Bail commercial et congé : tentative de simplification

Décryptages
Outils
TAILLE DU TEXTE

Nathalie Drouhot, Avocate à la CourNathalie Drouhot, Avocate à la Cour, nous propose un retour sur la loi du 22 mars 2012 qui est venue clarifier le délai de préavis à respecter scrupuleusement pour que le congé délivré d'un bail commercial soit valable et libère efficacement locataire et bailleur de leurs engagements contractuels.

Le statut des baux commerciaux édicte de nombreuses dispositions impératives, notamment en ce qui concerne la durée minimale du bail, qui doit être de 9 ans. A l’issue de cette durée, quelle est la situation des parties au contrat et quelles exigences doivent-elles suivre concernant un éventuel congé ? Retour sur la loi du 22 mars 2012, qui est venue clarifier le délai de préavis à respecter scrupuleusement pour que le congé délivré soit valable et libère efficacement locataire et bailleur de leurs engagements contractuels.


Le locataire régulièrement bénéficiaire d’un bail commercial qui souhaite quitter les locaux loués doit s’interroger sur les conditions à respecter avant de délivrer son congé. De même, s’agissant du bailleur désireux de reprendre possession de son bien immobilier à l’issue des 9 ans, ce qu’il est parfaitement libre de faire sauf à devoir indemniser le preneur évincé. Le délai de préavis est l’une de ces conditions, dont la mise en œuvre peut s’apparenter à une véritable chausse-trappe. Nombreux sont en effet les contentieux en la matière, véritable facteur d’insécurité juridique.

 

Le délai du congé : simplification

Longtemps, la référence aux usages locaux, combinée à un délai de prévenance de six mois, s’est imposée, qui plongeait les malheureux locataires et bailleurs, mais aussi le praticien, dans des abîmes de perplexité. Survivance de l’Ancien Régime, qui adaptait le temps du bail aux moissons et jachères, elle imposait de s’inquiéter de l’histoire et des coutumes locales.
La Loi de Modernisation de l’Economie (connue sous le sigle "LME") du 4 août 2008 avait opéré un premier dépoussiérage et tenté de faire entrer le statut du bail commercial dans le 21e siècle, en abandonnant cette référence aux usages locaux, certes charmante et folklorique mais quelque peu désuète et surtout inadaptée, pour sa complexité et sa variabilité, aux impératifs du monde moderne.
Soulagement donc, puis consternation puisque le législateur facétieux, tout en confirmant le délai de prévenance de l’ancien texte, avait cru bon d’y ajouter une référence nouvelle : le congé devait dorénavant être donné "pour le dernier jour du trimestre civil et au moins six mois à l’avance" (ancien article L.145-9 du Code de commerce).

Cette mention d’apparence anodine et simple avait suscité bon nombre d’interrogations et de doutes : cette date du "dernier jour du trimestre civil" s’appliquait-elle lors des deux premières échéances triennales, ou bien à l’échéance finale du bail, ou au contraire uniquement dans le cas d’un congé donné après cette échéance contractuelle, au cours de la tacite prolongation ?

Cafouillages et interrogations qui ont fini par émouvoir le législateur, enfin compatissant. A l’occasion de la loi n° 2012-387 relative "à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives" du 22 mars 2012, il a donc eu l’heureuse idée de clarifier et préciser, une fois pour toutes, le délai de prévenance à respecter lors du congé.

 

Deux situations principales doivent désormais être distinctement envisagées :


1/ Congé donné lors de la vie du bail, à l’occasion d’une échéance triennale :
Le congé devra être donné pour la date anniversaire du bail, au moins six mois avant, et peu importe que cette date ne corresponde pas avec la fin d’un trimestre civil. Ainsi, s’agissant des deux premières échéances triennales, le preneur désireux de mettre fin par anticipation au bail en cours (ce que le bailleur ne peut faire) n’aura à respecter que ce délai minimum de six mois avant l’échéance du bail, sans tenir compte du trimestre civil. De même pour la dernière échéance triennale, où le locataire comme le bailleur devra délivrer son congé en fonction de cette seule date anniversaire. A titre d’exemple, s’agissant d’un bail dont l’échéance contractuelle est le 31 mai 2013, le congé devra être délivré avant le 1er décembre 2012 pour le 31 mai 2013, même si cette date ne coïncide pas avec une fin de trimestre civil.

