Censure par le Conseil constitutionnel des mesures phares de la loi « Avia » contre les contenus haineux sur internet

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Depuis ses débuts, la loi Avia visant à lutter contre la propagation du discours de haine sur internet est très controversée car elle impose des responsabilités trop lourdes sur les opérateurs d’une part et censure l’expression des utilisateurs de l’autre. Gaëtan Cordier, Vincent Denoyelle (associés) et Anna Klein (collaboratrice) du cabinet Eversheds Sutherland reviennent sur la décision du Conseil constitutionnel rendue le 18 juin dernier à son égard.

Dans une décision du 18 juin 2020 n°2929-801 DC, le Conseil constitutionnel a jugé que les mesures phares de la loi Avia, constituaient une violation disproportionnée de la liberté d’expression.

La constitutionnalité des restrictions à la liberté d’expression

Contrairement aux Etats-Unis où l’état ne peut pas émettre de restriction sur le contenu du discours, la liberté d’expression peut connaitre des restrictions au sein des pays membres de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) lorsque cela est nécessaire pour protéger les intérêts fondamentaux d’une société démocratique notamment la sécurité, l’ordre public ou les droits d’autrui (article 10 CEDH).

En France, l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (DDHC), qui protège constitutionnellement la liberté d’expression, prévoit explicitement la possibilité de la limiter législativement, conformément à l’article 34 de la Constitution qui donne pouvoir au législateur d’encadrer les libertés fondamentales.

La loi Avia n’est d’ailleurs pas la première en France à poser législativement des restrictions à la liberté d’expression, y compris contre le discours de haine, comme notamment la loi Gayssot n°90-615 du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe.

Toutefois, comme le rappelle le Conseil Constitutionnel dans son communiqué de presse, « les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi. »

La régulation du discours sur internet

Issu de la tendance Américaine d’une modération du discours par les acteurs privés, il est commun de voir des limites à la liberté d’expression imposées par les acteurs d’internet dans des « charte de bons usages ».

Ces limites posées par les opérateurs (réseaux sociaux et moteurs de recherches du fait de leur rôle actif dans l’accélération de la diffusion de contenus en ligne) sont toutefois plus ou moins discrétionnaires. Le discours de haine risque de ne pas être suffisamment modéré et inversement une modération excessive porterait atteinte à la liberté d’expression.

La loi Avia avait pour intérêt de rendre à l’état son rôle de régulateur comme garant de l’intérêt général, et d’encadrer la modération opérée par les opérateurs. Aujourd’hui, les réseaux sociaux sont un médium principal d’expression, mais aussi un foyer de propagation du discours de haine ; l’encadrement législatif y est donc légitime.

Le risque d’atteinte excessive à la liberté d’expression

Toutefois, la loi Avia n’a pas su remplir ce rôle d’encadrement ; elle propose une définition du discours de haine avec un champ d’application qui, bien qu’ayant été réduit progressivement jusqu’à l’adoption, reste très large et imprécis.

De plus, le critère déterminant pour la mise en œuvre du dispositif est le caractère « manifestement illicite » du discours. Ce critère flou et subjectif ne permet pas de tracer la frontière de la licéité, notamment selon le contexte par exemple si le discours est humoristique. Cela relève de l’appréciation in concreto du juge.

Or la mesure phare du dispositif prévoyait un retrait par les opérateurs de tout contenu haineux de ses plateformes dans un délai maximum de 24h à réception de la notification de signalement d’un contenu illicite. Pour les contenus à caractère terroriste ou pédopornographique signalés par la police, le délai de retrait prévu était même de 1h. Ces délais très courts ne laissent la marge pour aucun recours judiciaire ou administratif, ni pour une consultation sur le caractère manifestement illicite du propos en question.

Malgré le caractère subjectif de la qualification, les opérateurs doivent assumer seuls la tache complexe de trouver la parfaite balance entre ne pas censurer excessivement les utilisateurs et supprimer infailliblement tout discours de haine. De plus, en cas de manquement à ses obligations, l’opérateur encourt des sanctions allant jusqu’à 4% de son chiffre d’affaire global.

Ainsi afin d’éviter des sanctions très élevées, les opérateurs risquaient de supprimer les contenus excessivement, et cela sans procéder à une réelle analyse juridique des discours en question notamment du fait du délai extrêmement court qui leur été imparti.

L’inconstitutionnalité des mesures phares de la loi Avia

Le Conseil constitutionnel a donc jugé que le dispositif de retrait sous 24h prévu dans la loi adoptée porte une atteinte à la liberté d’expression qui « n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée », exigeant donc sa suppression.

Les dispositions de transparence et de coopération avec la justice sont également annulées car leur mise en œuvre était liée au reste du dispositif.

Au final, il ne reste plus que des dispositions accessoires, comme l’obligation pour les opérateurs de simplifier la procédure de signalement d’un contenu illicite, ainsi que la création d’un parquet spécialisé et d’un observatoire de la haine en ligne auprès du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel.

Gaëtan Cordier, Vincent Denoyelle (associés) et Anna Klein (collaboratrice) du cabinet Eversheds Sutherland


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