Avocat et handicap : à quand les réels changements pour un exercice normal de la profession ?

Décryptages
Outils
TAILLE DU TEXTE

En 1987, Jacques Dutronc chante « Mais qui se soucie de nous », pour dénoncer les écarts entre les beaux discours et les actions concrètes des politiciens. 1987, c’est aussi l’année : de la promulgation de la loi instituant l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés (OETH ; L. n°87-517 du 10 juillet en faveur de l'emploi des travailleurs handicapés ) ; de la création de l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH) ; et du remplacement de l'appellation « débile mental », utilisée dans les textes officiels et administratifs, par celle de « déficient intellectuel ». Est reconnue comme travailleur handicapé, « toute personne dont les possibilités d'obtenir ou de conserver un emploi sont effectivement réduites par suite de l'altération d'une ou plusieurs fonctions physique, sensorielle, mentale ou psychique » (C. trav., art. L. 5213-1). L’enjeu d’une telle reconnaissance ? Faciliter l’insertion des personnes en situation de handicapdans le monde du travail. Longtemps perçu comme un mauvais élève dans le domaine de l’inclusion, de l’employabilité des personnes en situation de handicap, le monde de l’avocature semble s’être enfin engagé. Entre prise de conscience et douce évolution, il reste encore quelques obstacles à franchir avant que les avocats en situation de handicap puissent pleinement exercer. Explications.

Le 12 juillet 2018 est signé l’engagement national « Cap vers l’entreprise inclusive 2018-2022 » avec pour objectif que la création d’emplois dans les entreprises adaptées passe de 40 000 à 80 000 d’ici 2022. En novembre 2018, Me Olivier Cousi et Me Nathalie Roret annoncent dans leur programme de campagne de « veiller à ce que les confrères en situation de handicap puissent exercer leur mission dans les meilleures conditions ». Les 12 et 13 octobre 2019, la Commission Egalité du Conseil supérieur des barreaux présente un plan d’action « Droit & Handicap » pour mettre en œuvre les propositions faites lors des travaux du premier Grenelle Droit et Handicap de la profession organisé le 28 juin 2019 à la Maison de la Mutualité. Il a pour objectif d’améliorer l’accès au droit des personnes en situation de handicap. Parmi les mesures figurent la volonté de permettre une meilleure accessibilité des lieux de Justice, des cabinets d’avocats et de la profession. Les instances représentatives s’engagent, mais, dans les faits,les difficultés d’accès à la profession demeurent pour les personnes en situation de handicap.

De l’évolution des politiques de recrutement au sein des cabinets

Le marché de l’emploi des bénéficiaires d’une reconnaissance de travailleur handicapé (RQTH) connaît, depuis 2018, un taux de chômage de l’ordre de 18 % (voir étude publiée en juin 2019) et l’on n’entrevoit pas encore les impacts de la crise économique liée à la Covid-19 sur ce secteur. Mais, plus spécifiquement, qu’en est-il pour la profession d’avocat ?

« La profession ne dispose pas de statistique », déclare Me Stéphane Baller, avocat d’affaires, professeur associé à l’Université Panthéon Assas (Paris 2), créateur et délégué général de l’association Droit comme un H ! qui œuvre depuis 2017 pour faciliter l’accès de jeunes en situation de handicap aux professions du droit, dont celle d’avocat. Toutefois, ce dernier complète son propos en révélant que « les choses commencent à bouger depuis trois ans ». Pour preuve, en 2019, les résultats de la première enquête menée par l’Association auprès des 152 plus importants cabinets d’avocats français en termes d’effectifs, révèlent que 63 % d’entre eux « n’ont pas eu l’opportunité de recruter un(e) avocat(e) en situation de handicap » (mais que ceux qui ont eu l’occasion expriment leur grande satisfaction) et que 70 % se disent prêts à investir pour faciliter leur insertion dans leur organisation.