2/ Congé donné en dehors de l’une de ces échéances, lors de la tacite prolongation du bail :
Passé le terme contractuel, la situation est autre. Il faut alors cumuler deux éléments temporels (délai de préavis et date butoir). Le congé devra être donné, toujours au moins six mois à l’avance, mais cette fois pour le dernier jour du trimestre civil. Pour reprendre notre exemple du bail à échéance du 31 mai 2013, faute d’agir avant le 1er décembre 2012, le congé pourra être signifié soit au cours des six mois précédant le terme du contrat, soit ultérieurement, mais toujours en respectant cette référence trimestrielle, déconnectée de la date anniversaire du bail : un congé délivré par exemple fin février 2013 ne pourra prendre effet que le 30 septembre suivant.

La situation est donc enfin clarifiée.

 

Les modalités du congé

Rappelons que, dans tous les cas, quel que soit le moment ou l’auteur, le congé devra impérativement être donné "par acte extrajudiciaire", comme le dit la loi, c’est-à-dire signifié par acte d’huissier. Et ce, même si le bail prévoit, comme on le rencontre parfois, une simple lettre recommandée avec accusé de réception. S’en tenir à la lettre du bail en oubliant l’ordre imposé par la loi, et c’est la nullité assurée…
Cette nullité du congé conduirait à repartir pour un nouveau tour de trois années (dans le cas d’un congé donné en cours de bail) ou de six mois supplémentaires (dans le cas d’un congé donné au cours de la tacite prolongation), avec l’obligation consécutive pour le locataire de continuer à assurer au bailleur, durant cette nouvelle période, le paiement du loyer et des charges mais aussi de respecter l’ensemble des obligations du bail (travaux, etc…) .

 

La situation du bail arrivé à son terme : clarification

Que se passe-t-il lorsque ni le bailleur ni le locataire ne se manifeste à l’arrivée du terme du bail, que ce soit par un congé ou par une offre (ou demande) de renouvellement ?
La loi parlait jusqu’alors de tacite "reconduction", terme peu adapté et source de confusion qui pouvait laisser croire à un nouveau bail. Or, contrairement au bail d’habitation qui, parvenu à son terme et faute de congé, est reconduit (c‘est-à-dire qu’un nouveau contrat se forme), il n’y a précisément pas de renouvellement automatique du bail commercial expiré.
Pour mettre fin à cette ambiguïté, le législateur de 2012 a suivi les recommandations des praticiens et la loi parle désormais clairement de "prolongation" du bail, et non plus de "reconduction". En l’absence de congé ou de demande de renouvellement, le bail parvenu à son échéance contractuelle (la dernière échéance triennale) ne s’éteint pas mais se prolonge tacitement au-delà du terme fixé par le contrat et ce, pour une durée indéterminée.
Au cours de cette tacite prolongation, et faute de nouveau bail, ce bail simplement prolongé pourra (comme nous l’avons vu) être interrompu par l’une ou l’autre des parties à la fin d’un trimestre civil, moyennant un préavis d’au moins six mois.
Rappelons que durant cette période, à défaut de congé du bailleur, le preneur peut à tout moment solliciter le renouvellement de son bail…ce qu’il a tout intérêt à faire avant d’atteindre douze ans s’il veut éviter un déplafonnement automatique de son loyer.

 

En complément :

En présence d'époux co-bailleurs, le congé du preneur doit être délivré à chacun d'eux. Il en est de même en cas de bail consenti par des propriétaires indivis (sauf mandat donné à l'un d'eux). Le congé délivré à un seul co-bailleur ou à un seul coïndivisaire n’opère pas valablement et équivaut à une absence de congé, sans régularisation possible.
Enfin, lorsque les locaux loués appartiennent à un usufruitier et à un nu-propriétaire, le locataire doit impérativement adresser sa demande de renouvellement à chacun d’entre eux. L'usufruitier ne peut en effet pas consentir un bail commercial (nouveau ou en renouvellement) sans le concours du nu-propriétaire.

 

Nathalie Drouhot, Avocate à la Cour


Lex Inside - L’actualité juridique - Émission du 15 novembre 2024 :

Lex Inside - L’actualité juridique - Émission du 13 novembre 2024 :

Lex Inside - L’actualité juridique - Émission du 8 novembre 2024 :