Cinq ans après la diffusion des clichés volés de la duchesse de Cambridge présentée seins nus au monde entier, le procès contre le magazine Closer s’est enfin tenu le 5 septembre 2017. Qu’en est-il de la protection de la vie privée des personnes de notoriété publique de part et d’autre de la Manche ?
En 1976, la Cour européenne des Droits de l’Homme avait sacralisé la liberté d’expression, la considérant comme « l’un des fondements essentiels » d’une société démocratique valant aussi pour les informations qui « heurtent, choquent ou inquiètent ».
Mais cette liberté d’expression bénéficie-t- elle de la même sacralisation dès lors qu’elle heurte la vie privée de la famille royale ? Les héritiers de la Couronne britannique répondraient sûrement par la négative depuis la publication en 2012 d’une photographie de Kate Middleton, seins nus, alors que le couple séjournait paisiblement en France. L’affaire qui l’a opposée au magazine Closer a été jugée au Tribunal de Nanterre le 5 septembre 2017.
Ce procès est l’occasion de revenir sur la protection de la vie privée des personnes de notoriété publique, et notamment de comparer les systèmes juridiques anglais et français à ce sujet.
C’est sur l’article 226-1 du Code pénal, prévoyant une peine d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende pour avoir volontairement porté atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui, que le Tribunal correctionnel de Nanterre a condamné la directrice de la rédaction de Closer, Laurence Pieau, ainsi que de son directeur de publication, Ernesto Mauri, à 45 000 euros d’amende. Les deux photographes, niant toute implication, ont chacun écopé de 10 000 euros d’amende. Enfin, 100 000 euros de dommages et intérêts ont été attribués au couple princier qui réclamait 1,5 million d’euros.
Condamnation maximale donc pour Closer, dans une affaire ayant ébranlé la Couronne britannique. Sommes-nous dès lors revenus à une société ultra-protectrice de la vie privée, sacrifiant la liberté de communication, l’un des « droits les plus précieux de l’homme » ? Le droit français est-il plus protecteur que le système anglo-saxon en la matière ?
Les révélations parfois sulfureuses des tabloïdes anglais et la protection bien gardée de la vie privée en France (rappelons la complicité des médias pour cacher la fille de l’ancien président de la République F. Mitterrand), laisseraient penser que la vie privée bénéficie d’une meilleure protection en France. Mais l’adhésion des deux Etats à la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales les contraint d’adopter les mêmes critères, à savoir, l’intérêt légitime du public.
Toutefois, l’appréciation de ce critère diffère sensiblement de part et d’autre de la Manche. Si le juge français penche souvent en faveur du respect de l’intimité, au Royaume-Uni, le « public interest » bénéficie d’une interprétation large et sera justifié pour une information relative à une personne publique. Cette tendance est cependant en passe de s’inverser : rappelons le scandale médiatique en 2012 à l’encontre de Dominique Strauss-Kahn où la presse française s’est laissée aller à de multiples révélations, comparé à la préservation de l’intimité de la famille royale depuis le décès de Lady Di.
Ainsi, afin d’harmoniser le principe de proportionnalité, la Cour européenne a établi cinq critères afin de trouver le juste équilibre entre protection de la vie privée et liberté d’information : contribution à un débat d’intérêt général ; notoriété de la personne visée et objet du reportage ; comportement antérieur de la personne concernée ; mode d’obtention et véracité des informations ; contenu, forme et répercussions de la publication ; gravité de la sanction imposée.
Sur le fond donc, peu de réelle discordance entre la France et le Royaume-Uni. S’agissant des moyens de recours et des sanctions mises en place, notons que le Royaume-Uni se distingue par l’absence de recours pénal pour violation de la vie privée, quoique la victime puisse saisir un organe de régulation de la presse pouvant infliger des sanctions financières allant jusqu’à 1 million de livres.
Toujours est-il que la pertinence et l’efficacité des réparations allouées aux victimes, de même que les sanctions imposées aux organes de presse, restent douteuses. La publication d’informations litigeuses sera toujours plus avantageuse comparée au risque des sanctions encourues.
En somme, si la France et le Royaume-Uni possèdent un même niveau de protection de la vie privée, le comportement de la presse de part et d’autre de la Manche et la notion de « public interest » au Royaume-Uni, changent la donne. Quoiqu’il en soit, les sanctions dissuadent peu les organes de presse. Il semblerait donc que les informations qui « heurtent, choquent ou inquiètent » puissent encore un temps se prévaloir de cette liberté d’expression sacralisée, que l’on soit Anglais ou Français.
Neil Robertson – avocat associé chez Bignon Lebray