Si à ce jour, aucun suivi spécifique des processus de recrutement n’existe dans les cabinets, contrairement à certaines entreprises privées qui ont mis en place des missions handicap, l’Association voit croître le nombre de cabinets qualifiables « d’employeurs potentiels engagés », notamment depuis la mise en place de leur politique d’adhésion intégrant le Label TousHanRobe (voir « Droit comme un H lance le premier label d’engagement des professions du droit en faveur de l’emploi des personnes en situation de handicap », Le Monde du droit 21 novembre 2019). « Nous avons lancé notre 2e Observatoire du handicap de la profession d’avocat, et nous avons déjà des réponses favorables, des parrains prêts à prendre des stagiaires. L’accès à la profession est notre combat. Et il y a une chose extrêmement importante pour tous ces jeunes : c’est que quand vous les voyez, vous changiez votre point de vue », explique Me Baller.

La profession serait-elle alors davantage qu’il y a trois ans dans un état d’esprit de société inclusive ?

C’est le sentiment au Barreau de Paris. « Les avocats sont soumis à une pression importante dans leur activité et ont souvent peu de recul sur leur stratégie de ressources humaines. Cela peut les conduire à préférer le recrutement de profils connus. Toutefois, de manière générale, les profils recrutés par les cabinets sont de moins en moins stéréotypés, les avocats ont compris que la diversité était un levier d’adaptabilité et de développement pour leur cabinet. Le recrutement de personnes en situation de handicap est un atout pour le cabinet qui le conduit à réfléchir plus largement sur les facilités et difficultés de chacun des collaborateurs selon le type de dossiers, de questions, de clients,etc. », énonce le bâtonnier Me Olivier Cousi. On signalera que le plan d’action « Droit & handicap » soutenu par le CNB prévoit de compléter la Charte responsabilité sociétale des cabinets d’avocats d’un volet « handicap ». Si cet ajout a pris un peu de retard du fait des événements liés à la crise Covid-19, il demeure toujours d’actualité. Pour autant le point handicap est déjà présent, et ce depuis 2017,dans l’outil d’autodiagnostic mis à la disposition des cabinets « désireux, quelle que soit leur taille, d’évaluer et améliorer leurs pratiques en faveur de la diversité et de l’environnement ». Ainsi, tout cabinet qui s’engage ou adhère à la Charte, dans un souci de vigilance, se doit d’établir un diagnostic au moins une fois par an et de répondre, notamment, à la question suivante : « Avez-vous mis en place des actions en faveur de la diversité (inclusion de personnes en situation d’handicap, plans d’action d’égalité professionnelle, lutte contre les stéréotypes) ? ».

Côté législation, on rappellera que la loi du 10 juillet 1987 contraint toutes les entreprises privées et publiques de 20 salariés et plus à embaucher au moins 6 % de personnes en situation de handicap. Elle fut jugée comme une avancée, le non-respect du quota donnant lieu au versement d’une contribution annuelle. La loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées puis celle n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel sont venues compléter le dispositif, notamment en renforçant les obligations d’emploi direct des employeurs soumis à l’obligation d'emploi des travailleurs handicapés (OETH) (et en plaçant le périmètre de l’obligation d’emploi au niveau de l’entreprise et non plus établissement par établissement dans les entreprises à établissements multiples). Conséquences : les travailleurs handicapés ayant le statut de stagiaires sont désormais pris en compte intégralement au titre l’OETH ; le plafond de 2 % de stagiaires accueillis au titre de l'obligation d'emploi a été supprimé ; si le recours aux contrats de sous-traitance auprès des travailleurs indépendants en situation de handicap (THI) n’est plus une modalité d’acquittement de l’OETH pour les entreprises accueillant des personnes handicapées, ces contrats sont désormais pris en compte sous la forme d’une déduction de la contribution annuelle due à l'AGEFIPH (taux unique de 30 % du coût de la main-d’œuvre).

Malgré ces mesures, les blocages persistent dans les politiques de recrutement des cabinets. Pourquoi ?

