Le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti a affirmé que le projet d'expérimentation de l'avocat salarié en entreprise est au stade de la réflexion et de la concertation à l'occasion de l'assemblée générale statutaire de la Conférence des bâtonniers qui s'est tenue le 29 janvier 2021. Le ministre de la Justice veut réunir les avocats et les juristes d'entreprise pour poursuivre cette réflexion sur ce sujet très clivant pour la profession d'avocat.
Comme attendu, la Conférence des bâtonniers a voté contre l'avant-projet de loi sur l'avocat salarié en entreprise. En effet, comme l'a rappelé Hélène Fontaine dans son discours, la Conférence des bâtonniers s'est toujours prononcée contre l'avocat en entreprise. Elle a détaillé les raisons de cette opposition de la Conférence à ce nouveau projet qui s'est donc matérialisée par une nouvelle motion contre l'avocat salarié en entreprise, votée avant l'arrivée du garde des Sceaux.
« Nous ne voulons pas d'un sous avocat, d'un avocat diminué »
Selon la présidente de la Conférence des bâtonniers, le moment est mal choisi alors que les avocats « ont comme priorité la situation économique de leur cabinet ». Par ailleurs, ce projet a pour ambition de « rétablir la solvabilité de la France et de l'Europe pour protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale ». Or, elle évoque le cas de la société allemande Siemens qui avait des avocats salariés en entreprise et qui a quand même été condamnée au titre de la loi extraterritoriale américaine. « Pourquoi, M. le garde des Sceaux, vouloir nous imposer un sujet que vous savez clivant pour la profession dans un laps de temps court, et dans le cadre d'une expérimentation pour tenter de la rendre acceptable ?» interroge-t-elle. « Nous n'avons rien demandé. Le rapport Perben l’a écarté. Une expérimentation qui dure cinq ans n'est plus une expérimentation. On le sait bien, on le sait tous. On sait aussi qu’on ne peut expérimenter un nouveau mode d’exercice » poursuit Hélène Fontaine.
Elle ajoute que les bâtonniers ne veulent pas « d’un sous avocat, d’un avocat diminué, d’un barreau à deux vitesses, d’un secret professionnel bafoué, d'une déontologie au rabais ». Selon elle, ils « ne méritent vraiment pas de ne récupérer que les miettes qui sont proposées à leur égard. Il y aurait donc deux sortes d’avocat ? Ce n’est pas pensable ! Il y aurait un avocat salarié non soumis aux obligations de vigilance et de déclarations en matière de lutte contre le blanchiment, et un avocat indépendant qui, lui, y serait soumis ? Comment envisager, qu'en cas de rupture de son contrat, un avocat se retrouve devant le conseil des prud’hommes et que l’on puisse au besoin...se tourner vers le bâtonnier si des obligations déontologiques sont visées ? »
A l'appui de son raisonnement, elle cite un arrêt du 4 février 2020 de la grande chambre de la Cour de justice européenne qui « a clairement indiqué qu’un avocat en entreprise n'a pas l'indépendance nécessaire pour agir dans le cadre de la des règles professionnelles et disciplinaires ». De même, le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 28 février 2018, sur recours de la Conférence des bâtonniers, « a rappelé que l’indépendance de l’avocat doit être matérielle et fonctionnelle. Vous avez, sur ce sujet, M. le garde des Sceaux, et vous en conviendrez, choisi un chemin bien sinueux » conclut-elle.
« Je sais les craintes que peut susciter ce projet, mais nous devons également mesurer les enjeux pour l'avenir de la profession, et au-delà pour notre pays et la protection de nos entreprises. »
De son côté, le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti estime que si l'avocat salarié en entreprise n'est pas une recommandation du rapport Perben, c'est une piste. Selon lui, « le garde des Sceaux ne peut pas ne pas envisager cette piste de travail ».
Il considère que l'impossibilité pour l'avocat d'exercer au sein d'une entreprise entrave l'activité économique de la France. « Est-il normal que de nombreuses directions juridiques soient délocalisées à l'étranger afin de pouvoir en bénéficier ? » lance-t-il.
Contrairement aux motions votées par certains barreaux dénonçant une « absence de concertation préalable avec les instances représentatives », le ministre affirme qu'il a relancé la réflexion sur ce sujet « sans a priori, sans aucun entêtement » en invitant les avocats à y participer.
« Je sais les craintes que peut susciter ce projet, mais nous devons également mesurer les enjeux pour l'avenir de la profession, et au-delà pour notre pays et la protection de nos entreprises » ajoute-t-il.
Pour lui, l'objectif n'est pas de diminuer l'activité juridique des avocats, mais au contraire de diversifier ses sources pour en générer davantage.
En ce qui concerne Siemens, le garde des Sceaux y voit la « preuve que le statut d'avocat en entreprise, qui existe en Allemagne, n'a pas empêché une condamnation ». Et ajoute que « l'avocat en entreprise serait soumis à la règlementation en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Ces avis et analyses seraient couverts par la confidentialité, et son indépendance serait garantie ».
Sur les décisions de la Cour de justice de l'Union européenne et du Conseil d'Etat, il considère que cela « n'empêche pas de prévoir ce nouveau mode d'exercice dans la loi ».
Il fait remarquer que d'autres pistes de réflexion existent. « L'avocat en entreprise, c'est une de ces pistes. Il serait doté du legal privilege comme cela existe dans de nombreux autres pays. La réflexion porte sur son statut et aussi sur le niveau que pourrait être le legal privilege ». Enfin, afin que les avocats poursuivent leur réflexion, notamment avec les juristes d'entreprise, Eric Dupond-Moretti a annoncé qu'il organiserait prochainement à la Chancellerie des rencontres avec toutes les parties prenantes.
Arnaud Dumourier (@adumourier)
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— Arnaud Dumourier (@adumourier) January 29, 2021