Le guide « Cadeaux et Invitations » de l’AFA : un document pragmatique et pratique

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Noëlle Lenoir, Anita Maklakova et Sabine Rudatsikira, avocates à la Cour, proposent un décryptage du guide « Cadeaux et Invitations » de l'Agence Française Anticorruption.

Ce guide de l’Agence Française Anticorruption (« AFA »)1 s’inscrit dans la ligne des recommandations formulées il y a plusieurs années par des autorités judiciaires étrangères en particulier américaines2 et britanniques3 sur les cadeaux et hospitalités. Publié le 11 septembre 2020, il a pour but d’aider les entreprises à mettre en place leurs politiques internes en la matière, l’AFA reconnaissant cependant, à l’instar des autorités étrangères, que les cadeaux et invitations « sont des actes ordinaires de la vie des affaires et ne constituent pas, en tant que tels un acte de corruption ».

Le guide vise les comportements à adopter par les employés et dirigeants lorsqu’ils envisagent d’offrir un cadeau ou une hospitalité à des tiers comme des clients, fournisseurs ou responsables administratifs avec lesquels l’entreprise est en contact d’affaires, par exemple. Il s’applique également lorsque des cadeaux ou invitations sont proposés par un client ou un fournisseur, notamment.

Le premier point à souligner est que l’AFA a tenu à préciser que le guide « est dépourvu de toute portée juridiquement contraignante ». Cette précision est d’importance compte tenu de la jurisprudence du Conseil d’Etat suivant laquelle des recommandations émises par une administration peuvent « faire grief », c’est-à-dire revêtir une valeur juridique qui n’est pas qu’indicative4. Il faut en déduire qu’une entreprise qui ne suivrait pas à la lettre les préconisations du guide ne commettrait pas nécessairement un manquement sanctionnable. Ce qui veut dire que l’AFA rentre dans la logique du « comply or explain » inspiré des pays anglosaxons.

Deuxième élément important : l’AFA fait encore preuve de pragmatisme inusité lorsqu’au lieu d’insister sur les sanctions à infliger en cas de corruption (disciplinaires comme pénales), elle affirme que la convivialité est partie intégrante de la relation d’affaires. S’il faut être vigilant pour qu’une relation trop personnelle n’aboutisse pas à un mélange des genres, en revanche, il n’est pas possible de supprimer dans une entreprise la dimension humaine autant que travail des repas en commun ou des invitations à des manifestations culturelles ou sportives. De ce point de vue, la tonalité du guide tranche nettement avec celle, essentiellement punitive, du projet initial soumis à consultation en juillet 20195.

Troisièmement, le projet de guide de juillet 2019 comportait essentiellement des interdits (pas d’invitations en principe à des manifestations sportives le week-end et pas d’invitations de clients en famille etc.) mettant sérieusement à mal le modèle économique du secteur de l’évènementiel fondé sur des programmes d’hospitalité et des contrats de sponsoring, mais aussi l’équilibre financier des fédérations sportives et des grands établissements culturels (théâtres et opéras). C’était en outre se priver de la possibilité de valoriser l’image sportive ou culturelle qui fait le rayonnement de la France à l’étranger. Le texte définitif du guide montre que l’Agence a tenu compte des critiques qui lui avaient été faites à cet égard.

Quatrièmement, l’AFA a admis que fixer un plafond uniforme pour les cadeaux et invitations n’avait pas grand sens. Seuls étaient admis selon le projet de guide, « les cadeaux de valeur nominale c’est-à-dire suffisamment faible pour ne pas être perçue comme une tentative de corruption (boîte de chocolats, fourniture de bureau portant le logo de l’organisation) ». Ce qui excluait toute invitation à un match sportif d’une délégation étrangère par exemple, contrairement au guide britannique indiquant expressément qu’une invitation à Wimbledon ou au Tournoi des six Nations ne pose pas de problème en soi. Au lieu d’un plafond, l’AFA a opportunément finalement retenu le système du faisceau d’indices laissant dans chaque cas à l’employé ou au dirigeant concerné apprécier si les éléments de contexte permettent d’écarter le risque de corruption.

Cinquièmement, le guide permet que le montant d’une invitation soit apprécié en fonction de sa valeur réelle, pour peu bien entendu qu’il ne s’agisse pas d’une invitation ou d’un cadeau somptuaire (invitation à un séjour prolongé dans un hôtel de luxe, offre d’un véhicule de luxe etc.). Mais le fait qu’une invitation à un match ou à une soirée d’opéra soit supérieure à une invitation au restaurant ne doit pas conduire à soupçonner une intention de corruption. En revanche, un cadeau ou une invitation même relativement modeste est totalement contre-indiqué s’il tend à peser sur une décision ; ce qui veut dire qu’il faut refuser par exemple un cadeau d’un fournisseur lorsqu’une procédure d’appel d’offres à laquelle celui-ci participe est en cours.

Sixièmement, le guide préconise la tenue d’un registre où sont consignées les informations relatives aux cadeaux et invitations offerts et reçus permettant en cas de problème un retraçage de ce qui a été fait.

Finalement, l’Agence insiste sur la formation des employés, notamment ceux exerçant des fonctions plus exposées (ex. direction des achats). Tant il est vrai qu’au-delà des guides et des procédures, la culture de l’éthique reste le véritable rempart contre les risques de corruption.

Noëlle Lenoir, Anita Maklakova et Sabine Rudatsikira, avocates à la Cour

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NOTES

1 AFA, Guide pratique sur la politique cadeaux et invitations dans les entreprises, les EPIC, les associations et les fondations, 11 septembre 2021

2 DOJ, A resource guide to the U.S. Foreign Corrupt Practices Act, DOJ and SEC, 14 novembre 2012

3 Ministère de la Justice britannique, The Bribery Act 2010: Guidance about procedures which relevant to commercial organisations can put into place to prevent persons associated with them from bribing, 30 mars 2011; SFO, Q&A: https://www.sfo.gov.uk/publications/guidance-policy-and-protocols/bribery-act-guidance/

4 Conseil d’Etat, 19 juillet 2019, n° 424216. 

5 AFA, Guide pratique sur les politiques cadeaux et invitations en entreprise : ouverture de la consultation, 18 juillet 2019

 


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