De l’invisible…

Il faut relever, qu’en 2019, 36 % des avocats exerçaient à titre individuel. De fait, nombreux sont les cabinets qui ne se sentent pas directement concernés par l’OETH. En outre, comme le rappelle Me Cousi : « Les instances de la profession n’ont pas vocation à s’immiscer dans la gestion des cabinets et dans leur politique de recrutement. Elles doivent avant tout contribuer à sensibiliser nos confrères, leur permettre de lever les freins psychologiques qui peuvent parfois conduire à penser que l’embauche de travailleurs handicapés est complexe ».

Une autre explication pourrait résider dans le fait que la sous-traitance d’un dossier à un avocat n’était pas une action neutre puisqu’elle représentait un levier de compétitivité de 30 % sur une facture d’honoraires établie par l’avocat sous-traitant travailleur indépendant en situation de handicap. A ce sujet Me Cousi réagit : « le président de l’association Droit comme un H !, notre confrère Matthieu Jugglar, nous a interpellé sur le fait que cette déduction n’était plus possible dès lors que l’avocat était associé en cabinet. Nous nous sommes engagés à soutenir cette demande auprès des pouvoirs publics ».

Autre blocage et non des moindres : « le 6 % n’est pas atteint car nous manquons de personnes qualifiées et c’est là, la plus grand difficulté », dénonce Me Baller. Et de compléter : « on constate que les jeunes en situation de handicap sont de plus en plus poussés vers la normalité. En outre, on assiste à un décrochage extrêmement fort de ces jeunes vers la terminale et la 1re année de droit. Ceux qui vont jusqu’à l’école d’avocat, vont fréquenter des élèves qui renvoient une image de “ surfemme, surhomme ”, des gagnants. Si leur handicap n’est pas visible et que l’on leur a appris à se comporter comme une personne sans, rares seront alors ceux qui le révéleront » et qui constitueront un dossier RQTH de peur d’être rejetés. Cela soulève l’éternelle question de savoir s’il faut ou non faire mention sur son CV de sa qualité de travailleur handicapé. Il n’existe aucune obligation légale. Les avis sont divisés, y compris chez les personnes dont le handicap est visible. Et certains ne souhaitent pas être retenus pour combler un quota.

Karine Losfeld, directrice générale de l’IXAD (l’école des avocats Nord-Ouestqui compte 108 élèves), confirme que « les élèves ne viennent pas toujours spontanément évoquer leur handicap. Ils ne veulent pas que cela se sache, que l’on tombe dans la pitié. Ils veulent être traités et faire leurs preuves comme tout le monde. Ils ne veulent pas, pour les citer, “ de traitement de faveur”». Ces propos font écho à ceux de cet étudiant en droit malvoyant de Nancy qui s‘était vu refuser par le ministère de l'Enseignement supérieur une adaptation de l'examen d'entrée au CRFPA pour la note de synthèse. Comme le rapportait notre confrère du Parisien : « l'étudiant dispose déjà d'un tiers temps supplémentaire, d'un ordinateur et d'un assistant. Mais si ce dernier lui lisait les documents (NDLR : en synthétisant obligatoirement compte tenu du volume), cela reviendrait “ à ce qu'il fasse le travail à ma place et ce n'est pas son rôle”, estime-t-il ».

Me Benoît Dumontet, directeur de la deuxième école d’avocats de France par le nombre d’élèves-avocats, l’HEDAC (école des avocats des Barreaux du ressort de la Cour d’appel de Versailles), précise que si chaque année en moyenne quatre à cinq élèves-avocats sollicitent un tiers temps pouvant donner droit à des aménagements (une secrétaire, un ordinateur, une chaise adaptée, une pause…) pour diverses raisons médicales, ces dernières ne leur sont pas forcément connues du fait du respect du droit au secret médical. Et Mme Losfeld de compléter :« C’est délicat mais lorsque nous percevons quelque chose, nous demandons à voir l’élève pour lui proposer des solutions, pour l’aider. L’aménagement nous le coordonnons avec le médecin. Je dois alors détailler toutes les épreuves qui peuvent être debout, assise, en groupe, écrite, orale. Il est important de tout détailler c’est cela l’enjeu. Puis, je me conforme aux prescriptions du médecin et mets tout en œuvre afin cela se passe bien pour eux tant pour les épreuves dans le cadre du contrôle continu que dans celui de l’examen terminal ».

