Pauline Dufourq, Avocate, revient les derniers enseignements relatifs à l’articulation des procédures fiscales et judiciaires en matière de lutte contre la fraude fiscale.
Le 23 octobre 2018, la représentation nationale a adopté une nouvelle loi relative à la lutte contre la fraude fiscale. Cette loi vise à élargir le champ d’intervention de l’autorité judiciaire en matière de fraude fiscale et à définir les contours des missions respectives des autorités fiscales et judiciaires.C’est dans la continuité de l’adoption de cette loi qu’une circulaire d’application a été édictée le 7 mars 2019 par la direction générale des finances publiques et la direction des affaires criminelles et des grâces. Ce texte vient clarifier les différentes prévisions de la loi contre la fraude en précisant les contours des poursuites pénalesen matière de fraude fiscale ainsi que les mesures visant à assurer le renforcement de la coopération entre l’administration fiscale et la Justice en matière de lutte contre la fraude fiscale.
Les incidences de la suppression partielle du verrou de Bercy
L’un des principaux apports de cette loi est la suppression partielle du verrou de Bercy. Une telle mesure se traduit en pratique par la dénonciation obligatoire des affaires aux procureurs de la République dont les montants sont supérieurs à 100.000 euros et donnant lieu à certaines pénalités administratives visées par l’article 36 de la loi du 23 octobre 2018,publique sans pour autant qu’aucune plainte préalable de l’administration fiscale ne soit nécessaire.Une exception est néanmoins envisagée, le dispositif de dénonciation obligatoire n’est pas applicable aux contribuables ayant déposé spontanément une déclaration rectificative.
Si les conditions précédemment évoquées sont manquantes, le principe de la plainte préalable sur avis conforme de la Commission des infractions fiscales (« CIF ») est maintenu pour que l’autorité judiciaire puisse engager des poursuites.
Sur ce point,le Conseil constitutionnel impose ainsi le respect du principe de proportionnalité lors de la conduite en parallèle de procédures diligentées par l’administration fiscale et judiciaire comme en témoigne l’attendu de principe suivant : « Si l'éventualité que deux procédures soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues. »
L’administration fiscale dispose par ailleurs de la possibilité de déposer directement plainte sur présomption caractérisée de fraude fiscale dans l’hypothèse notamment « d’une domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l’étranger » ou encore en présence de « manœuvre destinée à égarer l’administration ».
Les nouveaux contours du dispositif de transaction fiscale
Sous l’empire de l’ancien droit, l’article L.247 LPF interdisait à l’administration fiscale de transiger lorsqu’elle envisageait de mettre en mouvement l’action publique en raison de la constatation d’une infraction prévue par le code général des impôts (« CGI »). En conséquence, la transaction fiscale était impossible lorsqu’une procédure pénale était déjà engagée, elle empêchait en outre tout déclenchement ultérieur de l’action publique.
Suite à l’adoption de la loi du 23 octobre 2018 une telle interdiction fut levée. Désormais la cohabitation entre transaction fiscale, laquelle concerne uniquement les pénalités et non l’impôt éludé, et la poursuite au pénale du même contribuable est permise. La circulaire précise sur ce point que la conclusion d’une transaction avec l’administration fiscale n’exclut pas la dénonciation obligatoire des faits concernés. De surcroit, l’administration fiscale dispose de la possibilité de transiger même si les faits ont été dénoncés au parquet, si une plainte pénale a été déposée ou si le ministère public a engagé des poursuites. Il est ainsi prévu que : « la transaction administrative, dont l’autorité judiciaire sera informée pour les procédures qui lui sont transmises, est sans incidence sur l’action publique, le procureur de la République demeurant libre de procéder ou non à tout acte de poursuite. »
Réflexion autour de l’articulation des dispositifs de transaction fiscale et de poursuites négociées
En principe, les faits reconnus par un prévenu devant le juge pénal dans le cadre d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (« CRPC ») s’imposent au juge de l’impôt. Dès lors, le contribuable qui a recours à une mesure de CRPC ne pourra se dédire devant le juge de l’impôt.
