Axel Pivet, avocat associé chez Carakters, nous offre ici son point de vue sur l'introduction du préjudice écologique dans le Code civil.
Deux propositions de loi ont été déposées, l’une au Sénat et quelques mois après à l’Assemblée, en des termes identiques, prévoyant de créer un nouvel article 1382-1 dans le code civil, ainsi libellé : "Tout fait quelconque de l'homme qui cause un dommage à l'environnement, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. La réparation du dommage à l'environnement s'effectue prioritairement en nature".
Le naufrage de l’Erika et la procédure judiciaire qui a suivi a permis de faire émerger la notion de préjudice écologique et certains ont voulu le graver dans le marbre en l’inscrivant au Panthéon de notre droit, le code civil.
La prétendue nécessité de cette réforme, au regard des éléments de droit positif déjà existants, laisse perplexe.
La Charte de l’environnement signée en 2004, entrée dans le bloc de constitutionnalité en 2005, prévoit en ses articles 3 et 4 les principes de prévention et de réparation des atteintes portées à l’environnement.
Est-ce parce que ces articles renvoient à la loi ordinaire ("dans les conditions prévues par la loi") que le parlement s’estime obligé de créer un nouveau texte ? L’initiative parait discutable.
On peut ainsi citer, sans être exhaustif, la loi du 1er août 2008 qui a inséré un Titre VI dans le code de l’environnement relatif à la prévention et à la réparation de certains dommages à l’environnement et qui consacre déjà le principe de pollueur payeur.
De même l’article L. 218-19 du code de l’environnement réprime spécifiquement l’infraction de rejet polluant par les navires, par imprudence ou inobservation des lois et règlements, et prévoit une circonstance aggravante en cas de dommage irréversible ou d’une particulière gravité à l’environnement.
Dans l’arrêt du 25 septembre 2012 rendu dans l’affaire Erika, la chambre criminelle de la Cour de cassation a reconnu l’existence d’un préjudice écologique consistant en l’atteinte, directe ou indirecte, portée à l’environnement et résultant de l’infraction de pollution involontaire sur le fondement de ces mêmes textes.
Dès lors, faire entrer le préjudice écologique dans le code civil peut sembler surnuméraire, a fortiori au regard de la place consacrée à ce nouvel article.
En effet, ce texte se placerait après l’article 1382 qui définit le principe de la responsabilité du fait personnel fondée sur la faute, tandis que l’article 1383 envisage l’engagement de responsabilité sans faute, par négligence ou imprudence.
Cette place dans le code civil, comme la formulation du texte qui reprend exactement celle de l’article 1382, revient donc à exclure explicitement la réparation du dommage écologique causé par négligence ou imprudence, sans qu’une faute ne soit caractérisée.
L’incohérence est ici manifeste au regard des textes déjà existants et du but affiché, sachant que les auteurs des propositions de loi reprochent au droit positif d’être encore trop faible au regard des objectifs fixés, d’application trop restreinte et contenant trop de cas d’exclusion.
Le projet de texte parait d’autant plus fragile et exclusif, moyen manifestement idéal pour enterrer le préjudice écologique sous couvert de le sanctifier.
A moins que ce ne soit délibéré…
Axel Pivet, avocat associé chez Carakters