Lettre ouverte de Sofia Soula-Michal, Avocat au Barreau de Lyon et Présidente de l’Association des Défenseurs de la Justice (ADJ), à Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice. L'Association des Défenseurs de la Justice regroupant greffiers, magistrats et avocats assigne l'Etat à Lyon pour faute lourde en raison des dysfonctionnements de la justice. La lettre est accompagnée d'une bande dessinée, réalisée par Louis Tandonnet, avocat au barreau de Bordeaux, sur un texte Sofia Soula-Michal, illustrant cette action en justice.
Monsieur le Garde des Sceaux,
En votre qualité de Ministre de la justice, vous trouverez sous ce pli la copie de l’assignation délivrée ce jour à l’Agent judiciaire de l’État devant le Tribunal Judiciaire de LYON, à la requête de l’Association des Défenseurs de la Justice
L’ADJ, qui réunit les professions judiciaires dont les greffiers, les magistrats et les avocats, rappelle que nous demeurons des partenaires, serviteurs de la justice, mus par la même passion d’une grande justice pour tous.
Unis, solidaires et unanimes, nous venons exiger de l’Etat ce qu’il doit légalement à ses justiciables, soit une justice accessible à tous, équitable et rendue dans des délais acceptables.
De même que la crise sanitaire n’a fait qu’accroître le gouffre des conséquences de choix budgétaires dénoncés depuis des décennies par les professionnels de santé, la catastrophe judiciaire est avérée depuis de longues années.
« La misère n'est pas une fatalité, elle vient de notre incapacité à penser le partage », disait l’Abbé Pierre. Actuellement à 1,9% du budget général de l’État, l’augmentation « historique » du budget de la justice prévue au Plan de Finances 2021 en fera désormais 2,1 % dudit budget général.
Les chiffres continuent d’être arrêtés hors sol, sans connexion avec les besoins et la réalité du terrain.
Alors que la France concède 13 Magistrats et 47 personnels judiciaires pour 100.000 habitants, la médiane européenne correspond à 31 Magistrats et 105 personnels judiciaires.
Force est donc de constater que, face à une justice qu’il a affamée, l’Etat ne pense toujours pas le partage, le vrai, et c’est ce qui nous contraint à prendre nos responsabilités en engageant la présente action.
Partout, les justiciables subissent les conséquences d’une justice à bout de souffle.
Les délais de procédure explosent et des peines prononcées en 2013 sont exécutées plus de sept ans après le jugement correctionnel.
Rien que la justice, Monsieur le Ministre, mais toute la justice ! Et la matière pénale n’est pas toute la justice.
A Lyon, les dossiers de droit du travail devant la Cour d’appel sont fixés en 2023, et ce depuis le début de cette année 2020.
Le Pôle social du Tribunal judiciaire, qui traite des reconnaissances d’accidents du travail et des allocations adultes ou enfants handicapés, procède actuellement à l’audiencement des dossiers du contentieux général engagés en 2014.
Des requêtes urgentes en droit de la famille sont audiencées au deuxième semestre 2021.
Et il en est ainsi dans toutes les juridictions, partout sur le territoire, l’épidémie de misère judiciaire s’étant propagée bien avant le Covid.
Après l’annonce triomphale d’un budget jamais égalé, le Projet de Loi de Finances prévoit, en tout et pour tout, le recrutement de 50 juges et de 130 greffiers pour l’année 2021.
Le recrutement de ceux que vous qualifiez de « sucres rapides », intérimaires qui ne sont ni juges, ni greffiers, confirme un colmatage qui ne réglera en rien le problème structurel creusé par des décennies de budgets faméliques, comme il ne fera qu’aggraver celui de la qualité de la justice rendue.
Insuffisance grave et renouvelée de moyens, déni de l’État qui se félicite pourtant chaque année d’un budget toujours meilleur que le précédent, le système s’effondre, les professionnels craquent et les justiciables trinquent.
Défaut de protection juridictionnelle, fonctionnement toujours plus défectueux de la justice, c’est là la faute lourde que nous entendons faire juger et condamner à la mesure de son ampleur et de la gravité de ses conséquences.
Quelles que ce soient la réserve et la posture de principe que vous imposent le ministère que vous occupez, nous n’avons aucun doute sur votre conviction du bien fondé de notre action et votre entier soutien.
Veuillez recevoir, Monsieur le Garde des Sceaux l’assurance, sinon de notre dévouement, de notre sincère considération.
Sofia Soula-Michal, Avocat au Barreau de Lyon, Présidente de l’Association des Défenseurs de la Justice
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LE DEFENSEUR
Bande dessinée, réalisée par Louis Tandonnet, avocat au barreau de Bordeaux, sur un texte Sofia Soula-Michal, illustrant cette action en justice.