 541-13 et L. 541-14 du code de l’environnement.
Compte tenu des caractéristiques de cette procédure d’élaboration engagée par la région, l’annulation de la délibération litigieuse ne prendra donc effet qu’à compter du 1er janvier 2020.
Cet absence d’effet rétroactif ne s’applique toutefois pas aux dispositions qui imposaient un moratoire de trois ans pour la création et l’extension des capacités de stockage des déchets inertes dans le département de la Seine-et- Marne puis, à l’issue de cette période, soumettaient les autorisations de nouvelles capacités de stockage de déchets inertes au respect d’un plafond de quatre millions de tonnes par an.
Sur ces dispositions précises du Predec, le tribunal a en effet estimé que leur annulation immédiate ne compromettait pas les objectifs de protection de l’environnement ni qu’elle aurait pour effet de porter atteinte au respect du principe de sécurité juridique, eu égard aux droits des demandeurs d’autorisations d’exploitations d’installations de stockage de déchets.
A noter que la Région Île-de- France a décidé de faire appel de ce jugement. Toutefois, un nouveau plan régional de prévention et de gestion des déchets qui doit voir le jour en 2019 et sera appelé à remplacer les dispositions existantes.
Jean-Olivier D’ORIA, Avocat associé, SMITH D’ORIA
________________
NOTE
*https://www.iledefrance.fr/sites/default/files/predec_adopte_en_juin_2015.pdf