La même attention est portée àl’HEDAC où Me Dumontet a adopté une politique d’accueil et de suivi individualisée de l’ensemble de ses élèves en situation ou non de handicap, visible ou non : « C’est, peut-être paradoxalement, un bon moyen d’accompagner chacun de nos élèves-avocats en fonction de leur situation personnelle sans faire de distinction. C’est accepter toutes les personnes y compris avec leur handicap, permettant d’y apporter les réponses nécessaires au meilleur suivi de la scolarité à l’HEDAC, sans pour autant donner le sentiment que le handicap serait plus important que la personne. Afin de pouvoir évaluer la situation, les besoins, les souhaits de nos élèves-avocats, assurer au mieux leur intégration au sein de l’école et préparer leur insertion professionnelle je reçois lors des inscriptions administratives (début décembre de chaque année) tous les nouveaux entre 3 et 10 minutes (en fonction des situations, et plus si nécessaire) ».

En 20 ans de carrière, Mme Losfeld avoue n’avoir eu à gérer que de rares personnes avec un handicap physique (mobilité réduite, bras immobile, déplacement en béquilles), jamais une personne aveugle. Me Dumontet procède au même constat : « Nous avons relativement peu de cas d’handicap “ lourd ”. Nous avons néanmoins eu une élève-avocat tétraplégique et un élève-avocat qui à la suite d’une crise d’épilepsie s’est vu diagnostiquer une tumeur au cerveau dont l’intervention chirurgicale d’ablation a entraîné une lourde et longue réduction (notamment réapprendre à parler). Ils ont tous les deux obtenus leur CAPA (pour le second néanmoins après 5 ans de rééducation) ».

Si 85 % des handicaps sont invisibles et ne nécessitent parfois aucun aménagement pour les EDA ou les employeurs, comment cela se passe-t-il pour les 15 % restants pour accéder à la profession ?

… au visible

Me Dominique Breard, non-voyant, ne contredira pas les constats de Me Baller : « Actuellement, toute personne handicapée qui souhaite travailler n’a pas d’autre choix que d’être extraordinaire, en permanence dans sa manière d’exercer et de se déplacer en performance sportive. Sauf que l’on n’a pas toujours l’énergie. Et finalement il y a un décalage totale entre ce que la personne est et l’image qu’elle doit renvoyer pour être acceptée ». L’avocat pénaliste depuis 24 ans raconte que lorsqu’il fut en âge de choisir une filière d’études, la société, les écoles et le monde du travail avaient tendance à limiter les professions possibles pour les personnes handicapées, notamment en fonction de leur handicap. Pour les non-voyants, les professions de standardistes ou d’accordeurs de piano leur étaient proposées. Etant en capacité de faire des études, la profession d’avocat s’est révélée à lui à la suite d’un stage. Toutefois, « Les études ne m’ont pas permis de comprendre à quel point cela serait difficile d’exercer la profession. J’ai rencontré rapidement des gens formidables côté étudiants ce qui m’a permis de faire mes études dans un monde solidaire et amical, finalement presque comme tout étudiant sans handicap. Mais cela ne m’a pas préparé à l’entrée dans la profession qui a été extrêmement dure ».

Même constat du côté de Peggy Grivel, ancienne avocate en droit de santé. Cette dernière avoue que « devenir sourde (NDRL : à l’âge de 19 ans) et vouloir persister dans une formation d'avocat, c'était un challenge. J'avais passé les échelons. J'étais certaine que j'y arriverai. Mais c'était sans connaître toutes les difficultés qui m’attendaient ».

