La charge de l'erreur du juge

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Brigitte Charles-Neveu, associée Selarl Neveu Charles & AssociésBrigitte Charles-Neveu, avocate au Barreau de nice chez Selarl Neveu Charles & Associés, nous propose son point vue quant aux à la charge à supporter par les parties en cas d'erreur du juge.

1. Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile : "Comme il est dit au I de l'article 75 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation."
L’article L 761-1 du code de justice administrative comporte des dispositions analogues.

Comme pour les dépens, la condamnation aux frais irrépétibles suit la succombance, c'est-à-dire pèse sur celui qui perd son procès.


2. Le fondement de ces dispositions – qui ne se confondent pas avec les dommages et intérêts sanctionnant une procédure abusive – ne serait pas la faute, mais plutôt le droit d’accès à la justice. (1)

L’équité s’entendrait ici de la prise en compte de la situation économique de la partie condamnée permettant au juge – dont l’appréciation est souveraine – de moduler le montant de l’indemnité, voire de la refuser.

L’expérience montre que les condamnations au titre de l’article 700 CPC (comme de l’article L 761-1 du CJA) sont très fréquemment prononcées, et ce, devant chaque catégorie de juridictions.


3. Ainsi par exemple, si une partie engage un procès qu’elle perd en première instance, elle peut être condamnée à régler à celui qu’elle a cité en justice – pour autant qu’il en ait fait la demande - une indemnité sur les dépenses qu’il aura été contraint d’exposer, lesquelles ne sont donc pas répétibles (remboursables).

Si elle décide de relever appel du jugement et obtient sa réformation, c’est elle qui pourra se voir octroyer une indemnité au titre des frais irrépétibles, même si la réformation est motivée par l’erreur du premier juge.

Si à l’inverse elle se trouve déboutée de son appel, elle pourra se voir à nouveau condamnée à une indemnité pour compenser les dépenses exposées par son adversaire. Mais elle pourra introduire un pourvoi en cassation. Si ce pourvoi aboutit à une cassation de l’arrêt attaqué, la Cour de Cassation pourra à son tour allouer – ce qu’elle n’hésite pas à faire – une indemnité sur le fondement de l’article 700…

Or, s’il y a cassation, c’est parce que le juge d’appel a violé la loi, excédé ses pouvoirs, outrepassé sa compétence, insuffisamment motivé sa décision, etc., … En d’autres termes, c’est parce que le juge d’appel a mal jugé. (2)


4. Il est vrai que l’exercice des voies de recours constitue le traitement normal des erreurs de justice.

Est-il satisfaisant cependant que l’indemnité allouée au titre des frais irrépétibles pèse sur le plaideur qui avait d’abord obtenu satisfaction devant un juge, alors même que les motifs de réformation ou de cassation seraient tirés des erreurs de fait ou de droit commises par celui-ci ?

Certes, la décision de réformation ou de cassation peut estimer inéquitable de condamner la partie perdante, mais la prise en considération de l’erreur du juge ne figure pas au nombre des critères d’appréciation de l’opportunité de prononcer ou non une condamnation au titre de l’article 700 du CPC (ou L 761-1 du CJA).

Ces textes aboutissent donc dans un certain nombre d’hypothèses à faire supporter aux parties la charge de l’erreur commise par le juge.

Il pourrait sembler équitable que cette indemnité fut mise à la charge du Trésor Public, comme c’est le cas des dépens en matière de rectification d’erreur matérielle, interprétation et omission de statuer (article R 93 10° du code de procédure pénale) plutôt que du justiciable…


5. Peu d’auteurs se sont émus de l’absence de réflexion sur les erreurs en justice, leur fréquence, leurs catégories, leurs conséquences, tant humaines qu’économiques, et, surtout, leur traitement (3)

L’avocat se doit cependant d’intégrer cet élément à la fois dans le conseil qu’il donne à son client, et dans le choix de sa conduite du dossier (4).


Il reste que le justiciable peine parfois à admettre qu’après avoir obtenu condamnation de son adversaire il doive quelques mois (ou années) plus tard passer de la condition de gagnant à celle de perdant, et ainsi de suite, au gré de l’exercice des différentes voies de recours.

Les condamnations accessoires aux dépens et aux frais irrépétibles – parfois très lourdes – participent certainement de cette incompréhension.


Brigitte Charles-Neveu, avocate au Barreau de nice chez Selarl Neveu Charles & Associés


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NOTES

(1) Article 604 du code de procédure civile : le pourvoi en cassation tend à faire censurer par la Cour de Cassation la non-conformité du jugement qu’il attaque aux règles de droit.
(2) Bulletin d’information de la Cour de Cassation n° 160 du 15.12.2004
(3) Christian Atias, Entretiens de la Citadelle 2008, L’erreur judiciaire en copropriété
(4) Christian Atias, L’erreur grossière du juge, Dalloz 1998 n° 29


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