Reste la question de l’incidence d’une mesure de convention judiciaire d’intérêt public (« CJIP ») sur une transaction fiscale. Plusieurs questions animent la doctrine depuis sa consécration dans notre arsenal juridique. Tout d’abord se pose la question de savoir si le paiement de l’impôt éludé et de la majoration appliquée est une condition sine qua non de la validation de la CJIP ? Une réponse négative semble pouvoir être apportée, en effet bien que la fraude fiscale n’ait pas été initialement prévue dans le domaine d’application de la CJIP, l’article 41-1-2 du Code de procédure pénale n’envisage pas une telle question.
Parallèlement, des praticiens se sont intéressés à la question de savoir si le montant des pénalités fiscales, encouruesou effectivement prononcées, devait être pris en compte dans la fixation de l’amende transactionnelle. Si aujourd’hui la loi et la jurisprudence internes sont muettes à ce sujet, l’étude de la jurisprudence européenne est susceptible d’éclairer une telle situation. Dans un arrêt du 15 novembre 2016 n°24130/11 et n°29758/11. A et B c. Norvège,la Cour de Strasbourg indique que si le principe non bis in idem n’a pas été violé par la conduite, à la suite d’une fraude fiscale d’une procédure administrative et d’une procédure pénale, elle précise que « la sanction imposée à l’issue de la procédure arrivée à son terme en premier a été prise en compte dans la procédure qui a pris fin en dernier, de manière à ne pas faire porter pour finir à l’intéressé un fardeau excessif, ce dernier risque étant moins susceptible de se présenter, s’il existe un mécanisme compensatoire conçu pour assurer que le montant global de toute les peines prononcées est proportionné. ». Cet argument jurisprudentiel militerait ainsi en faveur de l’instauration d’un mécanisme de concertation entre les autorités judiciaires et administratives, ce qui ne semble pas avoir été pris en compte par le législateur.
La question de l’autorité de la chose jugée et du sursis à statuer dans le cadre de ces procédures
En ce qui concerne tout d’abord la question de l’influence de la chose jugée au pénal sur la décision du juge fiscal. Il convient de préciser à titre liminaire que la décision pénale n’a pas autorité de la chose jugée en matière fiscale. Dès lors, le juge de l’impôt n’est pas tenu par la qualification juridique retenue par le juge pénal, ni par les conséquences qu’il en a tirées. Néanmoins, les faits constatés par le juge pénal s’imposent au juge de l’impôt comme matériellement exacts comme en témoigne un arrêt du Conseil d’État (CE Thomasdu 16 février 2018 n°395371). Le principe selon lequel le « criminel tient le civil en l’état » n’a pas vocation à s’appliquer en matière fiscale ; dès lors le juge de l’impôt peut parfaitement sursoir à statuer dans l’attente d’une décision qui serait pendante devant le juge pénal.
Réciproquement, se pose la question de l’autorité de la chose jugée par le juge fiscal sur la décision du juge pénal. La décision du juge fiscal n’a en principe pas autorité de la chose jugée en matière pénale. Toutefois les QPC n°2016-545 et 2016-546 sont venues dégager une exception, au terme de laquelle le contribuable qui a été déchargé de l’impôt par une décision définitive et pour un motif de fond ne peut pas être condamné pour fraude fiscale.
Dès lors, il semblerait que rien n’oblige le juge pénal à surseoir à statuer lorsque la procédure est pendante devant le juge de l’impôt, ce qui peut potentiellement aboutir à une contradiction entre les deux décisions définitives. Une telle contradiction ne pourrait être résolue que par une procédure en révision de la décision pénale. La défense de Guy Wildenstein avait tenté de démontrer que le juge pénal saisi de poursuites fondées sur le Code général des impôts était tenu de surseoir à statuer dans l’attente d’une décision définitive du juge de l’impôt quant à la réalité du redressement. Le tribunal tout en reconnaissant le caractère sérieux du fondement de cette demande de sursis n’avait malheureusement pas fait droit à cette dernière (TGI Paris, 32èmech correctionnelle, 12 janvier 2017 n°11203092066).
Pauline Dufourq, Avocate