Durant leurs études, les deux avocats témoignent des aides reçues par les étudiants et par certains de leurs professeurs, des aménagements dont ils ont pu bénéficier pour passer les examens. Cette solidarité entre les élèves, Karine Losfeld peut en témoigner : « Les cours circulent, les élèves portent les sacs, tiennent les portes… aucune personne n’est écartée. Pour la petite prestation de serment d’une personne en mobilité réduite qui avait lieu dans la salle du Parlement non accessible à cette époque par un ascenseur, ce sont les garçons de la promo qui, spontanément, ont porté leur amie en fauteuil roulant, prenant de court toute l’organisation que nous avions mis en place avec la greffière ».

Mais alors à partir de quand émergent les réelles difficultés ?

Rentabilité quand tu nous tiens !

Passé le cap des études, les obstacles apparaissent lorsqu’il s’agit d’entrer dans la concrétisation de toutes ces années d’enseignement, dans leur mise en application : trouver un stage et une collaboration relèvent de l’exploit. Car il faut l’avouer le nerf de la guerre se situe au niveau de la rentabilité des cabinets : « Les avocats en situation de handicap seraient jugés 30 % moins rentables par certains », pour reprendre les termes de Me Baller. « Pourtant ces jeunes sont performants. Même s’il peut leur arriver un coup de fatigue de temps en temps, quand ils sont au boulot, ils travaillent avec des qualités personnelles qui apportent beaucoup », atteste l’avocat.

« La recherche d'un pré-stage a été excessivement complexe. Aucun cabinet de Paris ne voulait avoir une personne sourde. "Comment va-t-elle ouvrir la porte aux clients ?", fut, par exemple, l'une des interrogations d'une consœur.J'ai eu la chance que le président de l'UJA de l'époque compatisse à ma situation et me prenne au sein de son cabinet. A défaut, je ne suis pas certaine que j'aurais pu continuer l'EFB. De même, aucun cabinet ne voulait avoir une collaboratrice sourde alors que le contrat de collaboration était obligatoire. J'ai donc obtenu "une dérogation", un contrat de collaboration à 500 euros par mois (donc très loin du tarif de l'UJA appliqué) », raconte Peggy Grivel. Et Me Breard de confirmer : « A l’époque, nous avions le stage (supprimé aujourd’hui), qui nous obligeait à travailler comme collaborateur pendant deux ans dans un cabinet. Cela n’a jamais été possible pour moi. Mon CV était bon mais les cabinets qui acceptaient de me recevoir me rétorquaient : " actuellement c’est la crise… ". J’ai patienté neuf mois et un avocat m’a dit qu’il ne pouvait pas m’embaucher car "je ne correspondais pas au profil"… phrase classique… mais il m’a aidé à prêter serment. Je me suis installé seul alors que je n’avais aucun client. Le démarrage fut extrêmement dur : j’ai compté au sous près ! »

Me Dumontet explique, qu’aujourd’hui, l’école adresse toutes les offres qu’elle reçoit aux élèves-avocats qui cherchent par eux-mêmes leur stage. « Parallèlement nous prenons attache avec des cabinets partenaires qui, jusqu’ici, nous ont toujours apporté leur soutien si nécessaire ».Il en est de même à Lille, comme l’expose Mme Losfeld : « Dans chacun des 21 barreaux, je dispose d’un référent de stage désigné par le bâtonnier. Je n’hésiterai pas à les solliciter en cas de besoin si le cas se présentait ». Pour la recherche de collaboration, la directrice précise qu’une fois que les élèves sont titulaires du CAPA, ils dépendent des barreaux et de la politique qui y est menée. A ce sujet, la Commission Egalité du CNB souhaite mettre en place un accompagnement renforcé des élèves-avocats en situation de handicap en vue de favoriser l’obtention d’un stage, par le biais d’une concertation entre les EDA et des référents accessibilité mis en place au sein des Barreaux. Elle continue aussi de sensibiliser les cabinets d’avocats en vue de favoriser le recrutement de collaborateurs en situation de handicap. « La recherche de première collaboration demeure une réelle difficulté. Nous nous rapprochons des Ordres pour essayer de trouver des solutions.C’est également la raison de notre démarche d’avoir été dès le premier jour un partenaire de l’association d’insertion Droit comme un H !Nous devons travailler sur l’insertion professionnelle avec, sans doute, un accompagnement spécifique personnalisé lors des trois à cinq premières années d’exercice (et sur demande au-delà) », conclut Me Dumontet.

