Procès Charlie Hebdo : le droit à l’épreuve de la vidéoconférence

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Eric Gardner de Béville, juriste, recruteur et consultant international, membre du Cercle Montesquieu, propose une réflexion sur le numérique et la présence physique de l’accusé dans le procès des meurtriers des salariés de Charlie Hebdo et l’hyper casher de Vincennes, le 7 janvier 2015.

Tandis que nous célébrons le 75ème anniversaire du procès de Nuremberg, se déroule aussi le procès des attentats islamistes contre Charlie Hebdo et l’hyper casher de Vincennes. Nuremberg fut le tout premier procès à mettre dans le box des militaires accusés de crimes contre l’humanité au nom d’une toute nouvelle justice pénale internationale, mais aussi le premier procès filmé et pendant lequel les films d’atrocité de la guerre furent utilisés et retenus comme preuve à charge. Charlie Hebdo est le premier procès à connecter à l’audience, par vidéoconférence, un accusé depuis sa cellule de prison (pour cause de maladie).

Qui plus est, en cette dure et difficile période de confinement due à la Covid 19 où le télétravail « explose » dans tous les domaines, que ce soit la vente de produits par internet ou l’offre de services en tout genre y compris le juridique, la question se pose de savoir comment le système judiciaire en général et les avocats en particulier, vont s’adapter à la réalité d’aujourd’hui.

Le procès des meurtriers des employés de Charlie Hebdo et de l’hyper casher est l’occasion de mettre tout carte-sur-table et de se poser les questions qui dérangent mais qui font avancer, notamment au sujet de l’avenir numérique du droit, la nécessité ou non d’être présent physiquement à l’audience, ainsi que l’avenir et le devenir du droit en général dans ce contexte nouveau.

Le droit face au défi du numérique

Nous avons tendance à penser que le droit est parfois « à la traine », souvent entre la deuxième et la dernière position et toujours en mode « réactif » par rapport à la réalité sociale, économique ou politique. Le droit vient souvent corriger un vide, un manquement ou un abus dont certains profitent.

Telle est la situation dans de nombreux cabinets d’avocats et directions juridiques d’entreprises où le numérique passe après les honoraires et la facturation, ou le marketing et la finance. Toutefois, les juristes de tout bord sont de plus en plus adeptes du digital, télétravail et utilisation des « Management Informations Systems » (MIS) au sein même du juridique dans les entreprises ou cabinets.

Ces dernières années, le Juridique Opérationnel s’est développé dans toutes les entreprise et cabinets, de la PME aux grands groupes internationaux, en France comme à l’étranger, dans l’industriel comme dans le service. Le numérique, le IOT (Internet Of Things) et aussi Alexa et Google Home qui commencent à réguler tous les aspects de nos vies au bureau et à la maison, révolutionnent et font exploser nos paradigmes professionnels et personnels.

Le droit et la personne physique

Dès l’origine la plus lointaine, le droit s’est intéressé à l’homme, personne physique. Ce n’est que bien plus tard, qu’apparu l’intérêt pour la personne morale. Le droit était donc une règlementation de personnes et de biens liés à la personne : contrats de mariage, héritage, esclavage, et vente de biens meubles et immeubles ; puis troc, échange et commerce ; avec une monnaie passant de sa valeur « poids » à celle « papier ».

Pendant des siècles et encore aujourd’hui, la personne physique a été et est au cœur du droit, au centre du procès, au pivot de la justice. En matière de procès impliquant une personne physique, le droit doit rester « humain » car la justice est l’œuvre de l’homme et non l’inverse. Toutefois, il ne faut pas que le droit soit « émotionnel » et qu’un accusé soit jugé et condamné en fonction du « ressenti » des juges. Le droit est une science empirique, fondé sur les faits et les lois, et non pas sur les émotions.

L’affaire du procès des meurtriers des dix-sept victimes -et onze blessés- de Charlie Hebdo, la police et l’Hyper Casher de Vincennes, pose aujourd’hui la question de « l’audience par abstention », en raison de l’absence d’un accusé, malade de la Covid19, obligé de rester en prison. La question fondamentale est celle de savoir si un accusé doit être présent à son audience, surtout si la condamnation potentielle est lourde, pouvant aller jusqu’à la réclusion à perpétuité.

La condamnation par contumace et le droit de demain

A dire vrai, ce n’est pas le triste procès des victimes de Charlie Hebdo qui pose cette question pour la première fois. Le droit français, comme beaucoup d’autres, connaît la « contumace » depuis longtemps. « La procédure dite par contumace est une procédure archaïque dont l'origine remonte par-delà le droit féodal au droit germanique. Elle est basée sur l'idée qu'en matière criminelle l'accusé n'a pas le droit de faire défaut » (Jacques Piot, Sénateur, 1970). Et Guy Canivet, premier président de la Cour de Cassation, ajoutait « traditionnellement, en effet, les pays anglo-saxons se sont distingués des pays de droit romano-germanique en ce que les premiers rejettent la possibilité de juger un accusé en son absence tandis que les second l’admettent ».

En France, depuis l'arrêt Krombach c. France du 13 février 2001 où la Cour européenne des droits de l'homme avait relevé l'absence de représentation de l'accusé par un avocat, et condamné la France, la procédure de contumace a été supprimée. La loi Perben II, du 9 mars 2004, a remplacé la contumace par la procédure de « défaut criminel » qui garantit, sous certaines conditions, que l’accusé-absent-condamné puisse faire annuler l’arrêt de la cour d’assise et être rejugé.

Dans le cas de l’accusé-absent des meurtres des salariés de Charlie Hebdo, policiers et employés d’un hyper casher, la question de l’absence d’avocat ne se pose pas. En revanche, il s’agit, d’une part, de l’absence de l’accusé lui-même, et d’autre part, de l’utilisation de moyens techniques modernes pour un face à face virtuel entre l’accusé et les juges d’assise. Il s’agit donc du droit de demain. Un droit qui met en avant les faits et non les émotions d’un face à face physique. Dura lex, sed lex. N’est-ce pas là la vraie nature du droit ?

2020, Eric Gardner de Béville, juriste, recruteur, consultant international et membre du Cercle Montesquieu


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