Me Baller décrit que lorsque les recrutements ne sont pas gelés dans les cabinets, les processus sont extrêmement longs. L’Association anticipe parfois un an à l’avance pour placer ses parrainés, tout en soulignant l’importante sélection qui est opérée en amont, comme en aval. Et la sélection s’étend aussi au cabinet : « nous allons naturellement solliciter plus facilement des structures qui ont les moyens d’absorber le soupçon de moins bonne rentabilité ou l’éventuel surcoût d’aménagement de poste lié à l’embauche de la personne en situation de handicap, tout en sachant pour cette dernière que l’aide financière provenant de l’AGEFIPH vient compenser ce surcoût », indique Me Baller.L’avocat confesse toutefois que quelques avocats vont véritablement partir en croisade en prenant sous leur aile le stagiaire ou le futur collaborateur ainsi que les risques potentiels de sous-activité ou la nécessité de se poser des questions de management. Peu nombreux pour l’instant, on découvre souvent que leur action est liée à une histoire personnelle.

Du droit de choisir son avocat

Une fois la collaboration trouvée ou l’installation contrainte décidée, le parcours du combattant se poursuit. En règle générale, la relation avec les confrères, les magistrats et les clients est relativement confraternelle, cordiale et professionnelle…à quelques exceptions près. Peggy Grivel se souvient : « Un jour, un juge du tribunal du contentieux de l’incapacité de Paris a refusé que je plaide car je n'étais pas accompagnée d'un "interprète" assermenté mais juste d'une aide personnelle. Je démarrais dans la profession. La situation fut très embarrassante à vivre d’autant que mon client était présent. De même, dans le cadre de l'aide juridictionnelle, certains client sont refusés d’être défendus par une avocate sourde ». Cette expérience, Me Breard l’a aussi connue. En 2014, l’avocat commis d'office avait dû déposer une plainte contre un homme qui, pour réfuter son assistance, lui avait tenu des propos injurieux sur son handicap. L’Ordre des avocats s’était alors porté partie civile et l’avocat avait reçu le soutien de ses confrères dans son action. S’il n’est pas possible de contraindre un client dans le choix de son avocat, quel que soit le motif retenu, Me Breard soutient que si c’était à refaire, il redéposerait plainte : « j’invite les gens à le faire, il faut se défendre contre cela ». A l’évocation de cette affaire, le bâtonnier Cousi en appelle aux pouvoirs publics pour poursuivre le travail de sensibilisation et de formation de la population sur le handicap. De son côté, dans le cadre plus global de la mise en place d’une démarche RSE pro-active, le barreau de Paris souhaite mettre en place un référent handicap dont la mission serait d’être à l’écoute des confrères, de les accompagner dans leurs besoins et de faciliter le dialogue avec les juridictions.

L’accessibilité : une question d’égalité des armes

Les améliorations… elles sont vivement attendues à commencer par l’accessibilité au nouveau palais de justice créé par Renzo Piano ! « Nos confrères déplorent encore, malgré les sollicitations répétées du Barreau de Paris, l’inaccessibilité du Tribunal judiciaire. Certains couloirs sont inaccessibles aux personnes à mobilité réduite, les boutons d’ascenseur ne sont pas signalés en braille, de même que les numéros de salle d’audience, etc.L’accès au magistrat, déjà très difficile pour l’ensemble de nos confrères, devient un véritable casse-tête pour ceux qui en sont empêchés physiquement », relève Me Cousi. On soulignera qu’aucun calendrier de mise aux normes du bâtiment « flambant » neuf n’est avancé…

Concernant l’accès à la documentation, Microsoft et la fonction VoiceOver des appareils Apple permettent aujourd’hui aux personnes en situation de handicap d’utiliser le RPVA ou de surfer facilement sur le Net. Une chance car de nombreux éditeurs, pour des questions économiques, n’ont pas tous procédé aux aménagements de leurs sites. Pourtant les designers d'interface sont supposés avoir intégré a minima les bonnes pratiques en matière d'accessibilité (les standards d'ergonomie). Me Baller alerte sur le fait que le marché n’est peut-être pas encore significatif mais qu’il pourrait le devenir avec une clientèle constituée d’avocats victimes d’accidents de la vie au titre desquels figurent, par exemple, la perte de l’audition ou de la vue. Me Breard attire aussi l’attention des éditeurs et concepteurs de sites sur le fait qu’« à chaque fois qu’ils modifient leurs interfaces, il faudrait qu’ils aient à leur côté une personne non-voyante pour mesurer l’impact de leurs changements. A cette occasion, je tiens à remercier et féliciter la présidente du CNB, Christiane Féral-Schuhl et Aminata Niakate, présidente de la Commission Egalité, qui m’ont associé pour la version 2 du RPVA. Nous avons travaillé ensemble et cela donne de l’espoir. Si toutes les personnes copiaient ce modèle et se posaient la question : est-ce que je suis handicapo-compatible… rien que cela ferait avancer les choses ! ». Sumi Saint Auguste, présidente de l'association Open Law, ajoute : «  Au-delà des handicaps sensoriels, on pense également aux déficiences cognitives qui, pour les usagers finaux, trouvent des réponses par exemple dans des bonnes pratiques d'écriture telles le "Facile à lire et à comprendre". Une traduction dans le champ du droit existe avec le langage clair, soit un travail lexical et syntaxique sur la langue juridique qui permet d'en accroître la lisibilité et donc sa bonne assimilation. Cela ne concerne pas les professionnels du droit et pourtant, la prévalence des troubles "dys" (pour dyslexies, dysorthographies et dyscalculies) dans la population française laisse à penser que les étudiants en droit peuvent aussi être concernés ».

Vers l’abolition du mot « inclusion » ?

Ces annonces et bonnes intentions, si elles sont suivies d’effets, arriveront-elles à faire évoluer les mentalités sur le handicap et sur le traitement qui en est fait dans le monde de l’avocature ?

Me Baller souligne qu’un texte qui contraint des gens à en embaucher d’autres n’est pas glorieux : « Il faut créer le besoin, que ces collaborateurs qui sont différents soient d’abord accueillis pour leurs capacités de collaborateur et leur apport à nos organisations ».

Me Breard, lui, rappelle qu’un recrutement est avant tout une rencontre, et que la meilleure inclusion sera quand on aura supprimé le mot « inclusion ». « Pour cela, il faut former et sensibiliser les gens. Il faut aussi adapter la Cité SANS DELAI à toutes sortes de handicaps. L’Etat doit financer non seulement ses équipements mais aussi les équipements privés. Il n’y a aucune raison d’imposer aux employeurs, de s’adapter », déclare l’avocat pénaliste qui n’a pas choisi sa spécialisation par hasard : « au pénal vous allez rencontrer des individus que la société a mis en marge, rejetés, refusés. Il en est de même pour le handicap, dans la mesure où les handicapés font encore l’objet d’un rejet d’autant plus compliqué à expliquer que les gens n’en n’ont pas toujours conscience.»

A quand l’acquittement des élèves-avocats et des avocats en situation de handicap ?

Si la période n’est pas la plus propice pour répondre à cette sollicitation, gageons que le nouveau ministre de la Justice, Eric Dupont-Moretti, pénaliste, s’emparera de ce dossier avec toute sa force de conviction.

Audrey Tabuteau


Lex Inside - L’actualité juridique - Émission du 20 décembre 2024 :

Lex Inside - L’actualité juridique - Émission du 18 décembre 2024 :

Lex Inside - L’actualité juridique - Émission du 13 décembre 2024 :